Pablo Larraín : publicité et dictature

Niels Ruëll
© Agenda Magazine
30/04/2013
Les dictateurs ne doivent pas nécessairement être renversés avec force versements de sang. Une campagne publicitaire d’un optimisme effronté joua un mauvais tour en 1988 au très redouté général Pinochet, le dictateur chilien. C’est l’histoire fascinante que Pablo Larraín sort de l’oubli avec maestria.

A la fin des années 80 Pinochet cède à la pression internationale et organise un référendum. Une majorité de oui lui donnerait un sauf-conduit pour continuer à gouverner le Chili, tandis qu’une majorité de non amènerait des élections démocratiques. Le dictateur qui avait éliminé en 1973 le Président Salvador Allende par un coup d’Etat était confiant. Les médias étaient à sa botte. L’opposition disposait seulement d’un petit quart d’heure d’antenne par jour. Mais une campagne publicitaire frappante et positive convainquit les Chiliens de choisir le changement et de voter pour un non. No raconte le point de vue et le vécu des hommes qui se cachaient derrière cette campagne historique et novatrice. Le focus est mis sur le personnage incarné par la star mexicaine Gael García Bernal: un publicitaire branché qui convainc l’opposition de se taire sur les crimes du dictateur pour porter un message politique joyeux, haut en couleurs, et (presque trop) hyper-optimiste. Le réalisateur Pablo Larraín a déjà fait quelque impression avec ses Tony Manero et Santiago 73 – Post mortem. No est nominé pour un Oscar. « J’ai hésité lorsqu’on me proposa le projet. A l’exception de notre fête nationale célébrant l’indépendance, le « Non » à Pinochet est le moment le plus important de l’histoire du Chili moderne. Et je n’avais pas le droit de bousiller ce morceau d’histoire ».

Aviez-vous peur que les personnes concernées ne cautionnent pas le film ?
Pablo Larraín : Oui, en partie. Les hommes derrière cette campagne du « Non » sont de véritables héros nationaux. Ils ont battu Pinochet et ont amené un changement de cap. Nous les avons bien entendu rencontrés. On a fait énormément de recherches. Au début, ils étaient très réticents. Ils ne comprenaient pas pourquoi je voulais à tout prix réaliser No. Je les comprends. Mes films précédents sont relativement sombres et violents. Ils pensaient que je prendrais des libertés avec leur histoire. Mais ils se sont laissé convaincre par l’excellent scénario, classique, et par la participation de Gael García Bernal. Nous avons eu accès à leur documentation et pu utiliser des photographies d’archive. Nous sommes devenus amis. Les membres de la campagne jouent même un petit rôle dans le film. Mais pour la blague, je les ai mis dans le camp de Pinochet.
Pourquoi vous concentrez-vous sur le jeune publicitaire et non sur les autres membres de l’équipe de campagne ?
Larraín : Nous avons trouvé leur point de vue plus original. Vous avez les hommes politiques, les experts en communication, les sociologues et ensuite quelqu’un qui joue avec des petits trains et qui a l’habitude de vendre des micro-ondes, des spaghetti, et du football. C’était son idée de ne pas jouer sur la violence du régime mais d’aller vers un message positif.

Pourquoi Pinochet était-il si confiant sur l’issue du référendum ?
Larraín : Pinochet était au pouvoir depuis le coup d’Etat du 11 septembre 1973. Au début, il avait le soutien des Etats-Unis. Mais après quelques années, ces derniers ont réalisé qu’ils soutenaient (mais sans trop d’ardeur) un dictateur à moitié-fou et violent. Pinochet n’avait aucune envie de ce référendum mais l’accepta en raison de la pression internationale. Pour diverses raisons, il était confiant sur le bon déroulement de ce dernier. Il contrôlait les médias et avait beaucoup de partisans. Beaucoup d’électeurs de la droite lui étaient redevables de leur situation et de leur bien-être. Les gens avaient peur également de ce qui se passerait s’il n’était plus au pouvoir. Et on ignorait tout ce qu’il avait sur la conscience: les morts, les disparus, les martyrs n’ont été découverts que suite à des recherches faites après son retrait de la vie politique.
En un certain sens Pinochet a été abattu de ses propres armes.
Larraín : C’est l’ironie de l’histoire. Il a introduit le capitalisme et par là-même une logique de marché, un marketing et des pratiques publicitaires outranciers. Ces dernières lui ont coûté la peau. Je trouve frappant qu’après le référendum, le capitalisme ait eu pendant 25 ans libre cours au Chili. Mon pays est devenu un grand centre commercial. Qui veut une formation doit payer. Qui a besoin de soins doit payer. En réalité, tout est à vendre. Les riches sont devenus plus riches et les pauvres plus pauvres. Le socialisme ne marche pas, mais le capitalisme non plus. Je ne connais pas la solution mais nous avons réellement un problème. Forbes publie annuellement une liste des personnalités les plus riches qui fait l’objet de commentaires en long et en large. Une liste semblable pour les plus pauvres d’entre nous n’existe pas. On n’en veut rien savoir, les gens rêvent d’être riches. No parle aussi de la manière dont le marketing et le système capitaliste aveuglent les gens.

Il est frappant aussi de remarquer que vous avez imité le format télévisuel carré et les images à gros grain des années 80. Ce n’est presque pas pour des raisons esthétiques?
Larraín : Je n’aime pas quand il y a une trop grande différence entre des images d’archive datées et éventuellement désordonnées et des prises récentes, trop léchées, en 35 mm. ou en HD. Ce contraste vous détourne du film. Et nous avions besoin de beaucoup d’images d’archives. Je ne voulais pas que les spectateurs puissent distinguer les images d’archives des prises contemporaines. C’est la raison pour laquelle nous avons filmé dans le style et le format des images d’archives. Il n’y a pas longtemps, j’ai vu un extrait de la manifestation et moi-même je ne savais plus très bien si nous l’avions tourné ou s’il s’agissait de matériau historique. J’en ai été très content.

Est-ce que les publicités sont authentiques alors ? On y croit à peine...
Larraín : Nous ne nous sommes pas amusés à reconstituer les publicités et avons utilisé les spots d’origine. Leur footage semble aujourd’hui un peu fou et amusant, mais ces spots étaient à l’époque pris très au sérieux. Ce qui apparaissait stupéfiant, sérieux et dramatique en 1988 nous semble aujourd’hui parfois comique. Telle est la cruauté de notre temps. Mais nous avons dû bel et bien reconstituer le tournage de ces spots, car il n’y a pas d’images d’archives à ce sujet. Nous avons dû les fabriquer de toutes pièces.
Tony Manero, Post mortem et No forment une sorte de grande trilogie de l’ère Pinochet.
Larraín : En effet, c’est une trilogie mais ce n’était pas prévu. Je n’en avais pas conscience. Entretemps, je suis devenu un expert dans la reconstitution des temps passés. J’ai appris comment éviter par un savant jeu de caméra que des bâtiments qui seraient de façon évidente d’une époque postérieure rentrent dans l’image. Le fin mot, c’est de travailler dur, mais de telles reconstructions demandent également des moyens financiers pour les costumes, les voitures anciennes et autres objets vintage, ainsi que pour repeindre les façades des bâtiments. Je suis devenu un expert dans tout cela. Et il devient grand temps que je tourne un film qui se passe de nos jours.

No parle de l’histoire politique du Chili et pourtant le rôle principal est allé à un Mexicain. Est-ce que l’on a âprement discuté de cela ?
Larraín : Je ne veux pas mâcher mes mots. Avec une star comme Gael García Bernal, vous êtes assurés d’avoir de l’attention, de l’argent, une distribution à l’étranger et de la presse. Ce n’est pas négligeable. Mais soyons clairs : il s’agit avant tout de réaliser un bon film. Même s’il s’agissait de Brad Pitt en chair et en os, un grand nom ne vient qu’à la deuxième place. En d’autres termes, le plus important c’est que Gael García Bernal un acteur bigrement doué. Son personnage n’arrête pas de parler sans que l’on sache ce qu’il pense réellement. Ce n’est pas facile à jouer. Mais il le peut. Son accent chilien est excellent et la caméra est sa meilleure amie.

No ●●●
CL, 2012, dir.: Pablo Larraín, act.: Gael García Bernal, Alfredo Castro, 118 min.

Fijn dat je wil reageren. Wie reageert, gaat akkoord met onze huisregels. Hoe reageren via Disqus? Een woordje uitleg.

Read more about: Film

Iets gezien in de stad? Meld het aan onze redactie

Site by wieni