Rami Hara: ‘Chaque personne sous son voile est unique’

Sophie Soukias
© BRUZZ
28/10/2021
© Rami Hara

Après avoir fréquenté les Rencontres de la Photographie d’Arles comme talent émergent, l’artiste basé à Bruxelles Rami Hara fait l’objet d’un solo à la nouvelle galerie marollienne that's what x said. L’occasion d’y présenter sa série Hooyo, dans laquelle il célèbre la beauté du voile islamique porté par sa mère.

Début juillet 2021 aux Rencontres de la photographie d’Arles. En marge du prestigieux festival international qui bat son plein, une délégation de huit photographes belges s’est emparée pendant deux jours des rues de la vieille ville sous la bannière Naître aux Mondes, un projet sélectionné dans le cadre de l’incontournable « programme off » des festivités, destiné aux artistes émergents. A l’ombre des remparts, de part et d’autre d’un escalier en pierres jaunies, les photographies de Rami Hara, artiste bruxellois d’origine somalienne, flottent au vent chaud du sud de la France. Le tissu d’habillement sur lequel les images ont été soigneusement imprimées fait poétiquement écho au sujet qui les habite : le voile islamique et plus particulièrement le voile porté par la maman de Rami Hara.

Alors que les passants, festivaliers et autres touristes dégoulinant de sueur, montent et descendent les marches du rempart, Rami Hara tape la causette aux curieux qui se sont arrêtés devant ses images. « C’était parfois compliqué », se souvient Rami Hara. « Certaines personnes n’étaient pas ouvertes au dialogue et s’accrochaient au récit du ‘hijab qui oppresse les femmes’. Je ne dis pas que ça n’est pas le cas dans certaines parties du monde mais mon travail porte sur les femmes musulmanes en Occident et l’importance de ne pas les mettre toutes dans la même catégorie et de ne pas leur ôter leur liberté de choix. »

Plus qu'un voile

Après sa visite arlésienne, Hooyo fait escale à la galerie fraîchement installée dans les Marolles that’s what x said. La série, imprimée sur papier cette fois, se décline sous la forme de portraits de femmes voilées posant avec puissance au milieu d’une variété de décors à la fois domestiques et urbains comme pour un magazine de mode. Avec une particularité : le tissu somptueux et les diadèmes qui les habillent sont posés sur leur tête de façon à rendre leur visage invisible. Si bien qu’elles habitent les images par leur présence seule, au-delà du sacro-saint regard qu’exigent les codes de la photographie de portrait. « Tout le monde semble obsédé par le hijab. Les femmes voilées sont souvent réduites à leur voile donc je voulais mettre l’accent sur ce phénomène, » dit Rami Hara.

Si les personnages mis en scène par Rami Hara sont voilés de la tête aux pieds, ils sont pourtant loin de se ressembler. Les motifs, la texture, les couleurs et les ornements de chaque étoffe, la façon dont la lumière danse différemment sur le tissu ondulé, confèrent à chaque voile sa beauté et sa personnalité propres. « Quand les gens pensent au hijab ou au voile, ils voient systématiquement les habits noirs et traditionnels, parce que c’est comme ça qu’ils sont représentés dans les médias. Je voulais montrer qu’ils ne sont pas tous les mêmes. De la même manière que chaque individu sous sa burqa est unique. »

Si Rami Hara s’est inspiré du vécu de plusieurs femmes voilées de son entourage pour construire sa série photographique, Hooyo est avant tout un hommage à la femme qui l’a mis au monde « ‘Hooyo’ signifie ‘mère’ en somali. Je voulais baser mon travail sur le hijab mais, en tant qu’homme, je n’étais pas sûr que c’était ma place. Alors je me suis mis à en parler à mère et en entendant ses expériences et la manière dont elle parlait du fonctionnement du monde et de la société, je me suis dit : pourquoi ne serait-elle pas ma muse ? »

Les femmes musulmanes sont tenues pour responsables du monde dans lequel nous vivons

Rami Hara

Les foulards sublimes qui animent les images de Rami Hara lui appartiennent. « J’étais avec ma mère quand elle les a achetés. C’était en 2018. Nous étions en Somalie pour rendre visite à mes grands-parents juste après avoir obtenu mon diplôme en arts visuels (à la LUCA School of Arts, NDLR) et ma mère a décidé d’acheter plus de vêtements. En regardant ces habits, je voyais une personnification de tous les aspects de sa personnalité : c’était coloré et sombre à la fois, beau et vibrant, j’y ai vu le moyen parfait de mettre en valeur son être. »

Une belle religion

En explorant le voile de sa mère, Rami Hara fait plus que d’en célébrer la beauté, il invite le spectateur à voir sous un jour nouveau ce morceau de tissu encore intensément diabolisé. « Le hijab est tellement un symbole de religion; cela met les femmes musulmanes sous pression. Elles sont tenues pour responsables du monde dans lequel nous vivons. » Arrivé en Belgique à l’âge de quatre ans, Rami Hara expérimente de plein fouet le regard porté sur les familles musulmanes. « J’ai toujours ressenti que nous étions perçus différemment et ça s’est aggravé avec le 11 Septembre. J’ai eu le sentiment que ça ne faisait que s’aggraver au point que des femmes musulmanes sont attaquées, certaines ont même été tuées, et ça se passe dans l’espace public. Comment peuvent-elles se sentir en sécurité dans la vie de tous les jours ? »

« Ma mère ne se laisse pas abattre par les regards négatifs sur notre religion et notre culture. Porter le voile ne l’a pas empêchée d’être une femme libre et de faire ses propres choix. L’islam est une très belle religion qui apprend aux gens à être patients, aimants, et attentifs aux autres, mais les médias se focalisent uniquement sur le fanatisme et les choses laides qui arrivent, » dit Rami Hara. « Croire en la liberté, la vraie liberté, c’est être capable de voir la beauté dans d’autres cultures. »

RAMI HARA: HOOYO
28/10 > 28/11, that’s what x said, www.thatswhatxsaid.com

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