Pascal Bernier: désespoir enchanté en 2D et 3D

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
26/09/2012
(Bipolar Perversion, 2000 © Pascal Bernier/Sabam)

Le monde va mal, mais l’artiste bruxellois Pascal Bernier a pris le parti d’en rire, en détournant squelettes humains, animaux empaillés, fleurs et maquettes de bunkers. Il présente au Botanique son «cauchemar pop» où crise et fioritures festives se superposent ironiquement.

Il n’y a probablement que lui pour réunir en un seul tableau des références à la peinture minimale des années 70, à la vie sexuelle des escargots et aux attracteurs étranges découverts par le scientifique américain Edward Lorenz. Né en 1960, Pascal Bernier a rêvé d’être cosmonaute au moment de la conquête de l’espace, a connu une époque où l’optimisme régnait en maître et se déclare aujourd’hui « fasciné par une impression de gâchis extraordinaire ». Ses installations, ses vidéos (deux à ce jour : un snuff movie végétal et un porno asexué), ses dessins et ses peintures sans peinture concentrent, avec un goût prononcé pour l’absurde et de nombreuses références à l’histoire de l’art, les contradictions parfois effrayantes de notre monde.

Votre expo présente un « cauchemar pop ». C’est un peu paradoxal comme titre...
Pascal Bernier : Ça me semble illustrer assez fidèlement le sentiment que j’ai dans la perception de mon époque. Avec cet aspect flashy, pop, techno, toutes ces fioritures festives et divertissantes que nos sociétés nous imposent, dans un contexte de grave crise potentielle ou effective qui ne fait que s’amplifier. C’est un paradoxe qui est autour de moi et l’expo ne fait que l’illustrer, au pied de la lettre. « Cauchemar pop » est une locution qu’un critique italien avait employée concernant mon travail dans les années 90. J’avais trouvé à l’époque que c’était parfaitement adéquat. Et je me rends compte que depuis le début, même si ça s’exprime à travers des tas de séries différentes, ça reste la base de ce qui m’intéresse : non pas une critique du monde, mais plutôt une matérialisation visuelle des sentiments extrêmement paradoxaux que ce monde m’inspire.
Peut-on considérer A Pop Nightmare comme une rétrospective ?
Bernier : Ce n’est pas le but ici. Mais toutes mes expos pourraient avoir un aspect rétrospectif car je travaille par série et je considère chaque série comme un élément articulable aux autres. Par rapport à une trouvaille conceptuelle ou formelle, j’aime à épuiser le sujet, à le décliner pour voir jusqu’où il peut tenir dans une matérialisation artistique. J’ai fait ici quelques choix par rapport au lieu, qui a un look de musée des sciences naturelles du XIXe siècle et qui m’inspire beaucoup. Notamment dans les Accidents de chasse.
(WWF Luftwaffe, 1996 © Pascal Bernier/Sabam)

Vos fameux animaux blessés et soignés. Comment vous êtes-vous lancé là-dedans ?
Bernier : J’ai commencé les séries avec les animaux dans les années 90, en articulant ce choix à la tradition de la nature morte, qui est un genre pictural réputé « mineur » de l’époque baroque mais qui revient aujourd’hui. Ce genre m’intéressait parce qu’il permet de discourir de la finalité humaine et des rapports de pouvoir. Avant de passer aux animaux empaillés, j’avais fait une série avec des peluches vendues aux puces, donc abandonnées, qui étaient déjà extrêmement chargées affectivement. Comme elles étaient abîmées et sales, j’ai commencé à en faire des momies, avec des bandages. Le résultat formel me plaisait beaucoup et conceptuellement, ça me faisait penser à une momification des cadavres de mes rêves d’enfant. C’est un peu désespéré parce que je sais que mes rêves d’enfant sont morts, mais grâce à ce rêve artistique symbolique, leur cadavre n’est pas encore tout à fait froid... En allant à la chasse aux peluches, je suis tombé sur un faon empaillé. Comme tout le monde, j’ai pleuré à 5 ans devant Bambi. Ça me paraissait être un concentré affectif, avec en plus un destin assez tragique, une violence cachée : cet animal tué est transformé en objet décoratif, ce qui est déjà assez dur, et en plus, il finit abandonné aux puces.
Quand on voit ces animaux, on est irrésistiblement attendri.
Bernier : Dès le début, j’ai voulu parler de la manipulation affective, qui est très caractéristique de notre époque et qui a contaminé de nombreuses sphères, politique, culturelle... Ici, en soignant un objet - parce qu’un animal empaillé est un objet -, je provoque une émotion réelle chez les gens. Je ne le fais pas pour manipuler, mais j’aime mettre le doigt sur ce processus parce que ça me fascine. C’est même effrayant de voir à quel point tout le monde s’engouffre là-dedans. Ce n’est pas méprisant de ma part de dire ça, c’est juste un constat et c’est valable pour moi aussi. Je revendique le fait que ce ne soit pas cynique, j’assume le fait que ce soit un peu sarcastique ou ironique.
(Struggle for Afterlife, 2008 © Pascal Bernier/Sabam)

Il y a aussi beaucoup de crânes et de squelettes dans cette exposition...
Bernier : J’étais assez rock’n’roll quand j’étais jeune. Les squelettes et moi, c’est une vieille histoire d’amour. Il y a d’ailleurs ici des pièces qui sont assez anciennes. J’avais envie d’explorer les vanités, qui appartiennent aussi à la tradition de la nature morte. À l’époque, la vanité n’était pas redevenue à la mode et toutes les marques de luxe n’avaient pas encore sorti leurs têtes de mort à paillettes. Cette dérive de la vanité - qui est au départ une mise en garde morale par rapport à notre destinée d’êtres mortels et à la futilité du pouvoir, de l’argent, etc. -, sa neutralisation dans la sphère du divertissement, du luxe, de la mode et de l’art m’a elle aussi fasciné.
Vous voulez plutôt nous faire rire ou nous faire pleurer ?
Bernier : Toutes les choses qui m’effraient le plus ont un aspect burlesque. J’en suis le premier conscient : j’ai cette mentalité de considérer la vie comme une vaste blague. Sans tomber pour autant dans l’aigreur ou le cynisme. J’essaie de pratiquer le désespoir enchanté. C’est de nouveau paradoxal, mais c’est impossible de se frotter à quelque chose de complexe sans avoir des paradoxes qui vous tombent dessus...

Pascal Bernier: A Pop Nightmare • 26/9 > 18/11, wo/me/We > zo/di/Su 12 > 20.00, €2/3,50/4,50/5,50, Botanique, Koningsstraat 236 rue Royale, Sint-Joost-ten-Node/Saint-Josse-ten-Noode, 02-218.37.32, info@botanique.be, www.botanique.be

Fijn dat je wil reageren. Wie reageert, gaat akkoord met onze huisregels. Hoe reageren via Disqus? Een woordje uitleg.

Read more about: Expo

Iets gezien in de stad? Meld het aan onze redactie

Site by wieni