Asghar Farhadi: après La Séparation

Niels Ruëll
© Agenda Magazine
29/05/2013
Rentrer à la maison avec un Oscar n’est pas facile. Beaucoup se sentent appelés. Mais quand votre maison se trouve à Téhéran, cela semble impossible. Avec Une Séparation, Asghar Farhadi a réussi l’impossible. Il donne une suite à ce triomphe avec un nouveau drame familial complexe: Le Passé.

Après Une Séparation, Farhadi a reçu différentes propositions en provenance d’Amérique. « Je me voyais obligé de prendre une décision. Il s’agissait de propositions dont les scénarios existaient déjà. Je devais me poser la question si je voulais devenir un réalisateur « technicien », exécutant. J’en suis venu à la conclusion que ce n’est pas ainsi que je voulais travailler. Je veux moi-même mettre sur pied mon projet, du début jusqu’à la fin. »

Au millimètre près
Le réalisateur iranien est allé à Paris pour le tournage de Le Passé, un drame familial qui s’inscrit dans la continuité de Une Séparation. Bien que la communication entre les acteurs principaux Tahar Rahim et Bérénice Béjo ait dû se faire via un interprète, Farhadi ne se sentait pas dépaysé. « Je peux travailler partout dans le monde, je reste et resterai un cinéaste iranien. Il est difficile de mettre une étiquette de nationalité sur une œuvre d’art. Mais je ne crois pas qu’il faille se poser la question, car la réponse n’a guère d’importance. Ce qui est important, c’est le lien que le spectateur crée avec le film, chaque spectateur peut s’approprier le film. »
Rahim et Bejo ont surtout été impressionnés par le souci de précision de Farhadi et s’étaient préparés depuis le début du tournage à répéter les scènes pendant deux mois. « Asghar Farhadi a une façon de travailler particulière, très précise, millimétrée, et pourtant, grâce à ce travail de répétition, d’échange, on a l’impression d’être libres », confie Rahim à la presse internationale à Cannes. « Il est comme un chorégraphe. Il prend son scénario en main, nous indique précisément où nous devons nous tenir et ensuite nous jouons. Ça a l’air particulièrement strict mais c’est ainsi qu’il balise le travail de ses interprètes. Il décide de chaque détail et cette approche me convient », précise alors Bejo.
Pour Farhadi, c’est le récit qui dicte à chaque fois la forme et la manière de travailler mais il peut difficilement cacher le fait qu’il a une préférence pour les scénarios bien étudiés avec de longues répétitions. « Le bonheur d’écrire est un bonheur que je ne peux pas partager avec d’autres, les répétitions permettent de partager le processus de création avec les acteurs, c’est ce qui leur donne la sensation de liberté et de fraîcheur. Le meilleur compliment qu’on pourrait me faire est de dire qu’on ne voit pas le scénario. »

Le poids du passé 
Dans Le Passé presque tous les personnages sont aux prises avec leur passé. Un passé qui ne se laisse pas toujours désamorcer avec facilité.
« Nous essayons de fuir notre passé, de nous cacher de lui. Mais personne n’y réussit. Le temps a beau s’écouler mais le passé pèse encore plus lourd sur nos épaules. Ce qui existe en fait ce sont des souvenirs, passés par le filtre de notre subjectivité. Nous réécrivons sans cesse le passé, tour à tour en plus sombre ou en plus clair. Le passé n’est pas plus clair que le futur et la relation que nous entretenons avec lui est tout aussi ambiguë que celle que nous avons avec le futur. Parfois nous avons le courage de nous re-confronter avec notre passé et de nous excuser. »
A l’instar du personnage qui est dans le coma, entre la vie et la mort, les personnages principaux hésitent tout au long du film. Se marier ou non ? L’Iran ou la France ? Avouer ou se taire ?
« Le film tout entier se construit sur cette notion de doute, sur cette notion d’entre-deux. Les personnages sont constamment face à un dilemme, à la croisée de deux chemins. Si on revoit Une Séparation, la situation que le personnage traverse est assez courante mais complexe : il doit choisir entre le bien-être de son père et celui de sa fille. Dans Le Passé, la question est un peu différente : est-ce qu’on privilégie une certaine loyauté envers le passé ou est-ce qu’on y renonce pour se lancer vers l’avenir ? »

Censure
Le tournage en France présentait l’avantage de ne pas devoir cette fois composer avec la censure iranienne. Mais visiblement, on ne se débarrasse pas si facilement de cette habitude et de ce poids. « Il y a deux types de censure : la censure officielle et l’auto-censure, qui est beaucoup plus dangereuse. Quand je quitte mon pays, les restrictions ne pèsent plus sur moi, mais je garde des conditionnements que je ne contrôle pas. J’essaye de ne pas considérer cela comme un obstacle mais comme un atout, et trouver une parade créative. »

Le Passé ●●●
FR, 2013, dir.: Asghar Farhadi, act.: Ali Mosaffa, Bérénice Bejo, Tahar Rahim, 130 min.
Le Passé
Le passé, que faut-il en faire ? Surtout s’il reste vague et n’a pas encore été digéré, qu’il pèse de façon indéniable sur la façon dont on vit son présent et se comporte avec sa famille et ses partenaires. Faut-il tout faire pour désamorcer un tel passé ? Ou y-a-t-il un point à partir duquel regarder en arrière n’a plus vraiment de sens ? Asghar Farhadi se pose ces questions dans le film qui suit son grand succès Une Séparation. Le réalisateur iranien n’a pas tourné à Téhéran mais à Paris cette fois. Ahmad (Ali Mosaffa) a fui pour finaliser son divorce d’avec Marie (Berenice Bejo) après plus de quatre ans. Cet homme aimable et sage n’arrive pas à en placer une car il atterrit en pleine tourmente familiale, qui s’aggrave jour après jour. Marie veut épouser Samir (Rahim) mais sa fille aînée, mal dans sa peau (le jeune talent belge Pauline Burlet), ne peut pas supporter son futur beau-père. Elle le soupçonne d’être responsable de la tentative de suicide de son épouse, qui est toujours dans le coma. Farhadi fabrique des tragédies modernes : chaque personnage est animé de bonnes intentions, personne n’est vraiment méchant et pourtant les conflits s’enveniment et il y a beaucoup de souffrance et de chagrin. Les situations et les dialogues sont très reconnaissables et les acteurs tellement crédibles que l’on en oublie que ce sont des acteurs. Farhadi construit son film comme Hitchock le faisait. Chaque détail est pensé. La structure du film est presque scientifique. Toutes les dix, quinze minutes, le drame reçoit un shoot additionnel. Un nouvel élément jette une toute autre lumière sur l’intrigue ou de nouveaux personnages viennent compliquer encore les situations. Une Séparation était sans doute du cinéma encore un peu plus radical. Mais soyons clairs : si vous avez envie de voir un drame intelligent, fort, stratifié et subtil, à plusieurs niveaux de lecture, allez voir Le Passé.

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