Guillaume Gallienne passe à table

Niels Ruëll
© Agenda Magazine
20/11/2013
Un garçon issu d’une famille typiquement bourgeoise adore sa mère. Il préfère une discussion autour d’une tasse de café et Sissi impératrice au sport et à la chasse et est conforté dans son idée d’être une fille. Un problème identitaire de cette taille, c’est tout sauf drôle. Mais Guillaume Gallienne raconte son histoire d’une manière qui vous fait éclater de rire plusieurs fois.

Les boucles et les yeux malicieux de Guillaume Gallienne apparaissent dans des dizaines de films, mais c’est au théâtre qu’il a fait ses preuves. Très jeune, il est devenu sociétaire de la Comédie-Française et a remporté un succès populaire il y a cinq ans avec sa comédie autobiographique Les Garçons et Guillaume, à table ! Cet accueil enthousiaste lui a permis d’adapter pour le cinéma l’histoire de son enfance et de son adolescence. À Cannes, la Quinzaine des Réalisateurs a été conquise par le film. Gallienne a lui-même réalisé cette comédie-confession flamboyante et y incarne aussi bien son propre personnage à différents âges que son impassible mère.

Le film fait suite à la pièce de théâtre mais depuis combien de temps avez-vous l’idée de raconter cette histoire particulière et très personnelle ?
Guillaume Gallienne : Laissez-moi faire le compte. J’ai pu arrêter mes sessions chez le psy en commençant à faire du cheval et c’était au nouvel an de l’an 2000. J’avais plus ou moins 26 ans et j’étais déjà à la Comédie-Française. Un peu avant ça, j’avais eu l’idée de faire un film. Le déclic est venu pendant une session. Je racontais à mon psy que ma mère avait l’habitude de crier « Les Garçons et Guillaume, à table ! » Comme si mes deux frères étaient des garçons et moi non. Ce n’est quand même pas rien ! Je n’étais absolument pas à la recherche d’un sujet. J’étais chez le psy, je me cherchais moi. Mais avec cette petite phrase, j’avais à la fois un thème et un fil rouge pour toutes ces anecdotes isolées sur ma jeunesse avec lesquelles j’amusais mes amis pendant les dîners.
Vous incarnez vous-même votre mère, une personnalité marquante, pour éviter que le personnage ne devienne une caricature ? Pour prendre sa défense, en un certain sens ?
Gallienne : Ça me fait très plaisir que vous ayez vu que je la défends. Une actrice ne l’aurait pas comprise. Ou alors j’aurais dû tout diriger. Mais il n’y a rien de pire qu’un réalisateur qui vous dit tout ce qu’il faut faire et comment il faut dire le texte. « Mais fais-le toi-même alors », c’est ce que je pense chaque fois. Alors je le fais moi-même. En plus, c’est aussi une bonne manière d’illustrer la schizophrénie latente et de raconter que des problèmes comme ça, ça ne se résout pas : au mieux, on les transforme ou on les poétise. La meilleure preuve, c’est que j’ai 41 ans et que je joue toujours à être ma mère (rires).

Enfin une manière de jouer votre mère adorée sans vous faire taper sur les doigts... Gallienne : Le matin, je jouais ma mère, et moi l’après-midi. Pour obtenir le rythme juste et précis de la conversation, on faisait passer l’après-midi les séquences prises le matin. Deux fois, je suis moi-même tombé dans le piège : je pensais que ma mère était vraiment sur le plateau de tournage. Physiquement, on ne se ressemble pas – elle est très belle – mais nos voix sont très proches. Je voulais montrer cette schizophrénie larvée. D’où, par exemple, la scène où le psy demande soudainement à qui je suis en train de parler (à ce moment-là, il parle à sa mère imaginaire, NDLR). C’est un peu « limite ». J’aurais pu me fracasser contre le mur. Non, en fait, je me suis fracassé contre le mur. Je me suis relevé péniblement, mais pour le même prix, j’aurais pu rester à terre.

Dans le film, Guillaume pense assez vite en stéréotypes et en clichés.
Gallienne : Le film raconte qu’on ne peut pas coller des étiquettes sur les gens. On ne fait pas ça en collant des étiquettes. Mais Guillaume est enfermé dans les clichés. En Espagne, il se croit tout de suite dans un film d’Almodóvar. Dans son hôpital, il reconnaît Carmen Maura. Toutes les autres femmes semblent sorties de Femmes au bord de la crise de nerfs. En Angleterre, il se croit tout de suite dans un film de James Ivory et tombe amoureux d’un croisement entre Rupert Everett et Hugh Grant. Je montre qu’il pense lui-même en clichés débiles. Son monde, le monde de la grande bourgeoisie, est bourré de clichés. Il n’y a que là qu’on pend des grandes photos ou des tableaux de soi-même. C’est insupportable non ? Tout est cliché chez les grands bourgeois. Leur lien avec le combat quotidien est assez « bizarre » pour le dire gentiment. S’ils ont faim, le repas doit arriver sur la table dans la minute qui suit.

Il n’y a pas de tension entre l’histoire, douloureuse en soi, et la comédie ?
Gallienne : Lorsque j’ai eu terminé l’écriture, j’ai lu le texte à Claude Mathieu et à son mari. Claude est ma marraine en théâtre et elle m’a aidé à mettre en scène. Ils n’ont pas ri une seule fois. Après le dernier mot, il y a eu un silence interminable. Ils trouvaient que c’était une succession de coups de poing à l’estomac. Il n’y avait jamais de temps pour s’en remettre. « Il va falloir jouer, là », ont-ils dit. Je n’en étais pas du tout conscient (rires). Moi, cette histoire me fait rire. C’est marrant comme un texte peut être interprété différemment. Les cloisonnements, ça ne m’intéresse pas. Je ne fais pas de distinction entre le sérieux et l’humour. Le film est en même temps très sérieux et drôle, et pas « parfois sérieux et parfois drôle ». Ce qui m’amuse énormément, ce sont les gens qui disent après le film : « Allez, il est quand même un peu... » (il secoue sa main d’un air précieux). Ça me fait marrer.

N’est-ce pas triste ? Ils passent complètement à côté de ce que vous racontez.
Gallienne : Non, c’est drôle. Ils doivent se rassurer. « Quand même, on ne peut pas se déguiser en Sissi et ne pas avoir un dossier. Ce n’est pas possible autrement ». Mais le fait que les gens se sentent obligés de faire cette remarque tout haut signifie que le film les a quand même rendus un peu moins sûrs d’eux. Je vois donc ça de manière positive.

Vous avez une solide carrière au théâtre. La réalisation, c’est une expérience qui se répétera ?
Gallienne : Je prépare un deuxième film. Et cette fois, ce n’est pas moi le sujet. J’ai bien aimé la préparation et le tournage. J’ai trouvé la post-production laborieuse. Le cinéma stimule le sentiment de priorité. Chaque problème doit être résolu tout de suite. On n’a pas le temps de se regarder le nombril. Il faut être inventif à chaque seconde. C’est génial.

Les Garçons et Guillaume, à table! ●●●
FR, 2013, dir.: Guillaume Gallienne, act.: Guillaume Gallienne, Diane Kruger, 85 min.

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