Broken: ceci n'est pas un film de Ken Loach

Niels Ruëll
© Agenda Magazine
30/01/2013

Broken est le premier film de Rufus Norris, metteur en scène de renom au théâtre et à l’opéra. Pour amener cette sombre histoire sur la violence, le manque, le fait d’être parent et la perte de l’innocence au-delà du réalisme social britannique, il a pu compter sur beaucoup de beau monde, notamment Tim Roth, Cillian Murphy et Damon Albarn (pour la musique).

Lors de la première mondiale à Cannes (Broken ouvrait la Semaine de la Critique), Tim Roth ne tarissait pas d’éloges à propos de sa jeune partenaire, Eloise Laurence. Elle est bluffante dans le rôle de Skunk, 11 ans, qui grandit dans une société pleine de violence. Elle assiste à la manière dont son voisin brutal tabasse un jeune du quartier, attardé et très materné, pensant erronément qu’il a peloté l’une de ses perfides filles. La victime ne se remet pas de cette violence inutile. À l’école aussi, Skunk découvre que la vie peut être terriblement dure. Elle est amoureuse de son professeur (Cillian Murphy), qui ne prend pas au sérieux sa relation avec sa gardienne. Elle peut compter sur son père (Tim Roth), mais ce solitaire acharné au travail ne peut pas tout prendre en charge. Rencontre avec le réalisateur Rufus Norris et Cillian Murphy.

Pas mal de critiques de cinéma situent Broken dans la tradition britannique du réalisme social. J’aurais tendance à ne pas être de cet avis. Quelle est votre position ?
Rufus Norris : Broken ne ressemble pas à un film de Ken Loach. Au niveau dramatique, nous allons plus loin. Le monde que nous présentons est légèrement exagéré. Les jeunes en scooter, le gamin qui fait du body popping… Ce sont des petites touches en bonus. La musique de Damon Albarn joue un grand rôle. Au bout du compte, j’avais une palette assez large à ma disposition. C’est aussi nécessaire pour rendre la fin acceptable. Dans les dix dernières minutes, l’univers du film change radicalement. Ce n’est pas sans danger. On frôle les limites et on demande au public de nous suivre.

Quelle était la place de l’improvisation ?
Norris : Tout était soigneusement scénarisé, mais ensuite, je lâchais la bride pour gagner en vraisemblance. Ça peut devenir plus cru que prévu. Les acteurs ont un peu plus de liberté, de façon à pouvoir s’approprier leur personnage. J’utilise aussi avidement ces « moments » imprévus qui arrivent lors du tournage et qui, pour l’une ou l’autre raison, fonctionnent bien.
Broken est une adaptation du livre éponyme de Daniel Clay. Pourquoi vous y être attelé ?
Norris : C’est une histoire sur la perte de l’innocence et sur le fait d’être parent. Je m’identifie à Skunk. Je me reconnais dans son optimiste et sa naïveté légèrement atypique, uncool. En même temps, en tant que parent, je suis en train de faire tout de travers, comme beaucoup de personnages du film. En Grande-Bretagne, on a encore pas mal de pain sur la planche avec les « jeunes d’aujourd’hui » et les « jeunes qui traînent dans la rue ». Ce qui me frappe, c’est qu’on ne va pas au cœur du problème : nous commettons de grosses erreurs sur le plan pédagogique. Il y a eu des émeutes récemment. J’habite à l’ouest de Londres. Ealing n’est pas un quartier défavorisé et pourtant, des milliers de jeunes sont allés ravager le centre. L’un d’eux est mort. Sorry, mais ce n’était pas une vraie révolte : la plupart étaient là pour avoir une paire de chaussures de sport gratuite. Mais nous aussi, les parents, la société, nous sommes responsables. Nous avons permis que des chaussures de sport de marque soit une chose à laquelle aspirer.

Quelle est la plus grande erreur des parents ?
Norris : Les enfants doivent disposer de la marge de manœuvre nécessaire - quand on grandit, on expérimente - mais en tant que parent, il faut donner des directions à suivre et des limites. Et il doit y avoir des conséquences si on ne s’y tient pas.

Vous n’aviez pas peur que Broken soit perçu comme un film misérabiliste et violent ?
Norris : Une condition pour que j’accroche à un film sombre et violent est que le personnage soit humain. Oswald, le voisin, est violent et antisocial. Si on rencontre quelqu’un comme lui, on le qualifie tout de suite de gros salaud. Mais personne ne devient un salaud juste comme ça. Le comportement d’Oswald a une histoire. Il adore ses filles. Dans un plan très significatif, on le voit en train de repasser. Cet homme seul ne passe pas ses soirées avec ses copains au café, il repasse. C’est sa réalité. Malheureusement, il ne pose pas de limites, ce qui fait que ses filles abusent de lui. À l’inverse, Archie (Tim Roth) n’est pas un Atticus Finch (le noble avocat de To Kill a Mockingbird, NDLR). On ne peut plus présenter un type comme Atticus Finch au public. Avant, les héros avaient une place claire dans une histoire, aujourd’hui, nous voulons voir « des gens ». Et les gens sont complexes.

Aussi bien Tim Roth que Cillian Murphy jouent des personnages beaucoup plus doux que ce à quoi nous sommes habitués.
Norris : Même si Tim Roth, un acteur formidable, joue une figure autoritaire, il lui donne un petit côté dangereux. Ses personnages n’ont pas tout leur bon sens ou ont un problème avec une forme d’agressivité. Le fait que je lui ai demandé d’aller dans la direction inverse est l’une des raisons pour lesquelles il a accepté le rôle. Il a saisi sa chance de jouer un peu autrement. Idem pour Cillian Murphy. Il a un physique tellement hors du commun qu’on lui demande rarement de jouer un jeune garçon comme les autres. Un emmerdeur qui ne prend pas la vie au sérieux mais qui est rattrapé par les événements.
Cillian Murphy, ça fait plaisir, après Inception et The Dark Knight, de vous revoir dans un film britannique à moindre budget. Comment Broken s’intègre dans votre plan de carrière ?
Cillian Murphy : Je n’ai pas de plan de carrière. C’est peut-être différent si on a plus de succès et plus de pouvoir que moi, mais je dois être à l’affût des bons scénarios et des rôles intéressants. J’ai assez de boulot, mais je veux du défi. Je n’aime pas tomber dans la répétition. Je suis très fier de Broken. C’était un plaisir de travailler avec Tim Roth, qui était déjà un héros bien avant que je ne commence à jouer. L’interprétation d’Eloise Laurence est extraordinaire. Ken Loach a dit un jour qu’il n’aurait jamais pu faire Kes sans le jeune garçon qui joue Billy. Eh bien, sans Eloise, Broken n’aurait jamais marché.

Vous incarnez un enseignant. Vous l’avez façonné d’après certains de vos profs ?
Murphy : Je connais bien le stress des enseignants. Mes parents étaient tous les deux profs, mon grand-père était directeur d’école et tous mes oncles et tantes étaient sur l’estrade. Je me souviens aussi d’un brillant professeur d’anglais qui m’a fait découvrir la littérature, le cinéma et le théâtre. Je sais aussi comment énerver un prof. Je pouvais être si insupportable et demander tellement d’attention que je me faisais foutre dehors. Il était grand temps que je joue un enseignant. Les choses ne sont pas faciles pour eux. Si vous laissez votre main un peu trop longtemps sur l’épaule d’un élève, vous êtes renvoyé. Les gens sont devenus paranos. Mon personnage doit intervenir physiquement lorsque Skunk se fait tabasser. L’idée que ça puisse lui coûter son boulot, je trouve ça horrible.
Que seriez-vous devenu si une carrière au cinéma n’avait pas été possible ?
Murphy : En fait, je n’ai jamais voulu devenir acteur. Je voulais être musicien, mais je n’avais pas le talent pour ça. J’ai commencé à jouer « par erreur ». Aujourd’hui, je m’estime heureux de pouvoir gagner ma vie avec un métier que j’adore et qui me permet de rencontrer des dizaines de personnes intéressantes. Je n’aime pas entendre les acteurs se plaindre. On est payés pour faire ce que l’on aime et tout le monde est aux petits soins.

Broken ●●
UK, 2012, dir.: Rufus Norris, act.: Eloise Laurence, Tim Roth, Cillian Murphy, 90 min.

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