Caroline Strubbe : questions sans réponses

Niels Ruëll
© Agenda Magazine
22/10/2013
(Caroline Strubbe © Kris Dewitte)

Ce n’est pas parce que quelqu’un signe des films intimistes et minimalistes où l’on ne dit que quelques mots que cette personne n’a rien à raconter. Comme la Laekenoise Caroline Strubbe à propos de I’m the Same I’m an Other, la suite de Lost Persons Area.

Le très coté Festival International du Film de Toronto a sélectionné I’m the Same I’m an Other pour son volet de films audacieux, visionnaires et autonomes qui élargissent le concept de cinéma. Le film poursuit le récit de Lost Persons Area, le premier long métrage de Caroline Strubbe, qui lui a valu un prix à la Semaine de la Critique à Cannes. Szabolcs (Zoltán Miklós Hajdu), 30 ans, et Tess (Kimke Desart), 9 ans, se cachent dans un petit appartement de la côte anglaise, liés par le chagrin, la solitude et le manque.

Est-ce vrai que c’est une trilogie que vous avez en tête ?
Caroline Strubbe : Beaucoup de réalisateurs aiment les trilogies, mais pour moi les choses sont un peu différentes. Il s’agit en fait d’un seul film que j’ai divisé en trois. J’ai écrit cette histoire d’un trait. Cinq années d’un coup. C’était horriblement détaillé. Ça me tenait à cœur parce que je devais me vider de cette histoire. C’est quelque chose de très personnel. Sur une période qui m’a laissé une forte impression. Et il semble que le cinéma soit le meilleur moyen de la raconter. Je n’ai jamais décidé de devenir réalisatrice. Je le suis devenue pour pouvoir raconter cette histoire.

C’est fort ce que vous dites là !
Strubbe : Si ça prend trois ans pour réaliser le troisième film, alors cette histoire m’aura occupée pendant treize années. Je suis curieuse de voir si j’arrêterai le cinéma après cette trilogie ou pas. J’attends avec impatience de le savoir. Est-ce que faire des films aura alors encore du sens ? Est-ce que j’aurai une nouvelle vie ? Ce qui est fantastique dans un film, c’est qu’on se lance dans une aventure dont on ignore où elle se terminera. Lors de la première, beaucoup m’ont dit qu’ils attendaient la troisième partie. Beaucoup de gens se demandent si je vais continuer dans le suggestif. Certains voudraient une réponse à toutes leurs frustrations des deux premiers films. Mais je ne vais pas donner ce genre de réponses. Il n’y en a tout simplement pas.
Y a-t-il aussi des films plus légers, plus joyeux en vous ?
Strubbe : J’ai écrit une comédie. J’aimerais bien faire quelque chose dans la lignée de Me and You and Everyone We Know de Miranda July. C’est mon type d’humour et c’est le genre de cinéma vers lequel je veux aller. Mais d’abord, je dois finir la trilogie. Je suis quelqu’un qui aime rire et discuter. Je suis moi-même frappée par le caractère âpre des films que je fais. Mais certaines choses s’expriment mieux dans des films remplis de silence.

Faut-il avoir vu Lost Persons Area pour pouvoir suivre I’m the Same I’m an Other ?
Strubbe : Non. Il y a eu trois visionnements tests, avec cinquante personnes qui n’avaient pas vu Lost Persons Area. Et qu’est-ce qu’on remarque ? Ils comprennent les antécédents en trois ou quatre plans. Ce qui fait que je me demande aujourd’hui si Lost Persons Area n’aurait pas pu être plus court (rires). Les gens devinent que ce Hongrois était l’amant de la mère de la fille et qu’il s’est passé quelque chose avec les parents. Il porte le deuil d’une femme qui n’est plus là, Tess porte le deuil de ses parents. Ils éprouvent chacun un manque différent mais du fait qu’ils ont tous les deux perdu quelqu’un, ils concluent une sorte de pacte.

L’enfant reprend le rôle de la mère/amante après avoir compris que l’homme porte lui aussi le deuil de quelqu’un. Pourquoi Tess se sent-elle obligée de faire ça ?
Strubbe : Les enfants se sentent très fort responsables du bonheur de leurs parents. J’en ai moi-même fait l’expérience. Ma mère était malheureuse et nous pensions que ça venait de nous. Mes sœurs et moi, nous allions loin pour essayer de la rendre quand même heureuse. Beaucoup de femmes réagissent étrangement fort au film. Des femmes dans la cinquantaine, dans la soixantaine se reconnaissent dans la jeune Tess. Pour une génération au-dessus de la mienne, cette relation est très reconnaissable. Pas la relation homme-enfant mais la relation homme-femme. S’enfermer dans une maison. S’occuper d’un homme. Certaines femmes sortent de la salle en pleurant. Trois ou quatre femmes sont venues me raconter que j’avais filmé leur vie. C’était très bizarre. Je pensais que je parlais de moi enfant. J’ai tout écrit à la première personne. Mais apparemment, je parle en partie de ma mère.
(Kimke Desart © Kris Dewitte)

La force de votre film réside dans les images, les silences, la suggestion. Est-ce que les personnages ne vous compliquaient pas la tâche en s’enfermant dans un petit appartement ?
Strubbe : Ça dépend. La contrainte libère. C’était seulement embêtant pour l’équipe – il n’y avait pas de place pour plus que sept personnes – qui devait tenir mentalement le coup pour s’occuper aussi longtemps de si petits événements. « Qu’est-ce qu’on tourne aujourd’hui ? Tess est devant le mur et passe son doigt sur le papier peint. L’homme fait la vaisselle. Et demain ? Un oiseau rentre dans l’appartement. Tess se cache sous le lit. Tess trouve une photo… » Et ça pendant vingt jours. Ça met à l’épreuve sa foi dans la cohérence et dans le résultat final. Moi-même je trouvais ça parfois « trop peu » ou je me demandais « ce que ça donnerait ». Mais une histoire peut naître de ce minimalisme et j’en suis contente.

Quelle place laissez-vous à l’improvisation ?
Strubbe : Tout est écrit, jusque dans les détails. Presque comme dans un roman. Jusqu’au papier peint. Mais lorsque c’est filmé, je jette littéralement mon scénario. Alors je recrée sans regarder. Mais comme ça m’a obsédée pendant tant d’années, je connais évidemment le scénario sur le bout des doigts. On pourrait comparer ça avec un musicien de jazz qui improvise mais qui connaît bien toutes ses notes et ses mélodies. Reproduire un scénario, c’est rater des événements qui sont super intéressants. Les plus beaux moments de I’m the Same I’m an Other sont des accidents : un chat qui saute sur un balcon, des enfants qui jouent dehors… Il faut être ouvert à ça. Pour l’équipe, c’est difficile si je décide tout à coup de filmer autre chose que ce qui était prévu. Mais ils étaient prévenus. J’avais retenu la leçon. Lors du tournage de mon premier film, l’équipe s’est révoltée. Maintenant, je les avertis. Maintenant je sais qu’on peut tourner à ma manière et que c’est mieux de ne pas reproduire un scénario mais de rechercher des situations authentiques. Un peu comme Abdellatif Kechiche (le réalisateur de La vie d’Adèle, NDLR) semble le faire.

I’m the Same I’m an Other ●●
BE, 2013, dir.: Caroline Strubbe, act.: Zoltán Miklós Hajdu, Kimke Desart, 112 min.

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