Sur la planche

Il est réellement inquiétant qu’aucun distributeur belge n’ait sélectionné Sur la planche car c’est seulement grâce au bon goût et à l’intérêt, l’engagement profonds de Cinéma Nova que l’on peut voir à Bruxelles ce film enragé et impétueux. Sans regarder derrière elle, ni s’embarrasser de sensibilités ou d’idées sclérosées, la réalisatrice marocaine Leïla Kilani vous plonge dans la réalité quotidienne de Tanger. Vous sortirez de ce film certes les yeux écarquillés (on est ici loin de la vision romantique, prédominante jusqu’ici, d’une ville portuaire et cosmopolite) mais aussi les oreilles échauffées. Dire que Badia, l’héroïne, ne mâche pas ses mots, c’est se porter candidat(e) au prix du meilleur euphémisme de la semaine. Elle pense en effet plus vite que son ombre et assène ses paroles et autres quatre vérités avec tellement de précision et d’aplomb qu’elle pourrait tout aussi bien être une journaliste-tv, une rappeuse multimillionnaire ou une poétesse en vogue.

La réalité est un brin plus prosaïque. Badia doit se creuser les méninges pour survivre, et pour un salaire de misère, peler des crevettes, magouiller, se prostituer, mentir et chiper ce qu’elle peut. Et n’essayez surtout pas de lui dire un mot de travers à ce sujet. Ni à ses amies. Ces héroïnes s’appellent pas Rosetta mais bien Imane, Nawal, Asma. Leur choix est vite fait entre manger ou être mangées. Sans cesse et avec détermination, elles testent jusqu’à quel point elles peuvent aller et dépasser les limites. La caméra peine à les suivre. Il reste encore beaucoup à faire dans leur ville, dans leur monde. Mais avec leur énergie et leur bagout, cela doit être possible. Un film coup de poing où l’on apprend énormément.

Sur la Planche ●●●
MA, 2011, dir.: Leïla Kilani, act.: Soufia Issami, Mouna Bahmad, 105 min.