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Interview

Le film 'Insyriated' sur des civils piégés dans l’enfer syrien

Niels Ruëll
© BRUZZ
10/10/2017

Le Bruxellois Philippe Van Leeuw a la vision et les nerfs requis pour faire des films durs sur des sujets délicats. Son premier film Le Jour où Dieu est parti en voyage traitait du génocide rwandais. Dans Insyriated, couronné par la critique, des civils syriens se battent pour conserver leur humanité dans des circonstances inhumaines.

Ce n’est pas si facile de se faire entendre avec un film sur des gens qui ne sont pas entendus parce qu’ils sont prisonniers d’une guerre civile atroce. Mais Philippe Van Leeuw semble tout de même y parvenir. Insyriated a remporté en début d’année le prix du public au Festival de Berlin, a ouvert ce mardi le Festival du Film de Gand et a conquis la critique internationale.

Le personnage incarné par l’inégalable actrice Hiam Abbass, gère d’une poigne de fer un appartement assiégé de Damas. Elle tente de protéger ses enfants, son beau-père, son aide ménagère et un jeune couple qui cherche à fuir contre les tireurs embusqués et les pilleurs qui ont fait de la guerre civile en Syrie l’enfer sur terre.

Comment un réalisateur bruxellois se retrouve dans un des plus grands brasiers du monde ?
Philippe Van Leeuw: Depuis fin 2010, j’ai passé pas mal de temps à Beyrouth. J’ai vu de près ce qu’il se passe en Syrie depuis mars 2011. Ça a tout de suite suscité mon intérêt. Le régime de Bashar al-Assad combat de manière totalement « inattendue » : des snipers sur les toits pour tirer dans la foule qui défile, juste pour semer la terreur, des enlèvements par centaines, la torture. La violence est insensée.

La différence avec les printemps arabes en Tunisie est énorme. Mais le plus choquant est pour moi la différence de traitement international entre la Libye et la Syrie. On a mis tous les moyens – militaires et politiques – pour sauver la rébellion contre Mouammar Kadhafi. Un Kadhafi qui aurait certainement gagné si on l’avait laissé faire. Mais on a tourné le dos à la Syrie. On n’a pas voulu savoir ce qu’il s’y passait.

Vous étiez donc à Beyrouth, la capitale du Liban. Dans ce pays voisin de la Syrie, la guerre civile a duré plus de quinze ans.
Van Leeuw: J’étais à Beyrouth pour travailler comme chef opérateur et mon frère a vécu à Beyrouth entre 1983 et 1986. La guerre du Liban m’a accompagné pendant vingt ans. J’essayais de comprendre cette guerre inexplicable qu’on a jamais comprise. On n’a même pas compris comment elle a fini par s’arrêter.

Je crains que la Syrie soit partie pour le même schéma. On en est à six ans de guerre. J'ai bien peur que la destruction et la violence en Syrie soient infiniment supérieures à ce qui s’est passé au Liban. Il n’y a plus rien. Tout est en ruine. C’est catastrophique. Il ne reste que la moitié de la population. On compte onze à douze millions de réfugiés dans ou en dehors du pays.

Beaucoup de gens sont en lutte avec un sentiment d’impuissance. Avec Insyriated vous faites quelque chose pour la population syrienne.
Van Leeuw: Je suis content que vous pensiez ça. Mon premier film, Le Jour où Dieu est parti en voyage, abordait le génocide au Rwanda. Je suis de nouveau parti de cette colère, de ce sentiment d’impuissance face à des choses terribles qui se passent sous nos yeux.

Je ne condamne absolument pas les médias. D’autant plus que les médias internationaux étaient tenus à l’écart du pays. Qu’est-ce qu’on pouvait savoir? Mais les médias s’attachent à montrer et parler des combats, des explosions et tout ce qui fait la guerre. Ils parlent peu du vécu des gens ordinaires. Je suis interpellé par la réalité que vivent des gens comme nous et dont on n’a pas d’images ou d’informations. C’est de cette réalité que je veux traiter.

Dans vos films, les personnages font des choses contestables pour survivre mais vous ne les condamnez pas.
Van Leeuw: Le cœur du film est la scène du viol. Une personne se trouve seule face à l’agresseur pendant que tous les autres sont à l’abri de l’autre côté de la porte. C’est une métaphore de la situation en Syrie. La personne violée est la Syrie et ceux qui sont dans la cuisine, c’est nous. Mais les personnages dans le film sont contraints de ne pas ouvrir la porte. Ça causerait leur mort. Je ne m’autoriserais jamais à les condamner ou à les juger. Nos gouvernements par contre…

Quelle est la différence ?
Van Leeuw: Le film s’attache profondément à l’humain. Dans des circonstances aussi extrêmes, émergent beaucoup de conflits entre la raison et l’instinct. On prend des décisions contre notre sens moral. On n’a pas toujours le choix parce qu’on est des humains. Mais nos gouvernements ne sont pas dans l’humain, ils sont dans la fonction. Ils ont les outils pour intervenir. Ne pas les utiliser est impardonnable.

Par après, les personnages se sentent coupables. Est-ce que nous nous sentons coupables ? Est-ce que nos gouvernements se sentent coupables de non-ingérence ? Est-ce qu’ils tendent au moins la main à ceux qui ont le courage et la force de quitter leur pays et arrivent jusque chez nous ? Notre réaction n’est pas digne.

Le film ne se positionne pas sur la nature du conflit. Un choix conscient, je suppose.
Van Leeuw: Personne n’est identifié dans le film comme pro régime ou pro rébellion, ni comme appartenant à une obédience religieuse ou autre. On ne le sait pas. Je pense que c’est une famille sunnite, modérée, libérale. Ils ne sont pas riches mais il y a des livres et de la culture. Une pensée libérale est à l’œuvre. Les agresseurs ne sont pas non plus identifiés. Je pense que ce sont des mafieux qui profitent du chaos pour piller et semer la terreur. Ceux-là sont souvent pros régime.

Le film n’explicite rien. Je ne veux pas rentrer dans un jeu polémique par rapport à la situation en Syrie parce que je ne tiens pas à me priver d’une partie du public. Je voulais aussi protéger les acteurs: surtout les deux Syriens de Syrie et les autres qui y retourneront certainement un jour. Le film ne prend donc pas partie. Mais, personnellement, je pense que Bashar al-Assad est un tortionnaire et que les gens qui le soutiennent sont encore pires.

> Insyriated. BE, dir.: Philippe Van Leeuw, act.: Hiam Abbass, Diamand Bou Abboud, Juliette Navis
> Release: 11/10

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