Michaël Matthys au cœur des ténèbres

Kurt Snoekx
© Agenda Magazine
04/03/2015
Jusqu’à ce jour, le Congo reste un héritage complexe, suspendu comme un nuage noir au-dessus de nos têtes, nous, ses héritiers occidentaux. Le passé colonial belge est enveloppé du vêtement noir de jais d’un cauchemar réaliste. La conscience de l’exploitation et de l’asservissement destructeurs est générale, mais s’accompagne souvent - la complexité de nos cauchemars prise en considération - de sentiments nostalgiques, d’un idéalisme (paternaliste) qui permet de remettre droit en paroles ce qui était tordu et d’un amour surprenant pour le contient africain. À ce propos, Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad reste une œuvre iconique, toute contestée (car bâtie sur des clichés occidentaux) qu’elle soit par certains. Pour Michaël Matthys, le Carolo qui, avec sa Ville Rouge imprégnée de sang de bœuf et le labyrinthique Moloch, a affronté les monstres intimes de sa chère Charleroi, le livre de Conrad constitue le point de départ d’une excursion graphique et narrative qui doit conduire in fine à une publication chez Frémok mais qui aboutit avant cela à une petite mais impressionnante exposition à la galerie Été 78. Nuits sombres est une attaque portée à l’intérieur intégralement blanc de cet espace de mécénat.
Au crayon, à la mine graphite et avec du sang de bœuf sur des dessins préparatoires, de grands formats et des planches de B.D. achevées, Michaël Matthys colonise ce lieu baignant dans la lumière. C’est dans cette lumière que l’obscurité prend du poids, que les crissements sur le papier deviennent plus que le sujet du regard du spectateur. C’est comme si on était soi-même épié, comme si de ce monde qui se montre irréductiblement autre et distant surgissait un appel à ne pas nier, une invitation à un rapprochement impossible.
Le voyage en étapes de Joseph Conrad vers l’atroce cœur des ténèbres mène à la part sauvage que nous portons en nous. L’atrocité n’est pas un concept vide ; il ne faut rien de plus qu’un regard vers l’intérieur pour en prendre conscience. Fidèle à la force de ses récits urbains, Michaël Matthys dirige son regard aussi vers le dedans, et plus précisément vers les liens de sang qui le connectent au Congo colonial : des albums photos de son grand-oncle, qui a vécu en Afrique des années 30 à 1962, sont posés sur une table à côté de « souvenirs » physiques, des exemplaires de Kafka, de Congo de David Van Reybrouck, du Crime du Congo belge d’Arthur Conan Doyle, et d’amas noirs de sang de bœuf coagulé, comme témoins d’un temps révolu qui résonne lourdement dans le présent. Des photographies de Blancs portant le casque colonial, promenés par des Congolais, apparaissent à côté de merveilles naturelles consignées de manière presque touristique ou d’images d’une journée à la plage.
Ces scènes diverses reviennent aussi dans les 35 dessins préparatoires accrochés ensemble en une énorme grille contre un des murs. Mais ce qui provoque l’ébahissement ultime, c’est le caractère particulièrement expressif mais presque sans visage des personnages. Ce sont des figures fantomatiques, cachées derrière une sorte de masque mortuaire, comme sorties d’un autre monde, qui savent quelque chose qui nous manque. C’est à partir de l’étonnement et du respect pour ce qui se trouve derrière cette dimension ensorcelante que travaille Michaël Matthys. À partir de la conscience que les traits en condensation, presque organiques, sur le papier accentuent aussi la lumière, que ne pas tout montrer peut justement ouvrir des dimensions et que la confrontation, le fait de forcer la rencontre – comme le fait Été 78, uniquement accessible sur rendez-vous – peut engendrer un dialogue inespérément intime.

MICHAËL MATTHYS: NUITS SOMBRES > 14/3, na afspraak/sur rendez-vous/by appointment: info@ete78.com, été 78, Zomerstraat 78 rue de l’Été, Elsene/Ixelles, www.ete78.com

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