Johan Muyle : Bruxelles-Madras, allers-retours

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
04/11/2013
(© Saskia Vanderstichele)

Avec le festival Europalia, la Belgique vit depuis septembre à l’heure de l’Inde. Le plasticien belge Johan Muyle, lui, s’y est mis depuis près de 20 ans. Il en fait aujourd’hui la démonstration avec une exposition réunissant portraits monumentaux et sculptures d’assemblage motorisés. Les affiches de Bollywood y croisent les Rois mages et Shiva rencontre Perrette et son pot au lait.

Dans la station des bus de la Gare du Nord, Johan Muyle, né à Charleroi en 1956 de parents flamands, a couvert en 2003 les murs d’une fresque de 1.600 mètres carrés intitulée I promise you(’re) a miracle. On y retrouve une quarantaine de portraits de personnalités belges, d’Arno à Michèle Anne De Mey, de Benoît Poelvoorde à Jan Fabre. Grâce à une ingénieuse mécanique, certains pleurent de vraies larmes, d’autres ont les yeux qui se révulsent. Ces portraits monumentaux ont été réalisés en étroite collaboration avec trois peintres indiens venus de Madras (aujourd’hui Chennai, capitale de l’État du Tamil Nadu) et spécialisés dans la réalisation d’affiches pour le cinéma. Un savoir-faire artisanal étonnant que Muyle a découvert dans un reportage à la télé et qui l’a tellement interpellé qu’il a voulu le voir de ses propres yeux. C’était en 1995. Presque 20 ans et une vingtaine de séjours en Inde plus tard, le plasticien fait le point sur sa « période indienne » dans l’expo Indian Studio.

Qu’est-ce qui vous a particulièrement marqué lors de vos multiples séjours en Inde ?
Johan Muyle : Dans une ville comme Madras, l’artisanat est présent à tous les niveaux et tout cela est donné à voir sur la rue. C’est un environnement extraordinaire. Je n’ai jamais été interpellé ni par le côté spirituel ni par le côté patrimonial de l’Inde, même si j’y porte un intérêt. J’ai visité les temples, etc. mais ce n’était pas ça que j’avais envie d’activer. Depuis le début des années 2000, l’Inde accède à une modernité, et dans certaines villes à une ultramodernité que nous ne connaissons même pas en Europe. Il y a un vrai bouleversement des comportements, une remise en question de l’organisation traditionnelle. Quand on parle de l’Inde, on retombe toujours dans les mêmes clichés : les castes, la pauvreté, la saleté dans les rues… Avant, la dimension exotique faisait écran, mais avec l’accès du pays à cette (ultra)modernité, je me sens dans le droit de poser des questions critiques sur l’Inde : le rapport à l’argent, à la barbarie… Cette collaboration avec ces peintres affichistes était le prétexte pour activer de nouveaux points de vue sur l’Inde.

Comment travaillent ces peintres ?
Muyle : Il faut savoir qu’en Inde, en tout cas à l’époque de mes premiers séjours, les films restaient à l’affiche d’un cinéma pendant plusieurs mois, voire un an. Pour la ville de Madras, qui est celle que je connais le mieux, le circuit de distribution des films faisait peindre entre 25 et 30 affiches pour un film, des affiches de 3 mètres sur 6. Les peintres travaillent sur base de photos de plateau du tournage. Ils utilisent un système très étonnant pour les agrandir : ils posent une plaque de verre sur la photo et avec de la gouache blanche, ils reprennent les traits principaux. Puis, avec une lampe de poche, ils projettent les ombres des traits de la plaque sur l’affiche à peindre. Dans le sud de l’Inde, il y avait 200.000 ateliers de peinture, mais aujourd’hui, ça ne se fait plus que de manière très anecdotique. Le procédé a disparu au profit de l’impression jet d’encre sur bâche. J’étais allé à Madras avec l’idée de racheter ces peintures et puis d’en faire quelque chose. Dans l’exposition, il y a une seule œuvre réalisée avec des affiches existantes. Ce sont les seules que j’ai employées. Car ces images ont leurs enjeux et leur intégrité propres.

Donc vous leur avez demandé de réaliser des peintures sur base de vos photos. Pourquoi des autoportraits ?
Muyle : Lors de mon deuxième séjour, j’avais ramené des photos d’amis. Mais les peintres m’ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire avec ça : les attitudes n’étaient pas assez appuyées, pas assez claires. Alors, pour rentabiliser mon voyage, je suis allé me faire photographier. En voyant mon premier portrait se faire, je savais très bien que cette monumentalité avait une part de dérisoire. J’ai compris que j’avais envie de me servir de ce piège du star-system. Il faut se remettre dans l’époque : le milieu des années 90, c’est l’arrivée de la téléréalité, ce moment où il suffit d’être pour devenir célèbre. L’autoportrait était aussi une manière pour moi de revendiquer une parole. Toutes ces grandes installations se servent de cette compétence indienne, mais leur propos n’évoque pas forcément l’Inde.

Dans une de ces installations, vous êtes représenté en travesti. Pourquoi ?
Muyle : Je me suis inspiré d’un tableau du Dominiquin : Dieu réprimandant Adam et Ève. Dieu, dans ses nuages, pointe du doigt Adam et Adam regarde Dieu en désignant Ève, en rejetant la faute sur elle. C’est une sorte d’expression de la petitesse de l’humanité. Dans cette installation, je me suis représenté en Adam et en Ève pour que la question ne soit pas posée de manière sexuée.

L’expo rassemble aussi des sculptures composées d’objets hétéroclites, indiens et occidentaux. Des assemblages surréalistes ?
Muyle : Même si ce sont des objets assemblés, il y a une cohérence en termes d’image. Ce n’est pas comme dans certaines sculptures surréalistes du XXe où chaque objet continue à avoir son propre sens. Je compare ces sculptures d’assemblage aux samples : d’une certaine manière, je fais des samples d’images comme d’autres font des samples de sons. J’aime bien ce terme de sample parce qu’il contient l’idée d’impunité à réemployer des choses qui appartiennent à autrui.

Photos © Saskia Vanderstichele


JOHAN MUYLE INVITE
Johan Muyle a choisi deux jeunes artistes qui seront présentés pendant l’expo Indian Studio dans l’espace Box : Marie Zolamian (7/11 > 15/12) et Hamza Halloubi (9/1 > 9/2). « Marie Zolamian est une artiste basée à Liège dont le travail, notamment pictural, m’intéresse beaucoup », explique-t-il. « Elle pose sur le monde qui l’entoure un regard de femme mais pas féminin. Ses images ont une part de métaphore. Hamza Halloubi est un ancien étudiant de l’atelier de sculpture que je dirige à La Cambre. Ses origines marocaines sont présentes dans son travail, mais pas dans le cliché. Ce ne sont pas les images qu’on attend ».


JOHAN MUYLE: INDIAN STUDIO • 7/11 > 9/2, di/ma/Tu > zo/di/Su 10.30 > 18.00, €2,50/4/5, Centrale for Contemporary Art, Sint-Katelijneplein 44 place Sainte-Catherine, Brussel/Bruxelles, 02-279.64.44, www.centrale-art.be

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