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Uppercut de la BD brute à Knock Outsider Komiks

Kurt Snoekx
© BRUZZ
19/09/2017

La collaboration entre les pionniers bruxellois de la BD de chez Frémok et La “S” Grand Atelier, laboratoire artistique basé à Vielsalm qui organise des workshops pour des artistes présentant un handicap mental, a déjà livré quelques perles saisissantes sous forme de livres et d’expositions.

Cet automne, ce club aimant traverser les frontières débarque à Art et Marges avec l’expo qui a mis Angoulême K.O. au début de l’année. Voici quatre bouleversantes collaborations des riches passé, présent et futur de Knock Outsider Komiks.

> Knock Outsider Komiks. 29/09 > 28/10, Art et Marges, Bruxelles
> Vernissage : 28/09, 18.00

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NICOLAS CLÉMENT
Derrière la cagoule

Un regard qui vous fait perdre l’équilibre, même caché derrière une cagoule. Un voyage avec le hasard comme boussole, le destin comme destination. Des moments fugitifs, un silence intense, un bois vibrant, un cheval en mission de sauvetage, une cabane en tricot... et un grain rugueux qui vient mettre par-dessus tout cela une couche de magie.

Barbara dans les bois, à l’origine un film en Super 8 et aujourd’hui le tout nouvel ajout en forme de livre au catalogue de Knock Outsider Komiks, est rien moins qu’une gifle. La collaboration entre le photographe bruxellois Nicolas Clément et la résidente de La “S” Barbara Massart danse, entêtée et sans frontières, sur le rythme de couleurs vives, d’atmosphères floues, de textures palpables et de flammes stimulantes.

« Je venais juste de terminer une résidence d’artiste au TAMAT (Centre de la Tapisserie, des Arts Muraux et des Arts du Tissu), où j’avais été attiré par le textile », raconte Nicolas Clément. « Lorsque j’ai voulu tourner à La “S”, avec le soutien de l’AJC, un court métrage sur le centre, je suis tombé sur le travail de Barbara, des pulls en tricot, et j’ai flashé. Elle ne voulait pas que je la photographie dans ses créations, mais lorsque je suis revenu trois mois plus tard, elle avait fait une cagoule pour chaque pull. »

Un shooting photo dans le bois a ouvert le champ des possibles. « Barbara racontait toujours une histoire, sur une cabane en feu dans les bois dans laquelle des enfants étaient enfermés... et elle aussi. Tous les enfants mouraient, sauf elle, qui parvenait à s’échapper à cheval. Nous sommes partis au bois avec cette histoire. Là-bas, nous avons installé la cabane et pris des photos. Après cette session, j’ai su que je voulais faire un film avec elle. Depuis, on a tourné un deuxième film, Santa-Barbara, en Andalousie, ce volet du travail sera montré en décembre dans une expo collective mise en place par Pakito Bolino et La “S” à la Friche la Belle de Mai à Marseille, et nous préparons encore un volet pour clôturer la trilogie ».

Le tout partant du cœur bouleversant de la rencontre. « Ça part de l’aspect humain. C’est un rapport intime, se perdre soi-même dans un moment. Dans ces bois, nous avons parcouru tout un trajet, moi dans les pas de Barbara, qui a provoqué une transformation. Grâce à elle, j’ai pu réaliser un film et découvrir une liberté pour associer les idées. Quant à Barbara, elle a trouvé sa place parmi les autres résidents, qui ont souvent une pathologie plus prononcée. Maintenant, elle multiplie les projets, elle a collaboré sur toute une collection en stylisme en partenariat avec une étudiante de l’école de mode d’Anvers... Ce sont des expériences qui lui permettent de sortir de son statut de personne handicapée et de s’affirmer de plus en plus ». Magie.

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OLIVIER DEPREZ
Matière noire

Une matière noire profonde enveloppe deux personnages. On les voit graver, imprimer, se chercher, confronter et créer en même temps une abstraction vivante. C’est dans ce rêve, oppressant mais alléchant, cet acte révolutionnaire de l’art tranché dans le vif, que convergent les pas d’Adolpho Avril et Olivier Deprez. Après la mort, après la vie – paru sous forme de livre en 2014 et adapté deux ans plus tard dans un court métrage – est devenu l’exemple de résultat que peut donner le projet de collaboration entre La “S” et Frémok.

« Le processus est devenu le matériau narratif, » raconte Olivier Deprez, maître graveur et l’un des pères fondateurs de Frémok. « C’est presque une autofiction. Ces moments où l’on se rejoint, où l’on se perd, c’est ce qui se passe quand on travaille ensemble: il y a des moments d’osmose totale et des moments ou ça décroche, des moments de non-communication, de transparence, d’échange… Le livre et le film témoignent de cette matière noire ».

Plusieurs procédures assuraient que les deux artistes soient vraiment en mesure de se rencontrer, qu’un dialogue artistique, humain, graphique puisse s’engager. « Nous nous sommes beaucoup promenés avec un appareil photo dans les environs du centre, un lieu très fantomatique. Nous avons beaucoup parlé, bu du café, regardé des films: Vampyr de Dreyer, Nosferatu… Les images que nous avons ainsi rassemblées ouvraient les possibles de notre interaction. Nous nous sommes mis à la gravure et ainsi est née une situation où nous sommes devenus Docteur A et Infirmier O, ces deux personnages autour de cette presse de gravure. Comme si elle imprimait la vie ».

Et cette vie est parfois rude. « À aucun moment on a cherché à adoucir les angles. On ne s’est pas voilé la face: il y a l’enfermement, la dureté, les camisoles chimiques… Ce n’est pas facile, c’est humain et terrible ». Mais ça permet de se rencontrer vraiment, de disparaître et d’aller vers un troisième personnage.

« Quelque chose a remplacé l’ego, l’endroit lui-même, la rencontre, où l’on gagne en ouverture, et où l’on apprend à assumer le hasard, la rupture. C’est périlleux. On ne peut pas côtoyer le monde de la folie tel qu’il est institutionnalisé aujourd’hui de façon neutre. Ça interroge ses propres frontières. Ça fait peur mais ces petites procédures – le café, une conversation, des rires – offrent une distance et de l’espace pour respirer. Il y a des contraintes humaines, oui, mais le processus artistique permet de les infléchir »

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1584 KNOC Dominique Goblet
DOMINIQUE GOBLET
La vie avec toutes ses blessures

Hulk Hogan, la femme à la barbe bleue, de grosses voitures, des bagarres, un orthodontiste sans dents et un amour doux-amer : c’est un récit audacieux et hilarant que Dominique Goblet et Dominique Théâte déroulent dans un livre qui, onze ans après leur premier round de catch, devrait voir le jour en 2018. Mais ce n’est qu’une partie de l’histoire. Derrière cette distraction brutale se cache un noyau vertigineux qui doit être abordé.

Dominique Goblet: « J’ai toujours aimé l’art brut, ça part des tripes, tout comme mon travail. Lorsque j’ai rencontré Dominique Théâte en 2007, j’étais déjà fascinée par son travail. Il y avait un personnage qui revenait souvent dans nos sessions: Hulk Hogan, le catcheur américain. Parce qu’avec sa moustache blonde de Viking, il ressemblait à son beau-père camionneur. Si on creuse un peu, on découvre que lorsque Dominique Théâte s’est réveillé après son accident de moto – la cause de son coma de six mois, qui a laissé des traces –, sa mère et son beau-père étaient présents. Pour lui, c’est son beau-père qui est responsable de ce miracle ».

Mais ce fut une série de classeurs avec à l’intérieur quelque 1000 pages, qui l’a totalement émue. « C’était hors du commun, avec beaucoup de répétitions, des tournures de phrases particulières, beaucoup de choses listées… De la matière brute où apparaissait une écriture unique et où il racontait sa vie quotidienne de manière extrêmement redondante: les ateliers qu’il suit, l’hippothérapie avec le cheval Norvik… »

« Toujours le même récit, interrompu de temps en temps par la chute d’un encrier ou un autre micro-événement. Mais en même temps, c’était très musical, avec une déclinaison à l’infini, à la façon des Variations Goldberg de Gould. Parfois, cette géniale litanie est abruptement interrompue par une remarque, en passant, sur son malheur, des mots comme ‘passion indéterminable’, ou ‘le centre, là où je n’ai rien réalisé d’inoubliable’ s’y faufilent ».

C’est dans cette beauté brutale que le duo a plongé. « Le long des trois parties du livre, des ‘bagarres’ – où Dominique Théâte prend presque toute la place – au ‘journal’ – qui combine ses textes à mes dessins – en passant par ‘l’amour’ – que nous écrivons et dessinons ensemble –, je veux faire comprendre aux gens tous les fantasmes, le lien avec les désirs et les impossibilités de Dominique. Je suis au service de ce matériau. Je veux y mettre mon cœur et mon âme. C’est ce qui m’intéresse: la vie avec toutes ses blessures. La création qui s’acharne sur la vie ».

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YVAN ALAGBÉ
Avé Luïa!

« Au commencement était la Joie ». Ainsi commence L’Évangile Doré de Jésus-Triste, le petit chef-d’œuvre pour lequel Yvan Alagbé – qui a veillé avec les Français d’Amok sur le berceau de Frémok – a rassemblé autour de lui une troupe d’artistes internes et externes à La “S” et qui fait maintenant l’objet d’une exposition au Musée Dr. Guislain à Gand.

À partir de « la prophétie selon laquelle une femme mettrait fin au règne du roi des Tristes » s’est engagée une réécriture du Nouveau Testament. Un récit hybride, qui persifle, mais qui émeut aussi et qui rapproche la matière originelle, l’enveloppe de chaleur spontanée. Yvan Alagbé: « Lorsque les premiers projets avec La “S” ont été lancés en 2007, je suis resté à l’écart. Je ne voyais pas comment y contribuer. Mais lorsque j’ai appris que la “S” allait travailler autour de la religion, je me suis manifesté. Je travaillais alors déjà sur la Bible et je cherchais un regard qui pouvait apporter quelque chose ».

Les cinq volumes où Gustave Doré a illustré la Bible ont constitué la principale source d’inspiration. « Je pensais que c’était idéal. Les images étaient disponibles et, comme à l’époque de Doré, ça pouvait déboucher sur une collaboration entre un dessinateur et un graveur. C’est aussi une manière de créditer ces partenaires invisibles de Doré. Mais l’idée de départ n’a pas abouti à ce que je voulais. Certaines images étaient souvent choisies, d’autres pas du tout. Il n’y avait pas d’osmose. »

« Jusqu’à ce que Dominique Théâte fasse une image avec Marie Madeleine portant une barbe, où il a ajouté son propre visage, gravé par Benjamin Monti. Ça m’embêtait, ça ne collait pas avec mon intention. Je ne voulais que ce soit drôle ou moqueur. Jusqu’à ce qu’arrive l’idée de développer ensemble une narration. Et cette image qui était déjà dans le détournement, cette femme barbue, a ouvert le jeu. C’était le bon mot à sa place, à force de déformation. Comme si on m’avait soufflé l’idée, comme une annonciation, une révélation. »

« Ils ont été la locomotive, j’y ai accroché mon petit wagon. C’est parti dans des directions que je ne prévoyais pas. Et c’est là que réside la richesse, dans les idées qu’on n’a pas tout seul. C’est permettre à l’expression créatrice de déborder. Ce n’est pas pour rien que ce projet de collaboration dure depuis dix ans. J’espère que nous leur apportons quelque chose. Je sais que quand j’y vais, c’est pour prendre, pas pour donner. Ca me nourrit, ça me donne de l’énergie, ça ouvre des portes dans ma tête. Et c’est grâce à eux ! »

Avé Luïa !

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