Karel Verhoeven : air de stationnement

Kurt Snoekx
© Agenda Magazine
16/04/2014
Je réserve une place de parking et je prends : un tréteau, deux planches, une caisse et un bâton, de la frigolite, un fauteuil, un cordon, deux chaises, des cônes... L’artiste gantois KAREL VERHOEVEN montre à Recyclart la force poétique de nos bricolages extraordinaires : Anything Can B_A Car!

Bonne nouvelle : nous sommes plutôt inventifs, vous et moi. Pragmatiques mais poétiques, gauches mais limpides. Tellement limpides que nos séances d’improvisations avec des tréteaux, des boîtes, des planches, des chaises et autre matériel de cuisine ou de jardin indiquent à nos congénères quelles sortes de rêves spatiaux nous caressons pour ces places de parking encore vides. Montre-moi ton bricolage et je te dirai quelle voiture tu conduis. L’artiste gantois Karel Verhoeven zoome sur ces constructions quotidiennes dans l’exposition Anything Can B_A Car à Recyclart. Elle démarre le 24 avril, lors de la soirée In Vitro qui offre chaque mois une plate-forme aux résidents de Recyclart. Cette fois, c’est sur le saxophoniste Grégoire Tirtiaux, le labeur de l’Homo laborans dans l’espace public et de l’atelier de couture Les Cadavres Exquis et d’autres parents spirituels que les projecteurs sont braqués. Et donc aussi l’expo Anything Can B_A Car.
(© Clément Losson)

Karel Verhoeven explique : « Comment un bout de bois et une caisse peuvent-ils prendre mentalement l’espace d’une voiture ? Comment peut-on revendiquer un tel espace en tant qu’individu ? J’aime bien ce genre d’exercice d’équilibre. J’aime réfléchir sur ce vide construit, sur la manière dont les gens font quelque chose avec l’espace via des constructions - sculpturales ou architecturales - et génèrent ainsi un impact. Il y a quelque chose de maladroit dans ces constructions improvisées avec lesquelles nous réservons une place pour notre voiture. Il s’agit souvent de simples objets qu’on a dans son vestibule, mais en même temps, on voit que les personnes ont réfléchi à leur fabrication et qu’elles y associent même une certaine esthétique. En sortant des objets de l’espace privé, ils deviennent tout à coup publics, abstraits et ils racontent aussi toute une histoire humaine ». Karel Verhoeven injecte à ces bricolages une dose de poésie. « Je ne suis pas un grand fan de Jan Fabre, mais je lui tire mon chapeau pour le fait que je ne peux plus prendre un bic sans penser à son château. De même, je ne peux plus voir une boîte en carton sans vouloir en peindre l’extérieur en blanc, comme Joëlle Tuerlinckx. Les bons artistes sont des personnes qui attirent notre attention sur quelque chose à côté de quoi on serait passé à côté sans cela, qui parviennent à apporter de la beauté dans notre vie ».
Touche pas à mon espace
Ne pas passer à côté. C’est arrivé pour la première fois à Karel Verhoeven en 2010. Tout a commencé avec une image qui lui a sauté aux yeux. « Tout simplement une caisse et un bâton, ici, dans la rue. Cette personne produit d’ailleurs continuellement des variations sur le même thème. Un truc de dingue. J’ai déjà quatre photos de lui : toujours avec ce bâton et cette caisse, qu’il a un jour joliment déployés en une sorte de socle. Ça a commencé comme ça. Je suis alors parti photographier ce que je rencontrais sur mon chemin. Un fauteuil blanc, des cônes - le grand classique ! - et des chaises, de préférence deux, en dialogue. Mais peu à peu, je suis devenu plus critique. Ce fauteuil-là était destiné aux déchets encombrants. Et ce qui n’était pas vraiment construit était éliminé de la sélection. La signalisation officielle ou les cônes, ce sont des ready-made, ça ne va pas... (Rires) J’ai une prédilection pour l’utilisation de différents matériaux. C’est une bonne journée pour moi quand je vois une de ces constructions. C’est chouette qu’à travers ce projet d’autres gens prennent conscience de la valeur sculpturale de ces constructions, du fait qu’ils sont très pragmatiques mais aussi très poétiques ».
Notre jeu bancal avec l’espace est lié à des règles spécifiques. « Il y a effectivement quelques paramètres. La construction doit avoir du corps, et du poids. Imaginez qu’un con vienne rouler dessus. En même temps, les matériaux utilisés ne doivent pas avoir trop de valeur, parce qu’alors on risque de les perdre. Je n’ai jamais vu quelqu’un qui marquait les quatre roues. Et la hauteur est rarement développée. Ce que je trouve beau surtout, c’est le côté éphémère de ces petits monuments et sculptures. On les voit aussi surgir à certaines périodes : maintenant, c’est le printemps et nous sommes alors comme les oiseaux, occupés avec notre nid. Il m’est déjà arrivé d’en voir un par hasard sans avoir mon appareil photo avec moi, je cours à la maison pour pouvoir quand même le photographier. Alors ça devient urgent, unique. Je n’aime pas trop le graffiti, je n’ai pas d’affinité avec ce langage formel criard, mais j’aime le phénomène. On pourrait facilement voir ça comme du street art tranquille ». En plus de rendre public ce qui est privé, l’inverse est vrai aussi : nous rendons privé ce qui est public, on réserve pour soi ce qui est à tous. C’est égoïste et pourtant, il semble qu’il existe des codes sociaux implicites : touche pas à mon espace. « Oui, c’est fou : les gens sont tellement polis. Parfois il suffit d’un bout de bois pour que le signal soit respecté. Dans les territoires où il neige beaucoup, comme les États-Unis ou le Canada, on ne peut revendiquer une place de parking que si on l’a déneigée en premier. Alors on l’a méritée ».

Ta place ou la mienne
En plus de l’exposition des photos que Karel Verhoeven a lui-même réalisées et que d’autres personnes lui ont envoyées, l’artiste occupe aussi la Vitrine 21 de Recyclart. « Dans le Drive In & Take Away, je vais élaborer dans mon propre langage visuel, plus hermétique, de petites constructions que les gens pourront à nouveau déconstruire, emprunter et utiliser aux-mêmes dans leur rue pour y prendre à leur tour une photo et l’envoyer. De cette façon, le projet prend une certaine dynamique et commence à muter ».
Cette fluidité langagière est essentielle dans la pratique de Karel Verhoeven. Son jeu fascinant avec l’espace, le mouvement et la temporalité - déjà illustré dans des projets comme Scene #1 et Scene #2 (une installation de constructions en graisse qui fondent de manière programmée) ou Denkmal für ein Triangel (une vidéo où il enchaîne sans transition de longs plans sur un monument funéraire pour deux pilotes de zeppelin allemands) - se déroule dans un langage formel très pur, saisi dans différents médiums. « Je trouve très important de créer un contraste, d’amener quelque part une non-logique. Dans le Drive In & Take Away, je veux faire totalement autre chose que ce que les photos expriment : comment est-ce qu’on peut monter des constructions dans un espace d’exposition vide qui en même temps ne signifient rien mais qui investissent l’espace. C’est un jeu de présence VS absence, raisonné VS intuitif, fonctionnel VS libre, accentuer des formes spatiales VS ajouter des qualités sculpturales. Une traduction d’une traduction que les photos sont déjà, et avec lesquelles les gens vont de toute façon les associer. L’imagination peut germer entre ces deux aspects. Peut-être que ça incitera les gens à aborder l’espace d’une manière plus ludique et plus esthétique et à attribuer des caractéristiques artistiques aux objets quotidiens. C’est justement dans sa propre poésie que se trouve la beauté »
ANYTHING CAN B_A CAR 24/4 > 9/5, di/ma/Tu > vr/ve/Fr 11.30 > 17.00, gratis/gratuit/free, Bar Recyclart + Vitrine 21, Ursulinenstraat 23 rue des Ursulines, Brussel/Bruxelles, 02-502.57.34, www.recyclart.be

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