Marie Rosen: une tendre incarnation

Kurt Snoekx
© BRUZZ
10/05/2019

La Bruxelloise Marie Rosen nous charme depuis des années avec des peintures qui semblent hors du temps et associent une beauté fragile et incomparable à cette sérénité mystérieuse. Avec Noumènes, sa nouvelle exposition à Rossicontemporary, elle nous réduit de nouveau au silence. Alors... voici une tentative de dire l’indicible.

Un visage sans faille, une peau intacte, de grands yeux noisette qui appellent votre regard. Un intérieur austère qui baigne dans une lueur rose. La pente douce d’une main, la courbe d’un cou. Un rideau masquant en partie un mur carrelé défraîchi. Trois femmes assises dans une pièce sans fenêtre dans le vide. Une fine rampe jette une ombre sur un ciel nuageux, une plante gracieuse serpente devant un motif de mur oublié. Ce n’est rien de plus que cela. Il n’en faut pas plus. Le regard est irrévocablement perdu, séduit. Le cœur s’arrête de battre un instant. Nous avons eu un aperçu, nous avons presque touché à... À quoi ? Qu’est-ce qui rend les peintures sereines et résolument non spectaculaires de Marie Rosen si déconcertantes ? Et nous laisse sans voix, troublés, émus ?

« L’indicible, ce qui est à l’intérieur des choses, » Marie Rosen nous explique, dans son atelier à Saint-Gilles, le titre de sa nouvelle exposition à Rossicontemporary: Noumènes. « En toute honnêteté: je fais des images, les mots ne sont pas mon truc, » dit-elle en riant. « J’ai du mal à trouver des titres suffisamment solides pour englober ce que je fais sans l’enfermer dans un discours. Je suis également tout simplement incapable de théoriser, démêler ce nœud de la peinture. C’est un sentiment qui apparaît à un moment donné. » Comme si Marie Rosen donnait forme au désir. Ce qui échappe sans cesse et inévitablement. Ce qui n’existe que s’il n’est pas satisfait, qui reste toujours au-delà. Noumènes : la chose en soi, l’idée, ce qui est intouchable, sans représentation dans l’ici et maintenant.

Marie Rosen atelier

| Marie Rosen dans son atelier : « Pour moi, une peinture n’est pas cette chose qui reste immobile sur le chevalet. »

Le temps suspendu
Au mur de son atelier, qu’elle partage avec le peintre Thomas Mazzarella, sont suspendues plus de vingt peintures sur bois aux coins arrondis caractéristiques. Sur la table, les fragments qui nourrissent Marie Rosen : des versions imprimées de peintures, des photos actuelles, des images qu’elle collecte. « Ils nourrissent mon esprit d’un réseau d’idées, de sentiments et de sensations. Une nuance, une perspective, une ombre, une inclinaison... Des choses qui touchent à la chose à laquelle je veux toucher. »

« Mais ce n’est jamais prédéfini, » explique-t-elle. « C’est une recherche constante, sur la peinture elle-même. Je nourris la peinture, et j’en enlève encore, ce qui laisse entrevoir les couches précédentes. C’est un processus, des essais et des erreurs. Ainsi, quelque chose peut toujours se passer, apparaître. Comme je travaille sur du bois, je peux vraiment maltraiter mes peintures. Au début, je ne travaillais que sur de très petits formats. Je les peignais sur mes genoux et ils tombaient parfois. De petits accidents auxquels je me suis habituée. En ce moment, je peins sur des formats plus grands, mais je considère toujours qu’une peinture n’est pas cette chose qui reste immobile sur le chevalet. »

Marie Rosen atelier

C’est difficile, peindre a parfois un impact sur la santé mentale. Ce n’est pas du tout thérapeutique pour moi, au contraire, cela rend peut-être fou. Cette térébenthine…

Marie Rosen

Le calme règne dans les peintures de Marie Rosen. Elle extrait en quelque sorte une douce lueur hors du temps. « Les personnages prennent la place qu’un objet pourrait prendre. Ils possèdent quelque chose de neutre, d’androgyne. Posés, figés. Ils ne rient pas et ils ne tirent pas la tête non plus. Je cherche toujours l’équilibre pour être hyper neutre. Pour qu’on ait l’impression d’un temps suspendu. Alors que les lieux montrent leur côté usé. » Et un rythme, des modèles, des lignes, des motifs. On voit les recoins perdus d’édifices, des murs suggérant une distance, des espaces épurés dans lesquels le temps s’est figé. « J’ai un esprit plutôt cartésien et mathématique à cet égard. Mais en même temps, ce sont des espaces irréels, où la lumière et les ombres défient la logique. Ils sont purement esthétiques. »

La peinture parfaite
« Je suis très préoccupée par le beau de la peinture, une idée un peu basique, qui n’est pas du tout négative pour moi. Quelque chose qui flatte l’œil. En ce sens, mes peintures sont une tendre incarnation. Le velouté de la peau, et à la fois des matières un peu plus brutes, mais aussi belles à mes yeux. Les petits défauts, les accidents, ça fait partie du beau. » Cette beauté est indépendante de la réalité. « En dehors de mon atelier, je ne pense pas à la peinture. Le réel, je l’accepte comme ça. Je ne me promène pas tout le temps en pensant : “Ah, ce coin, cette façade ou ce motif !” Je n’ai pas un regard qui analyse la réalité. La peinture n’est pas une réflexion, c’est une intuition pour moi. Un exercice : regarder sans arrêt mes images puis peindre dans l’instant, comme si c’était la somme de tout ce qui m’interpelle. C’est difficile, peindre a parfois un impact sur la santé mentale. Ce n’est pas du tout thérapeutique pour moi, au contraire, cela rend peut-être fou. Cette térébenthine… » (rires)

Marie Rosen atelier 2019

« Dans ma tête, j’ai encore une gêne à l’idée d’être peintre, je ne me sens pas trop adulte. Mais je vois une évolution. Cela fait plaisir de voir que je ne fais pas toujours le même tableau, mais que je garde une certaine cohérence. C’est la même atmosphère, mais avant, j’y aurais ajouté quelque chose. Je remarque que mes peintures sont maintenant beaucoup plus épurées. » Plus calme, plus minimaliste. De plus en plus près de la peau. Comme si elle touchait presque à… « Qu’est-ce que je recherche dans la peinture ? C’est terriblement difficile, » répond Marie Rosen en ajoutant rapidement : « Le tableau parfait. Celui que je ne parviendrai jamais à faire. Cela me donne la garantie que je ne m’arrêterai jamais. C’est sans fin. »

> Marie Rosen: Noumènes. 12/5 > 13/7, Rossicontemporary

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