Pique-nique au bord du gouffre

Gilles Bechet
© Agenda Magazine
16/08/2013
(© Rita Cigolini)

Trois jeunes femmes sont réunies pour un pique-nique champêtre. Les gestes, les regards, les objets se dérobent, sombrant dans une douce folie. L’Italienne Ambra Senatore, chorégraphe, performeuse et actrice, revient pour la seconde fois au Festival des Brigittines avec A Posto.

A Posto est un spectacle construit comme un film dont les scènes, étranges et mystérieuses, se recombinent pour mieux se révéler. Il plonge d’emblée le spectateur dans une atmosphère intrigante, propice aux questionnements.

Quelle était l’envie de départ pour ce spectacle ?
Ambra Senatore : C’était d’abord de poursuivre le travail en groupe entamé avec Passo, le spectacle précédent, en développant davantage la construction d’une dramaturgie. Pour moi, celle-ci ne doit pas avoir un lien avec une narration, mais plutôt avec des signes qui se posent et changent de sens à mesure que la pièce évolue jusqu’à s’éclaircir et se dévoiler dans la scène finale. Comme je venais d’avoir le rôle principal dans un film, j’avais aussi envie de me rapprocher du cinéma en transposant l’idée du montage entre différentes scènes.

Votre vocabulaire chorégraphique intègre des gestes du quotidien, est-ce un miroir tendu au spectateur ?
Senatore : Au départ, c’est juste mon instinct. Il n’y a pas de démarche intellectuelle. Peut-être est-ce parce qu’enfant, j’étais touchée par les postures et les attitudes du corps des gens. C’est le matériau à partir duquel je construis mes pièces. Après, quand je travaille le spectacle, j’essaie d’y trouver un sens. Le choix de transposer des gestes du quotidien s’inscrit aussi dans une écriture qui se plonge souvent dans le doute, entre fiction et réalité. J’imagine que cette démarche peut en effet rapprocher les gens du spectacle parce que chacun peut reconnaître des choses toutes simples qui le concernent, même si ce n’est pas la volonté de départ.

Lorsqu’ils sont sortis du contexte, ces gestes paraissent immédiatement plus étranges ?
Senatore : L’inspiration est très concrète, elle vient du réel, mais comme elle est décontextualisée, recadrée, il y a un côté surréaliste qui apparaît dans le travail. C’est comme une loupe qui permet un changement de point de vue, une amplification du regard.

Vous juxtaposez les scènes comme dans une histoire en puzzle, avez-vous envie de bousculer le spectateur ?
Senatore : C’est un spectacle qui demande au spectateur d’amplifier lui aussi son regard. Sinon, il perd des choses. De mon côté, j’espère être de plus en plus claire dans la construction qui glisse progressivement vers le dévoilement de la scène finale. L’idée n’est pas pour autant de m’enfermer dans une narration linéaire, mais de garder une part de mystère et de permettre au spectateur de se forger sa propre interprétation.

Comme au cinéma, on a l’impression que vous jouez avec les gros plans et les plans généraux ?
Senatore : En travaillant sur le spectacle, on s’est souvent posé la question du regard du public. Alors que nous sommes trois sur scène, comment peut-on amener le spectateur à poser son regard sur une main, sur un détail ? On a beaucoup travaillé à gérer le timing des actions pour que les gens puissent accéder même à des petites gestuelles, à un regard. D’autres fois, on peut avoir plusieurs propositions en même temps et c’est au spectateur de choisir l’une ou l’autre.

Le festival se place sous le thème de la crise. Entend-on dans votre spectacle les échos du monde d’aujourd’hui ?
Senatore : Pour moi, oui, même si c’est à chacun de se faire son opinion. Ce n’est certainement pas un spectacle politique qui parle de la crise, mais je sens qu’il est très lié à notre présent, notamment en Italie. On est devant trois jolies femmes bourgeoises, coquettes et maniérées, qui s’installent pour un pique-nique. Elles représentent un certain stéréotype de la femme qui renvoie aussi à 20 ans de berlusconisme et à cette idée de la femme comme une poupée pomponnée. Progressivement, c’est toute cette façade de beauté et de bien-être stériles qui se lézarde. Tout cela est exagéré et ironique parce qu’on est dans la fiction et qu’on se maquille trop, qu’on se salit. Mais, en même temps, j’attends de moi et des deux autres interprètes un travail intérieur de perte d’espoir, de vie, de perte de tout. Pour moi, c’est un écho de la crise, mais d’une crise individuelle liée, certes, à des conditions sociales.

20 & 21/8, 20.30, Chapelle

Festival International des Brigittines • 16 > 31/8, €8/12 (Passparlà (5 représentations): €35/55; Passpartout (toutes les représentations): €80/120), Les Brigittines, Kleine Brigittinenstraat 1 Petite rue des Brigittines, Brussel/Bruxelles, 02-213.86.10, www.brigittines.be

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