Françoise Berlanger : tenter le pauvre et l’informe

Gilles Bechet
© Agenda Magazine
16/06/2015
Première édition pour un nouveau festival au Théâtre la Balsamine : le PIF, pour Pauvre et Informe Festival, une invitation aux créateurs de privilégier les formes dépouillées et inventives. Parmi eux, Françoise Berlanger recrée une version « à l’os » d’un de ses spectacles.

Petite, Françoise Berlanger était une enfant quasi mutique, plutôt présente dans le corps, dans la musique, dans le chant. C’est sans doute ce qui l’a poussée à créer des spectacles touffus portés par une musique omniprésente et des visuels imposants, souvent réalisés par son frère Marcel. Des spectacles qu’elle a joués à l’Opéra de Rio, à Paris, au Barbican de Londres, à Liège et au Kunstenfestivaldesarts. Un jour, alors qu’elle répétait seule Le soleil même pleut dans le grenier du Varia, elle invite son amie l’écrivain Veronika Mabardi à venir la regarder. Touchée au cœur, celle-ci lui envoie une lettre pour lui dire son émotion. Bien des années plus tard, plongée dans une phase de recherche pour d’autres manières de jouer et d’être sur scène, Françoise Berlanger pense à ce qui ne devait être qu’un moment transitoire sans lendemain, mais qui sera peut-être le début d’autre chose.



À quoi correspond cette envie de jouer au PIF cette version unplugged et privée d’un de vos spectacles ?
Françoise Berlanger : Ça fait douze ans que je crée des spectacles. Finalement je crois être arrivée à la fin d’un cycle. J’ai prouvé ce que je savais faire. On m’a souvent reproché de faire un théâtre plein d’effets et de surcharge alors qu’il est bâti sur un profond amour pour la musique et sur une combinaison entre le texte et la musique qui a pour moi quelque chose de sacré. J’ai eu un passage à vide qui m’a poussée à m’impliquer autrement. Avec mon frère Marcel, on travaille sur le thème de la pauvreté qui est aussi un défi pour les artistes. On était donc complètement en phase avec la philosophie du Pauvre et Informe Festival. Je me suis mise face à moi-même en me demandant c’est quoi la pauvreté sur scène. Pour moi, c’est oser être là sans musique, sans éclairage, sans scénographie et voir ce qui reste.

Pour vous, c’est un challenge mais qu’en est-il pour le spectateur ? Avec tout ce que vous avez soustrait au spectacle, ne va-t-il pas se sentir lésé ?
Berlanger : Même s’ils partent d’un même texte, il n’y a pour moi pas lieu de comparer, ce sont deux spectacles complètement différents. Aujourd’hui, je suis toute seule sur scène avec un texte qui raconte un bout de ma vie et que je vais partager à ma manière. Je vais oser, je vais essayer de me déchaîner, de me libérer. Aller vers une forme où il y a le moins plutôt que le plus, je trouve ça intéressant. Il y a une différence entre le show, le spectacle et la présence sur scène. Cela n’a rien d’impudique, j’essaie d’être dans l’honnêteté plutôt que dans la provoc. Je sais que ça va toucher des extrêmes, il y a sans doute des gens qui vont se dire que c’est fort, et d’autres qui vont peut-être trouver ça insupportable.

De quoi parle ce texte ?
Berlanger : J’ai vécu la mort de mon mari emporté par un cancer. Il avait 29 ans, nous étions mariés depuis deux ans. Je l’ai pris en plein dans la gueule. Tout le monde peut être confronté à ça. Dans le couloir de l’Institut Bordet, je n’étais pas seule, il était plein. Riches, pauvres, on est tous confrontés à la mort, c’est ce qui nous rend égaux. C’est une expérience de vie qui m’a rendue responsable. Tu as encore une vie, qu’est-ce que tu vas en faire ? C’est quoi ton choix ? Du coup, ça a renforcé mon idée de l’acte théâtral avec encore plus d’ouverture. Que nous apprend le deuil ? Le deuil, c’est pour la vie, ça ne se referme jamais. Je rencontre énormément de gens qui ont vécu ça. On se rassemble dans une salle par la magie du théâtre. Plus de quinze ans ont passé depuis ce vide, je suis maintenant capable de consoler quelqu’un, de transformer ces grandes tristesses en grande chance d’être vivant. Ce n’est pas facile. Il faut être indulgent et donner le temps au temps.

CE QUI RESTE
17 & 18/6, 20.30, Théâtre la Balsamine, www.balsamine.be



LE PARI DE LA PAUVRETÉ
Comment faire plus avec moins ? Il y en a qui appellent ça « l’innovation frugale », un concept né en Inde où, malgré la pauvreté des ressources, de jeunes entrepreneurs veulent faire de cette contrainte une opportunité. En va-t-il de même dans le secteur culturel ? La disette peut-elle stimuler la créativité ? La Balsamine en a fait le pari en lançant l’idée d’un festival basé sur l’audace et l’envie de travailler autrement avec moins. Une quarantaine de projets ont afflué, quatre d’entre eux ont été sélectionnés pour cette première édition, involontairement très féminine, du PIF, le Pauvre et Informe Festival. Céline Beigbeder a souffert d’anorexie. Dans Une Europe anorexique, qui mêle performance et exposition d’arts plastiques, elle prend du recul avec sa propre expérience pour questionner une société entière plongée dans l’amaigrissement des richesses, la malbouffe et l’aplanissement culturel. Quand on est une femme, il est difficile voire impossible de s’offrir les services d’un(e) prostitué(e), alors que les hommes y ont un accès libre de jour comme de nuit. Sur base de reportages réels et fantasmés dans un Bruxelles nocturne, Diane Fourdrignier et Anne Thuot proposent Looking for the Putes mecs, une conférence en musique, en images et en sensualité décalée. Les orties, ça pique mais si on tend l’oreille, elles peuvent aussi être bruyantes. En tout cas, dans le concert-spectacle de Karine Jurquet et Lenka Luptáková Orties bruyantes, on n’y échappera pas. Inspirées par l’esprit du film Petites Marguerites de Vera Chytilová, les deux comédiennes accompagnées de deux musiciens et d’une profusion d’instruments et d’équipements électriques expérimentent en se laissant aller sans retenue aux joies de la performance, du chant et de la musique.

Image © Hichem Dahes



PAUVRE ET INFORME FESTIVAL
17 & 18/6, 19.00, Théâtre la Balsamine, www.balsamine.be

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