Interview

Stéphanie Blanchoud: ‘Un mec violent, c’est sexy, une femme violente, c’est tabou’

Niels Ruëll
© BRUZZ
06/02/2023

Nous retrouverons plus tard cette année la musicienne et actrice Stéphanie Blanchoud dans la troisième saison d’Ennemi Public. Ce mois-ci, elle en vient aux mains avec sa mère dans La Ligne d’Ursula Meier, habituée des festivals. Entretien en douceur avec la meilleure artiste boxeuse de Bruxelles. « Les mots m’ont sauvé la vie. »

Êtes-vous violente ? « Pas du tout. » Ceux qui pensent qu’il s’agit là d’une entrée en matière rustre ou étrange pour une interview d’une artiste bruxelloise en pleine forme n’ont pas encore vu La Ligne. Avec ce film, son troisième, la réalisatrice suisse et bruxelloise Ursula Meier a concouru pour l’Ours d’Or du Festival du film de Berlin l’année dernière. Soyez à l’heure à la séance car ça commence par le climax. La musicienne Margaret en vient aux mains avec sa mère et obtient une ordonnance restrictive du juge. Elle n’est pas autorisée à s’approcher à moins de 100 mètres de la maison de sa mère. Sa plus jeune sœur peint une ligne au sol pour marquer la frontière. L’avantage de la clarté. Tous les jours, la colérique Margaret revient sur la ligne.

C’est un rôle de premier plan pour Stéphanie Blanchoud. Dans des salles de concert comme le Botanique et le Cirque Royal, elle chante ‘Rendez-vous’, ‘À quoi ça rime’ ou d’autres chansons qu’elle a écrites elle-même. Dans des salles de théâtre comme au Théâtre de la place des Martyrs, elle interprète des pièces de Marguerite Yourcenar. Dans les salons, on fait silence quand elle se retrouve au centre d’affaires criminelles médiatisées dans le rôle de l’inspectrice de police bruxelloise Chloé Muller. La troisième saison de la série populaire Ennemi Public est dans la boîte mais n’a pas encore été diffusée.

Vous vous êtes déjà battue ?
STÉPHANIE BLANCHOUD : Jamais. J’ai fait de la boxe amateur pendant des années mais sans faire de compétition. Même si le moment où l’on monte sur le ring pour donner et recevoir des coups m’a toujours fascinée. Non pas que j’aurais été capable de le faire. J’aime l’entraînement de boxe. Dans ce cadre contrôlé, j’ai parfois ressenti ce que c’est que de prendre un coup de poing ou ce qui arrive à ton corps quand tu n’as pas d’autre choix que de donner des coups de poing toi-même. Mais c’est tout.

La boxe est un sport fascinant et riche en histoires. Comment avez-vous commencé ?
BLANCHOUD : Je l’ai raconté dans Je suis un poids plume, une pièce avec laquelle j’ai écumé les théâtres. Après un divorce, à un moment compliqué de ma vie, j’ai eu envie de faire quelque chose qui me fasse du bien. Après vingt ans de tennis, j’avais envie d’un sport dans lequel je pouvais me lâcher totalement pour me défouler. Je me suis retrouvée par hasard dans une petite salle de boxe à Bruxelles. Je pensais que c’était un sport bien trop dur pour moi. Mais l’entraîneur de boxe était génial et je suis devenue accro à l’entraînement intense. J’ai retrouvé les sensations de l’époque où je pratiquais le tennis de compétition à l’adolescence. J’allais à la salle de boxe trois fois par semaine. Aujourd’hui, je ne fais de la boxe qu’une heure par semaine. Pas possible d’en faire plus en ce moment. C’est juste assez pour garder un peu la forme et la souplesse et me défouler.

Votre expérience de la boxe aurait-elle joué un rôle dans le choix d’Ursula Meier de vous faire jouer une femme violente ?
BLANCHOUD : Lorsque nous avons discuté de l’idée d’un film autour d’une femme violente, cela a peut-être inconsciemment joué un rôle. Elle a vu Je suis un poids plume. Une femme de 35 ans qui a besoin de cogner, c’est rare. C’est tabou, ce n’est pas à la mode. Mais Ursula ne fait pas un cinéma à la mode, elle va toujours à contre-courant et c’est là sa force. Son cinéma est dur mais perdure. Home, son premier film en 2008, fait encore parler de lui.

Margaret est complexe mais il lui en faut peu pour péter un plomb. D’où est venue l’idée de construire un film autour d’elle ?
BLANCHOUD : Nous n’avons pas opté pour une explication facile. Elle a déjà 35 ans. Elle n’a pas de problème de drogue. Elle ne vient pas d’un milieu défavorisé. Alors comment la défendre ? Nous avons découvert un phénomène intéressant. À Genève, nous nous sommes entretenues avec la directrice de Face à Face, une organisation qui soutient les femmes violentes. C’est un sujet tabou. Si une femme a un œil au beurre noir, on se dit qu’elle a été battue. Alors qu’en fait, elle a peut-être surtout donné des coups. On a créé – au début, j’ai coécrit le scénario – petit à petit le monde autour de Margaret. Elle a une mère encore plus violente à sa manière, et deux sœurs qui tentent chacune à leur façon d’échapper à l’emprise de leur mère.

SELECT 0223 Stephanie Blanchoud

| Après avoir obtenu le rôle principal dans la série télé Ennemi Public en 2016, Stéphanie Blanchoud est en tête d’affiche du dernier film de Ursula Meier La Ligne.

Pourquoi défendre Margaret ? Je peux citer des centaines de films sur des hommes violents.
BLANCHOUD :
Exactement. Et cette violence est acceptée. Pire encore, on trouve qu’un type violent qui renverse des tables et se bat est sexy dans un film. Mais une femme qui fait la même chose, c’est tout de suite beaucoup plus compliqué pour le spectateur. Comme cela paraît exceptionnel, on a tendance à expliquer pourquoi Margaret est violente. Mais nous essayons de résister à cette tendance. On n’explique pas, on ne donne pas de pathologie. Le contexte est clair mais le mot borderline n’est pas utilisé, par exemple. Elle est comme ça. Elle n’a pas de filtre. Elle a peu de self-control. Elle est imprévisible. Un an avant le tournage, j’ai dû arrêter d’écrire pour arriver sur le tournage aussi vierge que possible. Sur le set, l’idée était que dès que quelqu’un la touche, elle perd son sang-froid.

La Ligne s’ouvre sur une violence brute avant de s’adoucir progressivement.
BLANCHOUD :
D’habitude, une histoire commence par une rencontre qui peut dégénérer éventuellement en violence. Ursula a choisi de commencer par le climax. Après cela, Margaret semble effectivement s’adoucir. Ursula a insisté pour s’attaquer à la scène d’ouverture dès le premier jour de tournage. Cela a mis toute l’équipe en alerte. Et moi aussi. J’ai tout de suite été couverte de bleus. Même si la violence est chorégraphiée – il faut qu’elle le soit si on ne veut pas d’accidents – je me faisais traîner par terre. C’est extrêmement violent. Pour Ursula, ce n’était jamais assez : elle voulait des animaux en cage. Valeria m’a énormément aidée.

L’actrice et réalisatrice franco-italienne Valeria Bruni Tedeschi n’a pas la réputation de passer inaperçue, comment s’est passée la collaboration ?
BLANCHOUD : Nous avons écrit le rôle spécialement pour elle, un souhait d’Ursula, et elle a été très vite impliquée. Dans le film, elle est totalement insupportable pendant trois quarts d’heure et elle arrive encore à vous toucher après. Elle n’a pas de filtres. Elle est capable de tout. Elle peut jouer n’importe quoi. Je n’avais jamais vu ça. J’ai malheureusement eu peu de scènes avec elle car l’histoire nous sépare. Mais pendant cette fameuse scène d’ouverture, elle était assise sur une chaise quand elle n’était pas à l’écran et elle me lançait des mots horribles pour me chauffer au point d’avoir envie de la tuer.

Ce n’est pas parce que vous êtes à la fois musicienne et actrice que vous aimez jouer les musiciennes dans les films et les séries. Trouviez-vous que c’était une bonne idée de faire de Margaret une musicienne ?
BLANCHOUD :
J’ai hésité. Je ne voulais pas au début. Tout comme Benjamin Biolay (le musicien et acteur français qui joue l’ex serviable de Margaret, NDLR). Il n’a rien dit à ce sujet mais c’est la première fois qu’il accepte un rôle de musicien alors qu’on lui a demandé à plusieurs reprises. Ursula a réussi à me convaincre. Nous voulions montrer non seulement les côtés sombres de Margaret, mais aussi ses qualités. Nous voulions faire comprendre qu’elle avait également hérité de quelque chose de positif de sa mère. C’est comme ça qu’on s’est retrouvé avec la musique. La musique est un excellent contrepoint à la violence. Dès que Margaret chante, elle est plus douce. Trois accords suffisent pour une palette différente.

Quel impact Ennemi Public a-t-il eu sur votre vie ?
BLANCHOUD : En Belgique francophone, je ne suis plus une inconnue. Je dois beaucoup aux réalisateurs Matthieu Frances et Gary Seghers. Ils m’ont confié le rôle principal sans que j’aie une grande expérience au cinéma ou à la télévision. La série a également eu un impact positif sur mon évolution. Une telle série est une bonne école de théâtre. Parce que tout doit se passer très vite. Ne plus avoir peur devant la caméra. En mars, toutes les saisons seront sur Netflix, ce qui est une bonne nouvelle pour la visibilité.

Est-ce qu’Ennemi Public demande beaucoup de temps ?
BLANCHOUD :
Ça prend énormément de temps. On est parti pendant quatre, cinq mois à chaque fois. La nouvelle saison ne comporte que six épisodes, ce qui représente tout de même soixante jours de tournage. Mais ne pensez pas qu’Ennemi Public a englouti ma vie. La Belgique francophone ne connaît pas le star-system français.


Est-ce la musique votre premier amour ou le théâtre ?
BLANCHOUD : L’écriture a été mon premier grand amour. J’avais 12 ans et j’écrivais des poèmes et des chansons. Les mots m’ont sauvé la vie. J’ai eu une enfance extraordinaire jusqu’à ce que mes parents se séparent. J’avais neuf ans à l’époque. Un déséquilibre est apparu. Je prenais plaisir à ouvrir un cahier et à écrire et écrire. Je n’ai partagé ça avec personne. La joie de jouer n’est venue qu’après une chouette expérience lors d’un spectacle à l’école.

« On m’a souvent demandé pourquoi je ne voulais pas choisir entre la musique et le théâtre. J’ai eu du mal avec ça »

Et comment la musique est-elle entrée dans votre vie ?
BLANCHOUD : Je ne jouais d’aucun instrument. Je faisais beaucoup de sport et il n’y avait pas de place pour l’académie. Je regrette de ne pas avoir commencé la musique plus tôt. J’en ai beaucoup écouté et j’aimais ça. Au Conservatoire de Bruxelles, j’ai aussi pris des cours de chant. J’ai découvert qu’il m’arrivait un truc bizarre physiquement quand je chantais. J’ai décidé de combiner les deux disciplines. Même si cela ne plaît pas à tout le monde.

Vous donnez l’impression de faire quelque chose de scandaleux.
BLANCHOUD :
En Angleterre, les artistes peuvent écrire, jouer et chanter sans problème. Ici, cela a été atypique pendant longtemps. On m’a souvent demandé pourquoi je ne voulais pas choisir. J’ai eu du mal avec ça. Heureusement, ça va mieux aujourd’hui. Ma vie est plus remplie par mon travail d’actrice que par la musique. Mais c’est un concours de circonstances. Je mets un point d’honneur à continuer ma musique. Même si elle est intime et que les médias ne s’y intéressent pas beaucoup pour l’instant. La musique me complète.

À propos, Ursula Meier n’a-t-elle pas réalisé le magnifique clip de ‘Décor’, votre duo avec Daan ?
BLANCHOUD : C’est vrai ! Je la connaissais depuis un certain temps, mais c’était notre première collaboration artistique. J’ai beaucoup travaillé avec Jean-François Assy, un violoncelliste qui a également joué avec Daan. J’ai donné à Daan une idée pour une mélodie. En une nuit – Daan ne travaillait que la nuit à l’époque – nous avons transformé cette idée en chanson dans son studio de l’avenue de la Couronne. Il n’y avait pas de budget pour le clip. Nous l’avons tourné en deux nuits – j’ai dû répéter pendant la journée – dans une ancienne salle de boxe. Les figurants que nous avons trouvés à la dernière minute ont dansé une chorégraphie autour du ring. Daan était 100 % rock. C’était à l’arrache mais c’était super.

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