La Dernière bande d'Alex Barbier

Kurt Snoekx
© Agenda Magazine
24/09/2014
Avec Dernière bande, une œuvre grandiose et enflammée arrive à un terme délibérément choisi et ardent. Même si, parmi les cendres de la terre brûlée à laquelle le pape païen de Frémok Alex Barbier tourne aujourd’hui le dos, on peut entrevoir un fabuleux phénix.
BD | Dernière bande ●●●●
Alex Barbier Frémok, 124 p., €28

Alex Barbier, le peintre et auteur de B.D. révolutionnaire qui a propulsé avec une force extraordinaire le médium de la bande dessinée vers une adolescence expérimentale et un âge adulte narratif et graphique, a dit ce qu’il voulait dire. Cette Dernière bande est vraiment la dernière bande du pionnier de la couleur directe. Il y a donc de quoi - non, il faut ! - être triste mais avec ce dernier chapitre de son œuvre extravagante, il nous fait à vous et moi un véritable cadeau.

Comme toujours, le pape païen de Frémok se réfère non aux conventions de la B.D. mais à la peinture, à la littérature et à des visions qui jaillissent de son existence passablement mouvementée pour un trip hallucinogène à travers un cœur et une tête sombres, plein de sexualité (homo-érotique) torride, de pulsions primaires, de couleurs inquiétantes et d’un langage visuel surréaliste vertigineux. Pour sa Dernière bande, Barbier enfonce la pelle particulièrement profond dans sa propre mémoire et dans son travail (qui s’achève ici) dans une tentative d’allumer un feu ensorcelant qui réduit tout en une terre brûlée sur laquelle ne résonne plus que son adieu.
Le « je » – « ex-dessinateur de BD, ex-maire de V., ex-loup-garou », faisant écho aux albums Lettres au maire de V. et Lycaons – se trouve, par l’intervention de l’extraterrestre Lambert et de ses Glups, prisonnier dans le casino abandonné qu’il connaît si bien et erre sans interruption à travers la mémoire de cet endroit empoisonné par le vide, où « ces formes non oubliées surgissent n’importe quand et n’importe où ». Est-ce par sa propre volonté qu’il fait remonter à la surface ces fragments d’intimité physique (Le jeune C.! Pablito!) réduits aujourd’hui au souvenir ou est-ce un délire qui le confronte à lui-même ? Est-ce que ces scènes qui reviennent à la vie sont une gâterie ou un spectacle épouvantable et oppressant ? Le moine et le boucher qui luttent ensemble dans chaque désir - comme le veut une des nombreuses voix dans le livre - trouvent leur âme sœur dans la poésie pulsante et ruinée et dans le couteau brut qui coupe la chair.

Dans cette duplicité - idiosynchrasie et intertextualité, solitude et communauté, angoisse et désir, attraction et répulsion - se cache la maestria de Barbier. C’est précisément dans ce multilinguisme narratif et graphique (avec des envolées bluffantes vers Bosch, « Burk Danny » et un camp scout assez piquant) que l’écoline étalée est pleinement mise en valeur dans des scènes étouffantes.
« ... est-ce-que-j’existe... / ... moi qui suis / un être raté / dans lequel / la mort s’insinue / et progresse encore / depuis / la naissance / ... moi qui suis assis dans un coucher de soleil... » Convaincu de la finitude – la petite et la grande mort – Alex Barbier met tout en flammes. Des cendres de ce feu, qui a rendu son Dieu du 12 tellement mythique, surgit une œuvre terriblement malcommode mais immortelle dans ses obsessions et dans ses prospections qui ne ménagent rien - même pas soi-même - des profondeurs abyssales de l’humain.

Alex Barbier arrache la bande de la blessure, coupe dans la chair et grave dans la mémoire. Cette Dernière bande est aussi indélébile que les esprits qu’il essaie d’exorciser !

EXPO: > 4/10, Ptyx, www.librairie-ptyx.be

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