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À la recherche de l'âme bruxelloise avec la photographe Isabelle Detournay

Sophie Soukias
© BRUZZ
30/05/2017

Isabelle Detournay nous emmène en balade dans le versant ouest de la capitale. Où se trouve, nous dit-elle, l'âme populaire de Bruxelles. Une âme qui habite son travail photographique.

« Il n’a pas d’heure pour ouvrir », nous indique Christiane, petite femme frêle aux traits doux mais fatigués, qui habite un studio aux abords du Cobra Jaune, un café populaire du quartier Lemonnier. Il n’est que 10 heures du matin, les volets de l’établissement sont encore baissés. C’est ici que nous a donné rendez-vous Isabelle Detournay, photographe bruxelloise originaire de la région de… Tournai dont le travail sur La Classe A008 de l’Institut des Arts et Métiers vient d’être publié aux éditions Le Bec en l’air.

Un café qu’elle connaît bien et où on la connaît bien puisque cette ancienne membre du collectif Blow Up y a longtemps photographié les habitués, de même que ceux du café El Carès un peu plus loin, fermé depuis. Des portraits en couleur sans fioritures mais d’une grande dignité, habités par l’âme populaire du coin de Bruxelles qui entoure le viaduc du Midi.

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Un microcosme qui évolue en marge de la société moderne et de ses diktats, obéissant à sa propre temporalité. « Je me demande ce que ces gens vont devenir avec ces Marolles en voie de boboïsation. Bientôt, il ne restera plus que des magasins de luxe et un pseudo-quartier populaire ».

« Christiane et son compagnon Patrick se sont rencontrés dans le quartier de la Gare du Midi. Avant, ils étaient à la rue et maintenant ils habitent ici. Pendant longtemps, ils n’ont eu ni sonnette ni téléphone, alors pour les photographier, je me posais à l’intérieur du café en attendant de les croiser ».

Voilà quinze ans qu’Isabelle Detournay suit le couple, soit presque l’entièreté de leur histoire d’amour commencée il y a dix-sept ans. « Au début, ils étaient toujours collés à deux et puis les années passant, je ne parvenais plus à les avoir ensemble sur une image, comme c’est le cas de beaucoup de couples d’ailleurs ».

(Continuez en dessous de la photo.)

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Entre-temps, Christiane nous a fait monter chez elle, une étroite pièce sombre équipée du minimum et dont les murs verts ont soigneusement été garnis de guirlandes de Noël achetées sur le marché aux puces du Jeu de Balles. On discute un peu. Lorsque les deux femmes prennent la pose devant notre photographe attitrée, Christiane pose sa main, d’un geste lent mais tendre, sur le genou d’Isabelle. Avant de partir, cette dernière lui remet un petit appareil photo.

Sur le Boulevard du Midi, les vrombissements de moteur et les klaxons nous forcent à hausser la voix. « La pitié est quelque chose qui me fait très peur », explique Isabelle Detournay qui a fait des études d’assistante sociale avant d’étudier la photographie à La Cambre. « Quand je photographie, je ne veux surtout pas jouer le rôle de l’assistante sociale. Je ne suis pas là pour dénoncer des abus, contrôler les gens ou établir un dossier sur eux. Je ne cherche pas à agir sur le cours de leur existence et, en même temps, j’ai conscience qu’ils ne m’attendent pas. Le jour où ils ne veulent plus que je vienne, je suis prête à l’accepter. »

Au centre de la démarche d’Isabelle Detournay se trouve la rencontre. Des échanges bilatéraux établis entre la photographe et ses sujets qui donnent naissance à des images en format 6X6, jamais volées. Quel que soit l’univers où la photographe met les pieds, un centre psychiatrique en Inde, un groupe de majorettes dans un village du Hainaut, l’Institut des Arts et Métiers à la lisière de Molenbeek, Isabelle Detournay, âgée aujourd’hui de 43 ans, finit toujours, à force de patience et de discrétion, à se faire une place, sa place, qui évolue au fil des étapes qui jalonnent son existence. « Avec les majorettes, j’étais la grande sœur. Aux Arts et Métiers, je m’identifiais au professeur de la classe et à sa manière de s’y prendre avec les ados ».

Arts et Métiers
Nos pas nous mènent doucement devant l’imposant bâtiment Art déco des Arts et Métiers, établissement d’enseignement technique et professionnel de qualification. Devant l’une des entrées latérales, des femmes d’ouvrage arborant le bleu ciel des uniformes de la Ville de Bruxelles se détendent le temps d’une pause cigarette.

« Après avoir habité dix ans à la Porte de Hal, j’ai déménagé à Anderlecht. Le soir, il m’est arrivé d’attendre le tram devant l’école. La cage d’escalier s’illumine dans la nuit, il y a une ambiance particulière qui me poussait à vouloir rentrer », explique la photographe.

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Le livre La Classe A008, préfacé par le sociologue Andrea Rea et l’historienne de l’art Adèle Santocono, se décline en une série d’instantanés d’adolescents d’une classe parmi d’autres classes, immortalisés dans leurs gestes et interactions du quotidien. Entre concentration profonde, moments d’ennui et tranches de rire. Un univers singulier fait de machines et de moteurs, coloré par le bleu marine des tabliers de travail.

« Dans toutes les villes, il y a des écoles de mécanique. Dans toutes les villes, il y a des jeunes qui vont à l’école. Plus on est spécifique, plus on touche au global. Je n’aime pas le mot universel, mais il y a de ça. J’ai commencé ce projet en 2013, bien avant ce que l’on dit dans les médias aujourd’hui sur la jeunesse de Molenbeek. Il y avait comme une urgence pour moi de montrer les ados des quartiers populaires du versant ouest de Bruxelles, dans le quotidien, loin de tout sensationnalisme. »

Un petit voyage sur la ligne 5 du métro nous amène au centre d’Anderlecht, arrêt Veeweyde, où se trouve la dernière étape de notre itinéraire : le labo-studio de Sylvia Cocozza où Isabelle Detournay fait tirer ses images depuis plus de dix ans. Le lieu est surprenant. La vitrine, de même que les murs sont tapissés de posters à l’effigie de la technicienne du labo.

Cette dernière a pris l’habitude de s’ériger en vedette de ses propres montages photo à titre promotionnel. Mère Noël, démon de Saint Valentin, vampire d’halloween. Toutes les occasions sont bonnes. « Je suis le clown de la chaussée de Mons », nous dit-elle en rigolant. Isabelle Detournay lui fait savoir qu’elle lui a envoyé deux étudiantes. À côté de son travail artistique, la photographe donne cours à l’Académie. « Ça me permet de m’autofinancer et d’être totalement libre. Et puis j’aime enseigner, tenter de donner aux élèves ce déclic que j’ai eu moi-même un jour ».

C’est lors d’un atelier photo, à l’âge de 18 ans, qu’Isabelle Detournay a eu une révélation. « Je voulais plaquer mes études d’assistante sociale pour devenir photographe mais mes parents ont d’abord refusé en disant que ça allait passer ». Ça n’est pas passé. Heureusement.

> Isabelle Detrounay: La Classe A008. Éditions Le Bec en l'air, 2017

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