Interview

Rencontre cinéma Nova: l'Irak dans les yeux d'Abbas Fahdel

Sophie Soukias
© BRUZZ
08/09/2016

Dans le cadre de la nouvelle programmation du cinéma Nova, le réalisateur franco-irakien Abbas Fahdel viendra présenter Homeland: Irak Year Zero, un documentaire exceptionnel qui questionne l'invasion américaine en se plaçant du point de vue d'une famille irakienne, la sienne.

« La guerre est finie ! ». Elle est bien bonne celle-là. Combien de fois l’Histoire n’a-t-elle pas démontré que ce qui sonne comme une bonne nouvelle n’est, en fait, que le début de nouvelles souffrances et, souvent, l’annonce d’un autre conflit à venir. Cette réalité n’a pas échappé à l’art cinématographique qui a produit quantité de films sur les séquelles de la guerre. La nouvelle programmation du cinéma Nova The War is Over en propose un aperçu mêlant différents genres et époques. Homeland : Irak Year Zero, salué par la critique à sa sortie en 2015, compte parmi les films phares de la programmation.
En 2003 alors que l’invasion américaine se concrétise, le cinéaste basé à Paris Abbas Fahdel décide de retourner en Irak pour être auprès de ses proches et, par la même occasion, filmer leur quotidien avant et après la guerre. Le tournage est brutalement stoppé par la mort de Haidar, le neveu du réalisateur âgé de douze ans, victime d’une balle tirée par des bandits. Bouleversé, Abbas Fahdel ne peut plus toucher à sa caméra, ni aux heures de rush accumulées. Une dizaine d’années plus tard, et après avoir longuement hésité, il entreprend de monter les images. En résulte Homeland : Irak Year Zero, un film monumental de 5h30 divisé en deux parties qui, à travers le prisme de la famille, donne un visage et une voix à la population civile irakienne - dont la vie de tous les jours, la pensée, la culture, les espérances et les souffrances ont été systématiquement ignorées des médias. Abbas Fahdel sera au cinéma Nova le samedi 10 septembre.

Avec le recul des treize années qui nous séparent de l’invasion en Irak, on lit à travers votre film le drame qui s’annonce.
ABBAS FAHDEL : Lorsque je présente mon film, il arrive qu’on me demande ce que je pense de l’État islamique et je réponds que c’est le résultat de ce qu’ils viennent de voir dans mon film. C’est toujours la même guerre qui prend des formes différentes. Chaque guerre a son lot de souffrances et de frustrations, d’envies de vengeance. Dans mon film, on croise plusieurs personnes dont un membre de la famille a été tué par l’armée américaine et qui disent: « Si je croise un Américain, je le tue ». La guerre bouleverse l’équilibre d’un pays, elle crée le chaos et le chaos profite à l’apparition de bandits et de mouvements terroristes. C’est une sorte d’engrenage dans lequel l’Irak est entré il y a presque 30 ans, et puis le monde entier.

Vous avez choisi de filmer vos proches. Est-ce que vous cherchiez à montrer une famille irakienne typique ou à capter la famille dans sa dimension universelle ?
FAHDEL: Pendant la première Guerre du Golfe j’étais à Paris en train de faire mes études et je culpabilisais de ne pas être avec mes proches. J’ai beaucoup souffert parce que tous les moyens de communication étaient coupés et je ne savais pas ce qu’ils devenaient. Je ne voulais par revivre cela, alors l’idée première c’était de les rejoindre. Ensuite, le hasard fait que ma famille est représentative de la classe moyenne irakienne. Si cette classe s’est énormément appauvrie avec la guerre, c’est elle qui porte le pays et sa culture. Quant au côté universel de la famille, ce fut pour moi une grande surprise. Je pensais que ma famille était une famille irakienne donc qu’elle ne pourrait être comprise que par les Irakiens et les Arabes. Mais je constate que même ici les gens s’identifient à cette famille et y voient la leur. Je trouve ça bien, ça veut dire que nous sommes frères dans l’humanité en quelque sorte.
Le personnage de Haidar est très attachant, il crève littéralement l’écran. La présence centrale d’un enfant dans le film offre un regard particulier sur les événements, de par son innocence.
FAHDEL: Haidar s’est emparé du film, ce qui n’était pas prévu. Il était tellement présent, tellement intelligent, tellement vivant. J’ai donc vite compris qu’il allait être un personnage important mais franchement pas à ce point. Au montage, douze ans après, je revoyais les rushes, c’était évident qu’il allait être le personnage principal. J’ai monté tout mon film à partir de la dernière séquence. Et ce que vous dites sur l’innocence des enfants est vrai. Ils ne se censurent pas, contrairement aux adultes qui se censurent par peur, par intérêt, par pudeur. D’ailleurs, Haidar nous a mis en danger plusieurs fois.

Dans la deuxième partie du documentaire, on voit des studios de cinéma détruits et avec eux, toutes les bobines de film. Homeland est aussi un travail de mémoire.
FAHDEL: La première motivation était de documenter ce qui allait arriver parce que je savais que ça allait être un moment historique, que tout allait être bouleversé, que ça ne serait jamais plus comme avant. La seconde, c’était la souffrance que j’éprouvais par rapport à ce que je voyais dans les médias déjà depuis la première Guerre du Golfe. Les 25 millions d’Irakiens étaient complètement absents. Les seules images étaient issues soit de la propagande américaine, soit de la propagande irakienne. On ne voyait que des soldats, des avions, des missiles tomber sur Bagdad, mais jamais des gens.
Ce film constitue une expérience personnelle très douloureuse. Depuis sa sortie en 2015, il est reçu extrêmement positivement. On a l’impression que les gens ont compris le message que vous vouliez transmettre. Est-ce que quelque part cela permet d’atténuer la douleur ou du moins de lui donner un sens ?
FAHDEL: J’ai passé un an et demi à faire le montage et j’ai pleuré tous les jours. Aujourd’hui, j’arrive à maîtriser mes émotions. Je ne m’attendais pas à d’aussi bonnes critiques, ce film je l’ai fait par devoir. Je pensais qu’il serait essentiellement apprécié par les Irakiens. Ce qui me réjouit, c’est la réaction de ma famille. Comme vous pouvez l’imaginer, ils sont incapables de voir ce film mais ils le suivent sur facebook etc. Ils voient que le film est bien accueilli partout dans le monde et que Haidar est très apprécié. Cela donne un sens à sa mort, il n'est pas mort pour rien.

HOMELAND: IRAK YEAR ZERO
PART 1 Before the Fall: 10/9,18/9,22/9,2/10&16/10
PART 2 After the Battle: 10/9,18/9, 2/10,6/10&16/10
Cinema Nova, www.nova-cinema.org

D’autres films de la programmation du Nova The War is Over :
Let there Be Light de John Huston et Birth of a Nation de Griffith comptent parmi les grands classiques. Le film de zombie, moins connu, Deathdream raconte le retour au foyer d’un officier américain pourtant déclaré mort au Vietnam. L’actualité est abordée par le genre documentaire avec notamment les films Of Men and War de Laurent Bécue-Bernard, racontant le stress post-traumatique de vétérans US et la trilogie post 11 septembre de Laura Poitras dont Citizen Four qui a remporté un Oscar.

THE WAR IS OVER
​8/9 > 2/11, Cinema Nova, www.nova-cinema.org

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