La quête du graal de Serge Bromberg

Niels Ruëll
© Agenda Magazine
12/04/2012
Les frères Lumière ont inventé le cinématographe, le magicien Méliès a inventé le cinéma. Une boutade? Une copie couleur restaurée de 1902 de son film le plus célèbre, Le Voyage dans la Lune, retrouve le chemin des salles obscures en l’an 2012. Dans le documentaire Le voyage extraordinaire, Serge Bromberg retrace l’histoire spectaculaire de ce film, de Méliès, de l’image légendaire de la Lune avec une fusée fichée dans l’œil et d’une restauration unique.
En 2011, on fêtait le 150e anniversaire du pionnier des pionniers du cinéma et inventeur des effets spéciaux. Georges Méliès (1861-1939) a reçu avec Hugo Cabret un bel hommage de Martin Scorsese. Pendant le Festival de Cannes,
chaque présentation de gala s’est ouverte avec la projection du Voyage dans la Lune, le premier succès commercial du monde. Doté d’une bande originale signée par Air, mais surtout extraordinairement restauré, et en couleur. De la couleur en 1902 ? Les copies couleur ont vu le jour grâce à des ateliers où des dizaines de jeunes filles ont peint les rouleaux de pellicule, image par image, 13.375 pièces. Le trésor de Méliès a disparu en grande partie, mais au début des années 80, le collectionneur français et expert en restauration Serge Bromberg a retrouvé à Barcelone une copie couleur unique. Un miracle. Mais pour restaurer cette version gravement endommagée, bien d’autres miracles étaient nécessaires. Avant notre interview, Bromberg ouvre une boîte métallique portant un titre mystérieux : Graal. Elle contient des fragments de la copie couleur du Voyage dans la Lune. Ils sont tellement fragiles et durcis qu’ils doivent être maintenus debout pour contrer la pesanteur. Des frissons parcourent mon dos. Je n’avais jamais été aussi proche de l’origine du cinéma.

Nous ne nous étendrons pas trop sur cette restauration sans précédent, le film le fait bien mieux que nous. Mais parlons-en quand même un peu...
Serge Bromberg: Le Voyage dans la Lune en couleur, je n’osais même pas en rêver. On ne peut pas provoquer une telle aventure. On peut seulement la vivre lorsqu’elle se présente. Lobster Films, la société que je dirige avec Eric Lange, a commencé la restauration en 1990. À ce moment-là, les technologies qui allaient être nécessaires pour mener le travail à bien n’existaient pas encore. Nous avions cette copie venue d’Espagne et nous voulions sauver ce que nous pouvions. Nous n’avions pas de plus grandes ambitions. Nous aurions déjà été contents de pouvoir sauver quelques photogrammes. Au final, avec l’aide précieuse de chimistes, nous avons réussi à récupérer 85 % des images, complètement ou partiellement. En 2003, les nouvelles technologies numériques nous ont donné une idée. Nous avons décidé d’attendre encore un peu et nous avons cherché un financement et du soutien, en vain. C’est seulement en 2010 que je l’ai trouvé, chez Groupama Gan et Technicolor.
Le hasard vous a offert un formidable timing. Avec Hugo Cabret, Méliès a le vent en poupe et avec The Artist, c’est le film muet qui est en vogue.
Bromberg: Oui. Ça me réjouit en effet que Scorsese ait remis Méliès sous le feu des projecteurs. Et j’espère de tout mon cœur que The Artist a débarrassé le public de l’idée qu’un « bête » film en noir et blanc va les ennuyer. Ces films ont vraiment été conçus pour divertir les foules. The Artist est exotique et enthousiasmant, mais combien y a-t-il de chefs-d’œuvre de cette époque du cinéma muet qui sont cent fois plus forts ? Les films de Murnau, Sternberg, John Ford, Abel Gance... The General de Buster Keaton, The Phantom of the Opera de Rupert Julian ou Greed d’Erich von Stroheim sont incroyablement puissants et modernes.
Est-ce un triomphe personnel?
Bromberg: Dans les années 80 et 90, pas mal d’archives cinématographiques nous ont traités avec arrogance. Nous étions soi-disant des aventuriers qui n’avaient pas les bons diplômes universitaires. Je pensais que le temps jouerait en notre faveur. Et j’avais raison : je suis toujours là, eux non. Aujourd’hui, le travail de restauration de Lobster Films est reconnu. Entre-temps, nous possédons 110.000 bobines, les droits de plusieurs films importants et quelques découvertes significatives. Deux d’entre elles ont donné lieu à un long métrage : L’enfer d’Henri-Georges Clouzot il y a trois ans et celle-ci. Méliès, c’est le Mont Everest. Le Voyage dans la Lune est le film le plus emblématique de l’histoire. Je suis très fier de ce travail, mais je ne fais pas ça pour la gloire ou pour l’argent. Je le fais pour que l’on regarde à nouveau Méliès. Je le fais pour les petites étoiles dans les yeux du jeune qui voit Le Voyage dans la Lune, qui entend la musique d’Air et qui se rappellera encore de ça dans vingt ans alors qu’il aura oublié Avatar. Dans quelques années, on ne parlera plus de Serge Bromberg, ni de Groupama Gan et de Technicolor qui ont dépensé une fortune pour la restauration de film la plus chère de l’histoire. Il ne restera que Méliès et Le Voyage dans la Lune. Tant mieux.
Vous avez reçu le soutien des Américains parce que Le Voyage dans la Lune est considéré comme patrimoine de l’humanité?
Bromberg: Martin Scorsese nous a écrit au début dans une lettre d’encouragement que nous ne devions pas hésiter à demander de l’aide. J’ai en effet profité de la bienveillance mondiale. Il faut souligner que les Français ont pris soin de la restauration. Pour la partie numérique, nous avons fait appel à une équipe américaine menée par Tom Burton. Non seulement il ressemble comme deux gouttes d’eau à Méliès, mais en plus, en tant que spécialiste des effets spéciaux, il a travaillé avec passion au plus célèbre film du pionnier de ce domaine.
Qu’est-ce qui a fait l’énorme succès, mondial, du Voyage dans la Lune en 1902?
Bromberg: Je ne sais pas. Ce qui fait qu’une image traverse un siècle sans perdre de sa force.
Vous parlez de la fusée dans l’œil de la Lune.
Bromberg: Beaucoup de gens ne savent même pas que cette image est tirée d’un film. Elle appartient à l’imaginaire collectif, comme le smiley, la bouteille de Coca-Cola et la jupe de Marilyn Monroe qui se soulève. L’image a été recyclée sans fin. Le film lui-même, non. Tout le monde le connaît, mais personne ne l’a vu. Dans les écoles de cinéma, on en montre quelques extraits et c’est tout. Mais Le Voyage dans la Lune a été fait pour plaire à des gens qui ne connaissaient encore rien du cinéma mais qui avaient envie de se distraire avec un spectacle. Sincèrement : avec la musique d’Air, Le Voyage dans la Lune est le plus beau vidéo-clip de l’histoire. Cette merveille visuelle, cette imagination, cette couleur ! C’est incomparable... Chaque image, large de 2 centimètres, a dû être peinte séparément en différentes couleurs avec un pinceau très fin. Un atelier de coloristes y a passé plusieurs mois. C’est du Rembrandt, du Da Vinci, du Botticelli ! Si on regarde bien, on voit le moment où la coloriste a trempé son pinceau dans la peinture : la couleur est alors plus vive.

Le Voyage dans la lune ••••
FR, 1902, dir.: Georges Méliès, act.: Georges Méliès, Bleuette Bernon, 14 min.

Le voyage extraordinaire •••
FR, 2011, dir.: Serge Bromberg, 65 min.

Avant-première: 17/4, PSK/PBA (release: 18/4)

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