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Qu'est-ce que la mode bruxelloise ? Découvrez-le dans l'exposition 'Brussels Touch'

Michaël Bellon
© BRUZZ
03/09/2021

Peut-on parler d'un milieu de la mode bruxellois ? Et quelles en seraient les caractéristiques ? Voilà les questions que se pose le Musée Mode & Dentelle dans Brussels Touch, exposant les œuvres de plus de trente couturier.es bruxellois.es des quarante dernières années.

Lors des quizz télévisés, il n'est pas rare de devoir énumérer les six couturier.e.s du Groupe d'Anvers. Ces créateur.ice.s de mode, qui ont terminé leurs études dans les années quatre-vingt à l'Académie de Mode d'Anvers, ont mis notre petit pays sur la carte mondiale de la haute couture. Mais le milieu de la mode bruxellois, quant à lui, n'a jamais joui d'une telle réputation.

Et pourtant, Bruxelles mérite davantage d'attention. Voilà ce que veut prouver la curatrice Lydia Kamitsis avec sa grande rétrospective consacrée à l'influence de Bruxelles sur la mode contemporaine, des années quatre-vingt à aujourd'hui.

Kamitsis et le Musée Mode & Dentelle exposent les œuvres de pas moins de 33 couturier.e.s, dont pas mal de grands noms tels que Delvaux, Elvis Pompilio, Annemie Verbeke, Christophe Coppens, Sofie D'Hoore, Olivier Theyskens, Jean-Paul Lespagnard, Anthony Vaccarello, Cathy Pill ou Ester Manas. Même s'ils n'habitent ou ne travaillent pas tou.te.s à Bruxelles et que certain.e.s d'entre eux.elles viennent de l'étranger mais ont fait leurs études ici ou ont eu une boutique ici à un moment donné. L'exposition donne non seulement une image collective, mais également une impression du style de chaque créateur individuel. Elle offre une belle introduction au milieu de la mode bruxelloise, entre autres grâce à l'excellent guide du visiteur.

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| Jean-Paul Lespagnard.

L'idée de l'exposition est née en 2015, lorsque Kamitsis était la curatrice de l'exposition Crinolines & cie au Musée Mode & Dentelle, qui abrite 15.000 pièces de dentelle, de vêtements et d'accessoires, du XVIe siècle à aujourd'hui, mais qui depuis quelques années a entamé le dialogue entre l'Histoire et l'époque actuelle. Kamitsis a été conservatrice du Musée des Arts Décoratifs à Paris et est encore liée au Musée de la Mode et du Textile. En tant que conseillère, curatrice ou autrice, elle a, entre autres, organisé des expositions à propos de Christian Dior, Paco Rabanne et Madeleine Vionnet. Au MoMu d'Anvers, elle a été la curatrice d'une exposition consacrée à Olivier Theyskens. Et c'est donc à elle qu'a demandé la conservatrice du Musée Mode & Dentelle, Caroline Esgain, de mettre en valeur la collection contemporaine du musée.

Kamitsis : "On commence par les années quatre-vingt car c'est l'époque où deux événements importants ont eu lieu à Bruxelles : la création du département de Mode à La Cambre (en 1986) et l'ouverture de la boutique Stijl de Sonia Noël." Mais Kamitsis reste toutefois prudente. "Nous avons commencé à travailler sur cette exposition sans avoir de réponse à la question de savoir si l'on peut vraiment parler de mode bruxelloise. Ce n'est d'ailleurs probablement pas un terme pertinent. Cela n'a pas de sens de vouloir s'opposer à la mode anversoise ou tout autre milieu d'ailleurs. Après le Japon, la Belgique a joué un rôle important en tant que nouveau venu parmi les pays traditionnels de la mode. Et Bruxelles a aussi joué son rôle dans cela. Quand on rassemble les créateur.ice.s qui sont passés à Bruxelles, on remarque clairement quelques caractéristiques qu'on ne remarque pas ailleurs dans la même combinaison. D'où l'intitulé Brussels Touch, car il s'agit des qualités reconnaissables de la mode bruxelloise."

Humilité
Comme dénominateur commun, Kamitsis évoque la liberté de briser les coutumes de la mode, l'audace de vouloir créer une poésie de la banalité et la volonté de créer quelque chose de beau à partir de l'inhabituel. Pendant le parcours de l'exposition, que vous n'êtes, par ailleurs, pas forcément tenu de suivre, elle développe cinq caractéristiques typiquement bruxelloises, dont la première est l'humilité.

Kamitsis : "Cela ne signifie pas que les couturier.e.s bruxellois.es se cachent ou préfèrent se taire. Leur humilité est plutôt le résultat d'une réflexion engagée dans un environnement urbain divers. Cela se voit par exemple dans les créations intemporelles de Jean-Paul Knott, qui avait une boutique sur le Sablon, ou encore dans les formes universelles de Gioia Seghers ou l'élégance de Sofie D'Hoore."

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| Cathy Pill.

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| Ester Manas.

Une touche bruxelloise évidente, même si pas forcément exclusive, se manifeste par le sens de l'humour, le côté absurde et l'autorelativisation. Ceci s'illustre par une vitrine où on trouve entre autres le collier saucisse de Jean-Paul Lespagnard, ou encore la référence de Christophe Coppens à Magritte, les petits chapeaux-comme-accessoire-principal de Laetitia Crahay ou les chaussettes frivoles de Chevalier Masson.

Ensuite, il y a l'amour de l'artisanat : les ouvrages tissés de KRJST, les motifs à taches de Cathy Pill, les chaussures sculptées des Éts Callatay. Mais aussi la durabilité et l'upcycling, avec un pionnier comme Martin Margiela, tout comme le regretté artisan-artiste Eric Beauduin, qui a connu le succès jusqu'au Japon avec ses sacs confectionnés à partir de vêtements en cuir recyclés. Ou encore le côté inclusif du "One size fits all" d'Ester Manas.

Pour le côté plus festif et extravagant, les Bruxellois.es préfèrent la poésie au spectacle, estime Kamitsis. Elle fait par exemple référence aux chapeaux et casquettes iconiques de Pompilio, mais aussi aux anciens étudiants de La Cambre qui, de façon subtile, ont laissé une marque sur les grandes maisons de luxe, comme Theyskens (qui fut porté par Madonna et a fait des créations pour Nina Ricci), José Enrique Ona Selfa (Loewe), Anthony Vaccarello (Saint Laurent), et Julien Dossena (Paco Rabanne).

Ce n’est pas que les couturier.e.s bruxellois.es se cachent ou préfèrent se taire. Leur humilité est plutôt le résultat d’une réflexion engagée dans un environnement urbain divers

Lydia Kamitsis (curatrice)

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| Olivier Theyskens.

Quand on fait le compte à la fin de l'exposition, difficile en effet de parler des Six de Bruxelles. C'est notamment via La Cambre que de nombreux couturier.e.s ont fait leur entrée dans les grandes maisons et les grandes écoles de mode. Mais qu'est-ce qu'il manque à Bruxelles, alors ? Le rayonnement ? Car au bout du compte, de nombreuses boutiques comme celle de Coppens ou de Pompilio ont fini par mettre la clé sous la porte. Probablement un manque de visibilité, selon Kamitsis. Certain.e.s créateur.ice.s de mode jouissent d'une visibilité individuelle, mais la ville d'Anvers a davantage joué la carte du collectif, jadis avec le ModeNatie et maintenant au travers du MoMu. Serait-ce à nouveau cette tendance bruxelloise à ne pas faire trop de bruit ?

Mais qui sait, peut-être que cette exposition et le livre trilingue qui en est le fruit, publié aux éditions Lannoo, sont une première étape dans la démonstration de la diversité de la mode bruxelloise. L'exposition sera accessible pendant neuf mois sur les trois étages principaux du musée qui, de par son éclairage limité à 50 lux, baigne dans une calme obscurité, faisant automatiquement basculer toute l'attention vers les vêtements. Détail amusant : à l'occasion de l'exposition, le Musée a également ressorti des poupées de mannequin des périodes en question. Et en extra, vous avez droit à l'exposition temporaire Les Humeurs du Brillant, consacrée aux sacs à main de Delvaux. Et pour finir en beauté, le petit mannequin le plus connu de Bruxelles expose aussi quelques anciennes et nouvelles créations.

BRUSSELS TOUCH
> 15/5, Musée Mode & Dentelle, www.fashionandlacemuseum.brussels

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