Summer of Photography: Colin Delfosse

Sophie Soukias
© BRUZZ
14/06/2016

La folie des grandeurs est une pathologie propre aux dictateurs. Mobutu Sese Seko, roi du Zaïre, n'y a pas échappé. Le nouveau travail de Colin Delfosse, exposé dans le cadre du Summer of Photography, revient sur cet épisode récent de l'histoire du Congo.

Le photographe bruxellois Colin Delfosse, connu pour ses travaux sur les catcheurs congolais, les combattantes kurdes et l'héritage soviétique au Kazakhstan, a parcouru le Congo à la recherche des traces architecturales du règne de Mobutu Sese Seko : " Un homme accroché au pouvoir, à la tête d'un pays immense, sous-officier qui se rêve puissant parmi les puissants ". Le roi du Zaïre fut renversé le 17 mai 1997 par les troupes de Laurent Désiré Kabila, après trente-deux ans de pouvoir. À côté de ses projets visant à industrialiser le pays comme le barrage d'Inga et le réseau de télécommunication par satellite, Mobutu a également financé des projets personnels comme la transformation de son village natal en " une ville nouvelle dotée de tout le confort moderne " : Gbadolite. Si aujourd'hui la plupart de ces constructions – pour certaines inachevées – menacent de tomber en ruines, elles n'en sont pas pour autant inoccupées.

Colin Delfosse a retrouvé ces lieux, un par un, bravant les obstacles que représentaient l'obtention des autorisations et l'inaccessibilité de certains endroits, très reculés. Loin de se faciliter la tâche, il a effectué ses prises de vues avec une encombrante chambre technique des années septante :   " J'aime le côté brut et évanescent qui s'en dégage ". En plus de livrer une réflexion sur l'histoire récente du Congo, le photojournaliste de formation interroge son rapport à la photographie et aux sujets photographiés. " Je veux sortir des sentiers battus du photoreportage ". Une volonté qui avait commencé à s'exprimer à travers sa série de portraits d'habitants du Nord Kivu (2013). Avec son nouveau projet, exposé à Bozar dans le cadre du Summer of Photography et au BRASS, Colin Delfosse franchit une nouvelle étape dans ce processus.

Cela fait plusieurs années que vous travaillez sur le Congo. Vous avez traité de sujets d'actualité, de phénomènes de société et de culture. L'histoire était-elle le chaînon manquant ?
Colin Delfosse : Je voulais questionner l'histoire récente du Congo et non pas directement l'histoire coloniale qui est sans doute l'épisode le plus connu aujourd'hui en Belgique. Bien qu'il y ait d'excellents livres sur la question, je remarque qu'il y a finalement peu de connaissance de ce qui s'est passé après l'Indépendance, ce n'est pas un sujet qui a fait partie de notre apprentissage scolaire. On situe Mobutu et les deux guerres au Congo, mais on en sait finalement très peu. Comment se fait-il qu'un pays qui au sortir de la colonie était relativement riche et dont l'avenir s'annonçait radieux, a connu de telles dérives ? Le pouvoir autocratique mis en place par Mobutu et son appétit insatiable ont marqué le paysage congolais et les stigmates de cette époque sont encore visibles aujourd'hui. Ce sont ces traces que j'ai voulu photographier.

La ville de Gbadolite est sans doute l'exemple qui illustre le mieux ce que vous nommez " la folie des grandeurs " de Mobutu.
DELFOSSE : À Gbadolite, il y a d'une part, les palais et de l'autre, la ville utopique que Mobutu a faite construire à la fin des années septante quand il cherchait à tout prix à quitter Kinshasa où la situation s'envenimait. Aujourd'hui, on peut encore voir une peinture de Mobutu sur une stèle dressée au milieu de la ville. C'est sans doute le dernier monument encore debout dans le pays qui le représente, tous les autres ont été détruits. Mobutu voulait doter son village natal du confort le plus moderne et y transférer des bâtiments importants comme le siège de la banque centrale et le siège des institutions. Mais la plupart de ces projets n'ont jamais été achevés. Aujourd'hui, le palais de Gbadolite est occupé par des militaires et leurs familles qui se partagent le lieu tombé en ruines en délimitant l'espace avec des bambous. Cela m'a frappé de voir que tous ces lieux qui n'ont plus été entretenus depuis la chute de Mobutu sont aujourd'hui occupés.

Dans ce nouveau travail, ce sont les espaces et les constructions architecturales qui sont à l'honneur. L'humain est présent, mais dans son rapport à ces structures. C'est la première fois que votre distance avec le sujet est si grande.
Delfosse : Je voulais montrer les choses sous un autre angle. J'ai travaillé avec une chambre technique, c'est un matériel encombrant. Chaque lieu et chaque cadre doivent être bien réfléchis. Cela change le rapport au sujet photographié. Cette réflexion s'inscrit dans un processus très long qui a consisté pour moi à explorer d'autres voies de la photographie documentaire, en ajoutant une certaine subtilité à mon travail. Encore maintenant quand je termine un sujet, je me dis : " Ah, merde ! Ce n'est pas exactement ce que je voulais faire ! ", et donc la réflexion se poursuit. Je suis peut-être un peu lent à la réflexion (rires). Le photoreportage classique me parle moins. Récemment dans un édito de Libé, ils disaient qu'il fallait arrêter de croire qu'une photo pouvait changer le monde. Je suis assez d'accord.

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Qu'est-ce qui vous a amené au Congo en premier lieu ?
Delfosse : Mon premier voyage au Congo s'est fait au hasard alors que j'étais en reportage au Mali. Au début, je ne voulais pas travailler au Congo parce qu'en Belgique quand on parle de l'Afrique, on parle du Congo. Donc je voulais faire autre chose. En 2006, on m'a proposé d'aller à Kolwezi au Katanga pour couvrir les premières élections démocratiques en RDC depuis la chute de Mobutu. J'y suis resté deux mois. C'est là que tout a commencé. Le Congo est un pays en pleine effervescence et où on rencontre beaucoup de gens. À côté de mes commandes de presse, j'ouvrais grand les yeux à la recherche de sujets dont on n'a pas l'habitude de parler. C'est comme ça, par exemple, que j'ai commencé à photographier les catcheurs. Le fait de retourner régulièrement dans le même pays me permet de cultiver une idée, de donner une cohérence à mon travail, enfin j'espère. Même si ça reste toujours un regard occidental, parce que, très prosaïquement, je ne viens pas du Congo, et que mon regard sera toujours extérieur à cette réalité que je photographie.

Justement, quel est le rapport à l'image au Congo ?
Delfosse : Dans les villes, les gens sont assez peu réceptifs, voire réticents aux photographes. C'est en partie lié aux interdictions que Mobutu avait mises en place. Dans les villages, c'est évidemment plus facile, surtout lorsqu'on travaille pour une ONG. J'ai travaillé récemment pour le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies, qui est un bailleur de fonds important au Congo. Il y a donc un rapport différent qui s'installe avec les autorités qui, généralement, ne facilitent pas le travail. Dans certaines régions à l'est du pays, il y a eu de très nombreux journalistes qui sont venus travailler dans les camps de réfugiés, et une certaine lassitude s'est installée. Il m'arrive encore de photographier de telles situations, mais ce n'est pas la partie de mon travail que je veux mettre en avant. J'essaie de contrebalancer ce côté misérabiliste que l'on a trop souvent donné du Congo.

GBADOLITE, VERSAILLES DE LA JUNGLE
> 4/9, Bozar, www.bozar.be
THE RIVER THAT SWALLOWS ALL THE RIVERS
> 3/7, BRASS, www.lebrass.be

Summer of Photography

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