D Festival: Olga de Soto remonte le fil

Gilles Bechet
© Agenda Magazine
29/05/2014
(© Gautier Deblonde)

Au D Festival, le focus se porte sur la chorégraphe espagnole basée à Bruxelles Olga de Soto, avec un projet en deux volets consacré à un spectacle majeur de la danse du XXe siècle dont elle remonte les traces laissées dans les mémoires aujourd’hui.

La Table verte de Kurt Jooss est représenté pour la première fois le 3 juillet 1932 à Paris, au Théâtre des Champs-Élysées. Le ballet du chorégraphe allemand constitue une des œuvres majeures de la danse du XXe siècle. Ses huit tableaux combinant danse et mime dénoncent avec force, dans une danse macabre, la montée du fascisme et les alliances incestueuses entre les pouvoirs militaires et industriels. Accueilli avec enthousiasme par les uns et avec horreur par les autres, le ballet a continué être joué jusqu’à aujourd’hui. Fascinée par cette œuvre emblématique, Olga de Soto lui a consacré un diptyque. Dans un premier spectacle, Débords, elle confronte six danseurs aux traces laissées par l’œuvre dans l’esprit de ceux qui l’ont vue ou dansée à différents moments de l’histoire et dans différents pays. Dans l’autre, Une Introduction, elle explique sa démarche personnelle.

Pourquoi vous intéressez-vous à La Table verte aujourd’hui ?
Olga de Soto : Dans le cadre de l’un de mes précédents spectacles, Histoire(s), j’ai fait des recherches autour de Le Jeune Homme et la Mort de Cocteau, créé en 1946, pour retrouver des spectateurs qui avaient assisté à la première. En cours de route, j’ai pensé qu’il serait intéressant d’appliquer la même approche à La Table verte. Entre le moment où j’ai commencé à y travailler et la première du spectacle, les résonances des thèmes évoqués n’ont cessé d’évoluer avec la crise financière et tous les nouveaux conflits qui apparaissaient. Tout cela me confortait dans l’envie de chercher ce qu’il pouvait rester aujourd’hui de cette œuvre novatrice.

Qu’est-ce que ces recherches ont fait apparaître ?
De Soto : Au début, je voulais récolter un maximum d’infos et puis les pistes de recherches se sont multipliées. J’ai cherché des gens qui ont vu La Table verte à différents moments de son histoire. J’ai essayé de comprendre l’impact de l’œuvre, ce que cela peut faire aux spectateurs, ce qu’ils en gardent. Je voulais comprendre si l’art a une utilité dans la vie des gens. Ce qui m’a impressionnée, c’est la manière dont le message a voyagé à travers le temps. Aujourd’hui, l’esthétique pourrait être une barrière mais le message que Jooss a voulu traiter dans la pièce palpite encore. La plupart des gens que j’ai interviewés s’en souviennent au présent. Un danseur américain qui a vu la pièce en 1967, en pleine époque de conscription pour le Viêtnam, me disait que rien n’avait changé, que cette pièce résonnait toujours en lui. Dans ces interviews, il y a beaucoup d’affect. Beaucoup de gens ont dit que ce spectacle avait changé leur vie.
(© Gautier Deblonde)

Comment avez-vous structuré les deux spectacles à partir de tout le matériau recueilli ?
De Soto : Une Introduction est une performance documentaire où je prends la parole. Je montre des images d’archives. En plus de 70 ans, un grand nombre de danseurs ont dansé La Table verte, j’essaie de les recenser tous mais je n’y suis pas encore arrivée. Je tends une ligne entre le passé et le présent. J’explique ce qui me touche, ce que je recherche. Débords est un dispositif complexe mis en place par six danseurs qui se font vecteurs de ces mémoires, réceptacles de six rôles de La Table verte et qui permettent au dispositif d’avancer. On est dans un rapport au temps. Ce n’est pas de la danse pure. Ce sont des formes qui émergent et débordent à plusieurs endroits. L’acteur principal, c’est le film. Je travaille avec des images vidéo à partir des 67 heures d’interview que j’ai collectées. Dans le spectacle, j’explore tout le champ imaginaire qu’on peut activer avec un dispositif frontal proche de l’installation artistique. La présence visuelle et émotionnelle des témoins enregistrés contraste avec la présence physique des danseurs.

Qu’avez-vous retiré de ce travail ?
De Soto : Une œuvre n’est pas seulement ce que les gens voient sur scène, elle continue à faire réfléchir et à faire ressentir les choses. Débords a été créé en 2012, on l’a déjà présenté au Portugal, en Allemagne, en France et en Belgique. Et ça ne résonne jamais de la même manière. À Lisbonne, c’est comme si les mots disaient encore plus que ce qu’ils disent, c’est interpellant. La Table verte évoque les conditions économiques lors de l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Pour une partie du public portugais, il y a identification alors que des gens ont de nouveau du mal à joindre les deux bouts, à trouver du boulot ou de quoi se nourrir. On est dans un moment particulier où ce spectacle trouve un écho très pertinent.

Débords. Réflexions sur La Table verte 6 & 7/6, 20.30 & Une Introduction 13 & 14/6, 20.30, €5/7,50/10, Théâtre Les Tanneurs


D COMME DANSEURS
Le D Festival, c’est deux lieux qui s’associent, Les Tanneurs et le Marni, pour conjuguer danse, curiosité et convivialité. On y verra deux créations, des reprises et des activités pour enfants.
Née à Schaerbeek et formée à P.A.R.T.S., la danseuse Fanny Brouyaux collabore avec le chorégraphe marocain Taoufiq Izeddiou. Pour sa création Un bruit... (3 > 5/6, Marni), elle revient sur un épisode marquant de son adolescence. Elle avait 16 ans lorsque la famille Isnasni se fait assassiner, à deux pas de chez elle. Elle participe alors à une chaîne humaine organisée par le comité de quartier. Douze ans plus tard, elle initie une autre chaîne humaine par le moyen d’expression qu’elle connaît le mieux, la danse contemporaine. Au départ d’un solo viscéral, elle invite différents artistes belges et marocains rencontrés sur son parcours à amplifier sa partition corporelle comme une rumeur dansée.
(Harsh Songs © Charlotte Sampermans)

Avec malice et obstination, Mauro Paccagnella creuse et explore de nouveaux terrains d’expression pour la danse. Dans Harsh Songs (photo, 11 > 13/6, Marni), sa dernière création, il forme, avec Tijen Lawton et Gaëtan Bulourde, un trio qui joue la musique des corps. Comme des stars éphémères, ils prennent la pose, rêvent d’Amérique et de hits, s’habillent comme des grands et jouent les jeux auxquels s’adonnent les garçons et les filles. Au programme également, Lands, premier solo d’Éléonore Valère-Lachky, qui est une remontée aux sources du mouvement, Hérétiques d’Ayelen Parolin, une danse chamanique entre transe et endurance, et Monsters de Nicanor de Elia et Sabina Scarlat, un jeu d’ombres avec la noire matière plastique qui hante notre futur proche.


D FESTIVAL • 3 > 14/6, Théâtre Marni, rue de Vergniesstraat 25, Elsene/Ixelles, 02-639.09.82, www.theatremarni.com & Théâtre Les Tanneurs, Huidevettersstraat 75-77 rue des Tanneurs, Brussel/Bruxelles, 02-512.17.84, www.lestanneurs.be

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