Black: le film choc de Adil El Arbi & Bilall Fallah

Niels Ruëll
© Agenda Magazine
03/11/2015
(© Saskia Vanderstichele)

Un jour avant qu’ils ne s’envolent vers Hollywood – les choses vont très vite pour eux – on a pu mettre la main sur Adil El Arbi et Bilall Fallah pour une discussion qui s’imposait autour de leur second long métrage. Dans Black, ils zooment sur la violence avec laquelle les bandes urbaines détruisent leurs propres enfants.

Black, présenté en première mondiale le 11 septembre au Festival International de Toronto, place une histoire à la Roméo et Juliette dans le milieu des bandes urbaines de Matonge et de Molenbeek. Mavela, 15 ans, est membre des fameux Black Bronx, Marwan fait partie d’une bande rivale, les 1080. Tous deux doivent brutalement choisir entre leur amour et leur loyauté envers leur groupe. À Toronto, ce film peu subtil mais cinglant a fait forte impression. Les réalisateurs bruxellois Adil El Arbi (à gauche) et Bilall Fallah (à droite) ont décroché le Dropbox Discovery Award et ont reçu des propositions d’à peu près toutes les maisons de production et studios internationaux. Finalement, ils ont opté pour la Creative Artists Agency, le bureau américain qui représente Steven Spielberg, Tom Cruise et Brad Pitt, et le bureau de management Management 360. Ceux-ci n’ont pas perdu de temps : en pleine campagne pour la sortie de Black, El Arbi et Fallah se sont envolés pour Los Angeles. « Ils ne plaisantent pas ces Américains. Une poignée de main et le deal est conclu. Après Toronto, on n’a pas arrêté de recevoir des mails et des coups de fil. À L.A., on a toute une série de rendez-vous avec des gens importants. On ne sait pas si quelque chose de concret va en sortir mais on va tout faire pour », déclare Bilall Fallah, 29 ans, avec un large sourire. « C’est dingue », renchérit Adil El Arbi, 27 ans. Ces deux-là sont inséparables depuis qu’ils se sont rencontrés à l’école de cinéma flamande Sint-Lukas à Bruxelles.


Vous n’avez pas encore 30 ans et Black est déjà votre second long métrage. Vous ne perdez pas de temps. Ça vous arrive d’attendre ?
Adil El Arbi : Euh... non. Le truc, c’est qu’on s’occupe de plein de choses en même temps. Pendant nos études, on avait déjà lancé plusieurs projets. Black date d’ailleurs de cette époque. On avait lu les livres de Dirk Bracke (Black et Back, Dirk Bracke est un célèbre écrivain flamand pour la jeunesse, NDLR) et on a trouvé ça formidable.
Bilall Fallah : C’est tellement beau, une pure histoire d’amour et en même temps la dure réalité des bandes des quartiers de Bruxelles.
El Arbi : Ça devait être notre premier film. Un film de rue à La Haine ou Cidade de Deus qui gicle visuellement de l’écran. On a écrit à l’auteur mais il nous a fait savoir qu’on arrivait trop tard. Quelqu’un d’autre était déjà en train de l’adapter pour le cinéma. On était dégoûtés.
Fallah : La déception était énorme. On était tellement convaincus que c’était nous qui devions faire Black. Finalement, on a demandé au réalisateur impliqué dans le projet, Hans Herbots, si on pouvait collaborer à son film. Même pour servir le café sur le plateau. On était prêts à tout.
El Arbi : Entre-temps, on a commencé à faire de meilleurs courts métrages. Avec Broeders, on a gagné une wildcard du Vlaams Audiovisueel Fonds (d’une valeur de 60.000 euros, NDLR).
Fallah : Avec ça, on voulait faire un long métrage, Image. Et puis Hans Herbots nous a fait un cadeau : il trouvait qu’on était mieux placés pour tourner Black.

Pourquoi avez-vous quand même tourné Image d’abord ? Le budget pour ce thriller sur les relations tendues entre les médias et les « quartiers à problèmes » à Molenbeek s’élevait seulement à 120.000 euros. Vos deux mentors, Michaël R. Roskam (Rundskop) et Nabil Ben Yadir (Les Barons), vous ont conseillé de ne pas vous lancer là-dedans. Avec Black, vous aviez de toute façon la chance de faire un long métrage.
El Arbi : C’est exactement ce que Roskam nous a dit. Mais on avait plusieurs raisons de le faire quand même. Réaliser Black, c’était une grande responsabilité. On n’avait pas encore d’expérience. Caviar est une grosse maison de production. On avait le budget. L’histoire était si géniale. On ne pouvait pas foirer ça. Mais Image, on pouvait le foirer. Une wildcard, c’est fait pour essayer des choses. Si Image avait fait un flop, on n’aurait fait perdre d’argent à personne.
Fallah : Et on doit reconnaître qu’on est des impatients. On ne voulait pas continuer de tourner dans le circuit des courts métrages. Un long métrage au cinéma, c’était notre rêve. L’impatience nous a poussés à faire Image. Cette expérience qu’on a pu acquérir, ça vaut de l’or. Black devait être parfait. Image était le parfait entraînement.

Les deux films se déroulent dans les rues de Bruxelles. Il y a des lieux de tournage plus simples...
Fallah : Ce n’est pas facile de tourner à Bruxelles. Du moins pas dans les quartiers où on n’a pas l’habitude des caméras. Mais on trouvait ça scandaleux qu’il y ait si peu de films tournés à Bruxelles. C’est la seule vraie grande ville de Belgique, le seul endroit qui peut être épique cinématographiquement. Le matériau qu’offrent des quartiers comme Matonge ou les Marolles est fantastique.
El Arbi : Tu poses ta caméra dans une rue de Bruxelles et ton film a directement l’air épique et super dur. On ne peut avoir cet effet nulle part ailleurs.
Fallah : Après avoir vu Black, beaucoup de gens nous demandent si c’est ça Bruxelles. Ça ressemble à une grande ville exotique, New York ou quelque chose dans le genre. J’habite à Bruxelles, mais quand je me balade je suis encore aujourd’hui surpris par des endroits incroyables.
El Arbi : Ici, il y a des millions d’histoires à raconter chaque jour et ça peut aller dans différents genres. Prenez Le Tout Nouveau Testament de Jaco Van Dormael : ce film a aussi été tourné à Bruxelles, mais c’est surréaliste et totalement différent.

Bilall, c’est vrai que tu as reçu une bouteille sur la tête pendant une prise de bec sur le tournage ?
Fallah : Deux de nos frères se sont tout à coup énervés sur le plateau. Ils étaient super furax, ils ont commencé à se battre et à tout casser. Je me suis pris une bouteille sur la tête. Ils criaient : « Qu’est-ce que tu fais dans notre quartier ? » Les esprits se sont calmés et le lendemain, ils sont venus s’excuser. Ils pensaient que l’histoire parlait d’une Marocaine qui sort avec un garçon noir. Mais après, ils ont compris que c’était une fille noire qui sort avec un Marocain. Alors il n’y avait pas de problème. (Rires) Pour que ce soit bien clair, il s’agissait juste de deux gars. Dans les Marolles, tout le monde nous a aidés. À Matonge, on a eu quelques problèmes avec les dealers...
El Arbi : Quelqu’un a sorti un couteau, quelqu’un nous a menacés. Mais c’était des éléments isolés. Le quartier était derrière nous. Il le fallait. S’il y en avait un qui s’énervait, il y en avait quinze autres pour le calmer.
Fallah : Molenbeek nous soutenait à fond parce qu’on avait déjà tourné Image là-bas. Mais les Marolles et Matonge, c’était nouveau pour nous. Nous sommes allés parler avec les leaders plusieurs mois à l’avance. À Matonge, des bandes nous défendaient. Il faut avoir l’autorisation de la rue pour pouvoir y tourner.

Comment Toronto a reçu Black ?
Fallah : À l’étranger, les gens pensent que Bruxelles est une ville proprette, sympathique et pleine de gaufres. Et puis ils voient Black. C’est un choc. En même temps, ils reconnaissent la réalité dure et crue. Black est un film de ghetto. Un film de rue dans la lignée de La Haine. La rébellion des jeunes – des immigrés en crise d’identité – n’est pas un phénomène bruxellois, ça se passe partout dans le monde. J’ai l’impression qu’on en parle plus facilement à l’étranger qu’ici.

Comme Black est un film divertissant, on oublie presque que les bandes urbaines constituent un danger réel.
El Arbi : C’est cette réalité qu’on voulait montrer. Tous les cinq ans, on constate qu’il y a une trentaine de bandes actives à Bruxelles, mais à part ça, personne ne s’en préoccupe. De toute façon, les principales victimes ne sont « que » des membres de ces bandes. Mais entre-temps, des filles ont été violées et des garçons sont morts pour quelque chose de très stupide.
Fallah : Il se passe des choses qu’on pense impossibles en Belgique.
El Arbi : Les victimes ne vont pas chez les flics. C’est ce qui explique que tout ça reste invisible. Mais ça se passe. Des parents de jeunes qui sont morts à cause de la violence des bandes nous ont raconté que la réalité est encore bien pire que ce que le film montre. Le livre de Bracke est encore plus dur et plus cru que le film. Notre grande angoisse, c’était que les gens pensent à la fin que c’est cool de faire partie d’une bande. On voulait qu’une bande semble quelque chose d’horrible. On transforme en héros deux personnes qui sortent d’une bande.
Fallah : La dualité entre le monde super dur des bandes et l’histoire d’amour presque à la Disney rend le film accessible. Plus l’histoire d’amour est belle plus la violence peut être rude.


Quelles scènes ont été les plus difficiles ? Les scènes d’amour ou les scènes de violence ?
El Arbi : D’amour ! Pas de doute là-dessus. L’action, ça on connaissait, mais l’amour ? C’est pas simple. Nous, on ne connaît rien aux femmes. On est plutôt du genre macho. Les acteurs nous ont sauvés. On ne devait presque rien faire. Il y a une alchimie entre Martha Canga Antonio et Aboubakr Bensaïhi. Heureusement. Si on ne croit pas à leur histoire d’amour, alors on ne croit pas au film. Si on ne croit pas à l’amour entre DiCaprio et Kate Winslet, alors on s’en fout que le Titanic coule.

Il y a déjà un scénario en route pour Patser. Ce sera votre prochain film ?
El Arbi :Patser, ce sera un film pour le fun. Ça devrait aller vite. Mais on travaille aussi sur un film sur les combattants en Syrie. Mais un thème si sensible exige un scénario en béton, tourné avec la finesse nécessaire.
Fallah : À Toronto, les boîtes de production ont réagi avec beaucoup d’enthousiasme par rapport à cette idée.
El Arbi : Le Il faut sauver le soldat Ryan de Belgique.
Fallah : Les combattants d’Isis sont un phénomène mondial. Beaucoup viennent d’endroits où nous avons habités. Moi à Vilvorde, Adil à Anvers. On verra quel film arrivera en premier. Et qui sait ? Peut-être que L.A. amènera d’autres choses encore.

Vous portez des bombers sur les tapis rouges. C’est pour vous faire remarquer et vendre le film ?
El Arbi : C’est un film pour le public. Et au niveau films, il y a de la concurrence cet automne. Il faut se battre pour chaque spectateur. Il faut se faire remarquer, par tous les moyens nécessaires.
Fallah : On sort aussi un album de rap Black et on est très actifs sur les réseaux sociaux. Black doit être un événement, voire même un mouvement. On fait entendre la voix des jeunes. Urban style. D’où les bombers.

Bonne chance à L.A. !

BLACK
BE, 2015, dir.: Adil El Arbi, Bilall Fallah, act.: Martha Canga Antonio, Aboubakr Bensaïhi, 95 min.
Release: 11/1
Avant-première: 9/11, 19.45, UGC De Brouckère

Photos © Saskia Vanderstichele

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