Grand Central: Rebecca Zlotowski convainc

Niels Ruëll
© Agenda Magazine
28/08/2013
Avec Grand Central, un film sur une relation triangulaire dans une centrale nucléaire avec des rôles éclatants pour Tahar Rahim et son actrice fétiche Léa Seydoux, la jeune réalisatrice et scénariste française Rebecca Zlotowski confirme tout le bien que l’on dit d’elle depuis Belle épine.

Après une série de petits boulots, l’ambitieux, jeune et nomade Gary commence à travailler dans l’équipe d’entretien d’une centrale nucléaire. Enfin de l’argent qui rentre et un avenir ! Il accepte sans sourciller le fait que nettoyer des réacteurs nucléaires est un boulot dangereux, ce que lui rappelle en permanence le radiomètre. Mais le vrai danger vient d’ailleurs. Au début, il baise - uniquement pour le plaisir - avec Karole, l’amie sensuelle et libérée d’un collègue. Une fois que l’amour s’en mêle, on attend l’issue fatale. C’est une intrigue bien connue et Zlotowski n’est pas la grande innovatrice en matière stylistique. Mais est-ce vraiment nécessaire ? Grand Central est énergique, raconté avec conviction et animé d’un réel amour pour le cinéma. Du cinéma classique, comme on l’aime.

Le personnage principal est peut-être la centrale nucléaire. Où l’avez-vous dénichée ?
Rebecca Zlotowski : La recherche d’un décor approprié a relevé du véritable casse-tête. Faire reconstruire une telle centrale aurait été impayable. En théorie, j’aurais pu faire n’importe quoi. Tout le monde sait à quoi ressemble un commissariat mais presque personne ne sait de quoi ont l’air de l’intérieur de telles centrales. Mais je pense qu’il faut montrer quelque chose de réel dès que l’on ouvre les portes d’un univers caché. J’ai donc été très heureuse quand nous avons découvert en Autriche une centrale qui n’avait jamais été utilisée et où l’on pouvait tourner. Pouvoir filmer un environnement tellement secret, interdit et spectaculaire est indéniablement excitant. Mais ce n’était pas un but en soi. Je suis moins intéressée par le décor que par les hommes qui peuplent ce monde caché.

Je comprends mais dans ce cas, l’environnement exerce quand même une influence évidente sur les personnages. La centrale est plus qu’un simple décor.
Zlotowski : Ce n’est pas une usine ordinaire et le milieu n’est pas neutre. Ces travailleurs ont réellement besoin les uns des autres. Quand Olivier Gourmet explique à Tahar Rahim qu’il ne peut pas travailler en solo, il sait que sa propre vie est en danger si le nouveau ne veut pas jouer en équipe. À cause du rayonnement, en raison de la présence d’un grand danger, les humains doivent se comporter différemment les uns avec les autres et être très solidaires entre eux. C’est plus que la simple camaraderie chantée jadis dans les films français du réalisme poétique.

Mais Grand Central remet en mémoire des films tels que La bête humaine de Renoir.
Zlotowski : Grand Central n’est pas un pastiche. Certains réalisateurs partent d’un genre pour le déconstruire ensuite. Je préfère partir d’un personnage, d’un environnement, d’un récit, et, progressivement, le film trouve sa forme, son genre. Pour autant que vous puissiez étiqueter un genre à Grand Central. Bien entendu, je me suis repue en chemin d’images et de scènes déjà tournées par d’autres et, oui, j’ai étudié La bête humaine et les grandes comédies dramatiques de Renoir sur la passion et les dérives dans le monde des travailleurs. J’adore ce contraste magnifique qui existe entre son traitement très précis du monde professionnel et les débordements de la passion. Je ne cache pas mes sources. Manda tire son nom du personnage de Serge Reggiani dans Casque d’or de Jacques Becker. Son rival dans mon film s’appelle Toni comme le personnage principal de Toni de Jean Renoir. Mais nous avons rencontré ces grands personnages en chemin, ils n’étaient pas là depuis le début. L’objectif était bel et bien de parler du jour d’aujourd’hui.

Vu que vous ne cachez pas vos sources d’inspiration, Grand Central a aussi quelque chose d’un western... Le cinéma américain vous inspire donc aussi ?
Zlotowski : Je suis folle de The Gypsy Moths, un film peu connu de 1969 de John Frankenheimer. Burt Lancaster y joue un parachutiste qui vit de spectacles aériens dans de petites villes de province. Vous percevez vite le lien avec mes travailleurs de centrales nucléaires qui doivent aller de centrale en centrale pour y accomplir un travail dangereux et inquiétant. Dans un de ces villages, Lancaster s’éprend de sa logeuse, heureusement mariée : Deborah Kerr. Ils ont une liaison, font l’amour sur le plancher, tandis que l’époux de la femme dort à l’étage au-dessus. Et pourtant, cela ne choque pas. Lancaster demande à Kerr si cela lui arrive souvent. Elle lui répond que ça arrive. J’ai repris ce dialogue. Au début, il s’agit purement de sexe et de plaisir. Les problèmes ne surgissent que quand les sentiments s’en mêlent par après. C’est ce qui se passe aussi dans Grand Central.

Dans Belle épine vous campez un monde d’hommes de motards que vous filmez à une certaine distance. Cette fois, vous prenez place avec votre caméra au milieu même de ces hommes. Vous osez davantage ?
Zlotowski  : Je me suis moi-même un peu reproché d’avoir, dans Belle épine, filmé à distance les motards. Maintenant, je filme ce monde d’hommes de l’intérieur. Mais Grand Central ne parle pas uniquement d’hommes. Leur chef est une femme. Et le personnage de Léa Seydoux est à l’avant-plan. Je ne fais pas de grande distinction entre les personnages masculins et féminins du film. Ils me sont tous également familiers et étrangers. Si vous cherchez des différences entre les acteurs, alors je vous dirais que l’âge compte plus que le sexe. C’était la première fois que je dirigeais des acteurs mûrs, adultes, de l’envergure d’un Olivier Gourmet. Dans Belle épine j’étais davantage à la tête d’un camp de vacances avec des acteurs adolescents, certes tous extrêmement doués et déterminés à donner le meilleur d’eux-mêmes.

Il est peut-être aussi (sinon plus) difficile de confirmer l’exploit que de faire un premier film. Grand Central était dans la sélection officielle de Cannes. Vous êtes lancée maintenant ?
Zlotowski : Je ne vois pas la réalisation de films comme une carrière. Je dois, bien entendu, gagner ma vie et serais embêtée si je ne pouvais plus réaliser. Je devrais trouver autre chose et ce serait très difficile pour moi de trouver un travail qui me rende aussi heureuse. Peut-être que je pourrais devenir scénariste. J’écris également pour d’autres réalisateurs. Selon moi, on ne peut pas capitaliser son expérience. Lors d’un prochain film, si j’en fais un, je me poserai à nouveau les mêmes questions, ferai face aux mêmes angoisses, aurai le même trac le jour de la première. Je ne crois pas en ces réalisateurs qui annoncent d’avance qu’il vont réaliser des chefs-d’oeuvre à la pelle. Ça me semble horrible. Il faut être un peu malheureux et mécontent pour avoir envie de continuer.

Grand Central ● ● ●
FR, 2013, dir.: Rebecca Zlotowski, act.: Léa Seydoux, Tahar Rahim, Olivier Gourmet, 94 min.

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