Europalia India : l’Inde pour les nuls

Jean-Marie Binst
© Agenda Magazine
02/10/2013
(The Emergence of Spirit and Matter, attributed to Shivdas - Jodhpur c. 1828 © Mehrangarh Museum Trust, Jodhpur)

« Meilleure que le monde entier est notre Inde », c’est ce que déclare une vieille chanson patriotique à propos de ce pays aussi grand que l’Europe, tout aussi multiple et donc difficile à saisir. L’exposition qui ouvre le Festival Europalia India, Corps de l’Inde, mise en tout cas sur l’accessibilité avec un thème idéal : le corps.

Dans la série des pays du BRICS, l’Inde n’avait pas encore été invitée au sein du festival biennal Europalia. « C’est un pays que l’on connaît très mal », explique Kristine De Mulder, directrice générale d’Europalia International. « Nous associons toujours l’Inde à ses traditions, mais le pays a un incroyable potentiel mondial dans les arts visuels et de la scène contemporains et dans la littérature. La plus grande industrie cinématographique du globe se trouve aujourd’hui en Inde, et ça dépasse Bollywood à Mumbai. Le film Ugly l’a encore prouvé au Festival de Cannes ».

Pourquoi un festival pour faire connaissance avec ce pays ?
Kristine De Mulder : La diaspora indienne est la deuxième plus grande du monde. Beaucoup d’Indiens vivent en Europe. Celui qui croise à Bruxelles quelqu’un qui porte un point sur le front peut trouver ça bizarre, voire avoir une certaine appréhension, et toujours garder de la distance avec ces gens. Si on sait pourquoi cette personne fait cela, on facilite l’accès pour un contact positif. Finalement, « en savoir plus sur les autres » contribue à une meilleure communication, à une meilleure collaboration et même à un monde meilleur.

L’Inde a des tabous et l’Occident entretient pas mal de clichés sur ce pays.
De Mulder : Il ne faut pas esquiver les clichés, pas même dans les expositions. Ils sont souvent vrais. Le problème d’un cliché, c’est qu’il dresse un écran qui cache tout le reste. Et les tabous, qui n’en a pas ? Les Indiens nient qu’il y a des castes qui persistent. Si on peut replacer ça dans le contexte historique, on le comprend bien. C’est extrêmement important, surtout à Bruxelles où tellement de cultures cohabitent, de comprendre chaque culture. C’est ce qui explique qu’Europalia propose toujours son exposition principale comme une initiation générale et un panorama historique. (image : Manasa ghata - Barisal, Bangladesh c. 20th century © Asutosh Museum, Kolkata)

Comment rassembler en une seule exposition tous les styles culturels et les religions de l’Inde ?
De Mulder : Nous sommes parvenus à ce « tour de force » qui consiste à couvrir l’histoire de l’art indien de 3000 avant notre ère jusqu’à aujourd’hui en utilisant le « corps » comme fil rouge. Qu’il s’agisse de sculptures de divinités, de miniatures, de manuscrits, de saris, de bijoux, de musique ou de photographie : on voit partout le corps comme référence. Mais dans chaque région, c’est différent. Et aussi dans chaque religion. L’exposition se divise en huit thèmes où toutes ces expressions artistiques sont abordées. On commence avec une salle sur la mort, puis on passe à la naissance, à l’astrologie, aux sens, au corps idéal pour revenir au début. L’idée du cycle est évidente parce qu’après la mort vient la réincarnation.

Comment le visiteur expérimente-t-il un thème au niveau visuel ?
De Mulder : Pour chaque thème, on a veillé à n’oublier aucune répartition régionale de cultures et de religions. Nous ne voulions pas d’exposition traditionnelle de sculptures parce que les « dieux » sont suffisamment représentés dans les formes et les styles. Il y a une diversité de documents au sein de chacun des huit chapitres. Notre partenaire en Inde, Naman Ahuja de la School of Arts and Aesthetics, a vraiment été attentif à éviter les pièges, comme le simplisme de l’image que les Occidentaux se font de l’Inde. Cela aurait donné un portrait faussé si nous avions seulement mis en avant les magnifiques objets hindous, ou seulement les périodes impériales les plus importantes, ou seulement les régions les plus intéressantes. Dans chaque thème, tout cela est abordé, des différents styles aux différentes religions. Par exemple, dans le thème de la mort, on apprend non seulement comment celle-ci est traitée par les bouddhistes, mais aussi par les musulmans, les chrétiens, les sikhs, les hindous, avec leur rituels du Gange, et par le jaïnisme non violent.

Que nous apprend le thème du « corps idéal » ?
De Mulder : Il s’agit de l’état de perfection pour les Indiens. Il y a différents idéaux à travers l’histoire. Ce qui est intéressant pour nous, c’est qu’à un certain moment, le bouddhisme a mis en avant le corps enrobé comme idéal. Tandis qu’avec l’arrivée des Grecs, c’est l’idéal du Ghandara qui a surgi : l’homme-dieu, sur le modèle du héros Héraclès. Cela évoluera un peu plus tard avec des statues aux tailles fine, dans la période des Gupta (au IVe et Ve siècle après Jésus-Christ, qui donnera naissance à l’hindouisme moderne, NDLR). Ce modèle de tailles fines se répandra à son tour dans toute l’Asie. On voit la manière dont ces images idéales surgissent et deviennent courantes par exemple dans les textes védiques. C’est là que l’on trouve la règle de la représentation parfaite des dieux : « prenez un certain écart entre l’index et le pouce, multipliez-le X fois et cela donne la grandeur idéale du corps ». Mais ce n’est pas tout : à côté de l’idéal pour les dieux, il existe aussi des prescriptions d’idéal pour les nains, les gros, etc. Il n’y a pas un seul idéal de perfection en Inde.

Qu’est-ce qui fait que nous nous reconnaissons dans ces thèmes liés au corps ?
De Mulder : Dans les 200 objets provenant de musées et de collections privées, on a cherché ce qui pourrait totalement surprendre, des choses inédites chez nous. Lorsque, à l’époque de l’Empire moghol (du XVIe au XIXe siècle, NDLR) des gravures d’art occidental ont commencé à circuler grâce aux missionnaires, ces thèmes ont été avidement réinterprétés. Ainsi, dans le chapitre sur la mort, nous présentons une magnifique Descente de croix qui a été transformée par un artiste de la cour moghole en quelque chose « d’indien ». Dans le thème de la naissance, on peut voir une interprétation locale de la Naissance de Marie. De cette manière, on découvre toutes les influences que l’Inde a subies.

(© Luigi Ontani,En route vers l'Inde, 1972-2012 - Courtesy the artist and Galleria Lorcan O'Neill, Roma / The Infant Krsna, Tamil Nadu, 16th-17th century © Chennai Museum)

Est-ce que la problématique de l’inégalité des sexes est abordée ?
De Mulder : Lorsque l’on sait que les Indiens peuvent se montrer critiques envers eux-mêmes mais l’acceptent très mal venant des autres - ça ne se fait pas dans leur culture, c’est donc tabou -, ce n’est pas simple. Dans l’exposition, on sent clairement que l’Inde est une société paternaliste et que l’idéal masculin est à l’avant-plan. Le concepteur de l’exposition était tout à fait conscient de la position de la femme en Inde et de la manière dont nous, les Occidentaux, considérons cela. Nous savons que l’équipe d’assistantes qui entourait le commissaire a continuellement posé la question de savoir si on tenait suffisamment compte de la femme dans chaque thème. Cela a donc été fait explicitement.

Est-ce que cette image de la femme se prolonge dans la période contemporaine ?
De Mulder : Certainement. Il semble toujours que le corps héroïque de la femme manque dans l’histoire. Mais lorsqu’on lit les épopées, on remarque qu’un héros ne peut jamais être un héros sans une femme, et que c’est souvent pour elle que les hommes se battent. Tout comme dans la guerre de Troie en Europe. Nous en montrons un bel exemple dans la partie de l’expo consacrée au corps héroïque du Ramayana, la grande épopée sur le prince Rama. Une œuvre contemporaine de Sheela Gowda montre au milieu de l’expo une longue tresse de cheveux imbibée de sang. Cela fait référence à la célèbre épopée où le héros ne veut plus couper ses cheveux avant d’avoir vengé la mort d’une femme. Il trempe ses cheveux dans le sang de cette femme et ne les lave plus. C’est une œuvre très troublante. Mais en effet, nous ne montrons pas d’images de viols.

India belichaamd/Corps de l’Inde/The Body in Indian Art
4/10 > 5/1, ma > di 10 > 18.00, je 10 > 21.00, €4/8/11/14, Bozar, www.bozar.be, www.europalia.eu

EUROPALIA INDIA • 4/10 > 26/1, Verschillende locaties/Divers lieux/Various venues, info point: rue Ravensteinstraat 79, Brussel/Bruxelles, 02-540.80.80, www.europalia.eu

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