Michel Seuphor : infinies possibilités de la ligne

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
28/11/2013
(Michel Seuphor, Quel destin? Quel ruissellement d'étoiles? Quel spectacle?, 1967-1968 © Faculté de droit de Bordeaux)

Le FeliXart Museum met en avant une facette moins connue de l’écrivain et critique d’art français, mais anversois d’origine, Michel Seuphor : celle d’artiste plasticien. Dans une présentation chronologique limpide, on voit surgir et se développer son style personnel, fait de hachures parallèles et de lacunes.

L’abstraction à tendance géométrique a décidément le vent en poupe. Après Jo Delahaut et Victor Vasarely, c’est aujourd’hui Michel Seuphor (1901, Anvers - 1999, Paris) qui fait l’objet d’une exposition d’envergure à Bruxelles. Michel Seuphor, anagramme d’Orpheus, le poète légendaire de la mythologie grecque, Ferdinand Louis Berckelaers de son vrai nom, figure-clé de l’histoire de l’art dont l’existence épouse presque parfaitement les contours du XXe siècle.

(Michel Seuphor, Palpe-moi soleil, 1960 © Indivision Berckelaers / Michel Seuphor © Indivision Berckelaers)

Méditation sur la ligne
Dans un des reportages diffusés dans la salle de projection du musée FelixArt, on voit Michel Seuphor, à un âge avancé, dans son bureau plein à craquer de livres, tirer patiemment les lignes parallèles entrecoupées des « lacunes » qui constituent sa signature graphique. L’exercice est périlleux et demande beaucoup de concentration. « Je pense que son travail sur la ligne se rapprochait d’une forme de méditation », explique Sophie Berckelaers, petite-fille et légataire de l’artiste, dont elle était très proche. « Dans son œuvre littéraire, il a créé un personnage énigmatique, Dieudonné Calf, un Syrien à la parole laconique qui passe son temps à lisser des poils de chameau. C’est, pour moi, le pendant de l’artiste Seuphor lui-même tirant les lignes horizontales à l’encre de Chine. Parfois, je m’installais dans le bureau de mon grand-père et je le regardais travailler. Pour lui, c’était très apaisant. Ça lui permettait d’exprimer cet immense contenu spirituel qu’il vivifiait sans cesse par ses lectures ». Mais pour parvenir à cette voie personnelle basée sur la ligne, Michel Seuphor a parcouru tout un chemin, magnifiquement illustré par cette exposition.

Mondrian et la mer
Le dessin n’est pas la première vocation de Michel Seuphor. C’est d’abord un homme de lettres : poète influencé par Dada (il côtoiera Tristan Tzara), fondateur de revues et grand théoricien de l’art abstrait, un mouvement dont il a le privilège d’observer au premier rang la naissance et l’évolution. Photographe, Michel Seuphor immortalise ses amis artistes, notamment ceux du groupe Cercle et Carré qu’il fonde en 1929 avec le peintre uruguayen Joaquín Torres García. On peut voir dans l’exposition un cliché pris par Seuphor en 1930 où sont notamment réunis Hans Arp, Georges Vantongerloo, Vassily Kandinsky et bien sûr son grand ami Piet Mondrian. Mondrian, qui a influencé les premières œuvres à la gouache de Seuphor à la fin des années 20 - influence dont il se libérera rapidement, abandonnant la peinture pour orienter ses recherches autour de l’encre et de la plume - et qui a réalisé la maquette du décor de l’unique pièce de théâtre de Seuphor, L’éphémère est éternel (1926), que l’on trouve reconstitué dans la salle pédagogique musée.

(Michel Seuphor, La danse du mur, 1994 © Indivision Berckelaers)

« J’ai une fascination pour l’horizon calme de la mer, même quand elle est démontée », a déclaré Seuphor. « Chez Mondrian, je retrouvais l’horizon de la mer ». C’est aussi la mer qui revient dans des dessins unilinéaires - réalisés d’un seul trait de plume - de Seuphor dans les années 30. La mer et ses flots horizontaux contrastant avec la verticalité du mât d’un bateau, un schéma fondamental qui sera à la base de la suite de son travail plastique.

Vers l’universel
Bientôt, dans les lignes parallèles qu’explore Seuphor, les horizontales dominent. Elles s’éloignent ou se rapprochent en créant des vibrations dignes de l’art optique. Elles se prêtent idéalement à une transposition textile dans de somptueuses tapisseries. Elles s’interrompent de manière régulière pour laisser apparaître des formes, des lettres : les « lacunes » typiques de l’artiste où c’est paradoxalement le vide qui crée le motif. Les feuilles de dessins séparées s’unissent dans des ensembles plus grands, composés de 8, 12, ou même 16 cadres juxtaposés, qui envahissent l’espace. Formes, lignes, couleurs et textes se fondent enfin dans des tableaux-poèmes aux langues diverses. « Mon grand-père lisait le latin et le grec couramment », explique Sophie Berckelaers. « Il parlait français, néerlandais, allemand, anglais, espagnol... et il a aussi appris l’hébreu, le sanskrit et le chinois en autodidacte. Il disait qu’il fallait lire les textes dans leur langue d’origine et il se donnait la possibilité de le faire. Il se replongeait tout le temps dans Platon, L’Énéide, Goethe... Il se baignait dans la poésie des autres. Il ne menait pas un travail d’exégète ou d’historien, c’était un travail de poète à poète, au-delà des siècles, avec ce pont qu’est la langue ». Seuphor, une personnalité décidément étonnante, qui resurgit ici d’une bien belle manière.

MICHEL SEUPHOR • > 9/3, do/je/Th > zo/di/Su 10.30 > 17.00, €2,50/5, FeliXart Museum, Kuikenstraat 6, Drogenbos, 02-377.57.22, www.felixart.org

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