Alain Platel : les séductions du chœur

Michaël Bellon
© Agenda Magazine
29/08/2013
(© Chris Vander Burght)

C(h)œurs, une pièce d’Alain Platel qui a fait couler beaucoup d’encre lors de sa création au Teatro Real de Madrid, reçoit sa première belge au Théâtre royal de la Monnaie dans le cadre du KlaraFestival.

C(h)œurs est une production qui rassemble les 80 membres du chœur de l’opéra madrilène ainsi que les 10 danseurs de Les ballets C de la B. Quand le spectacle - sur la base de musique de Wagner et de Verdi - a été présenté pour la première fois à Madrid, la capitale espagnole était sous la coupe des Indignados qui occupaient la Puerta del Sol. Les vagues de protestation se firent sentir jusque dans la salle du théâtre.

Même si C(h)œurs n’est pas réellement un « vrai » opéra, il convoque les émotions que l’on associe souvent à l’opéra.
Alain Platel : La demande de réaliser quelque chose au départ de la musique de Verdi émane de Gerard Mortier. Il m’a laissé le champ entièrement libre avec un compositeur de cette envergure, et, en cela, il est véritablement unique. Il fait totalement confiance à ses collaborateurs et ose également prendre des risques. Lorsque je réalise une pièce, j’essaie toujours de retrouver ce qui parle aux gens dans une musique déterminée. Qu’est-ce que les gens connaissent ou reconnaissent et comment puis-je utiliser cette musique de façon alternative ? Cette « reconnaissance » garantit un lien émotionnel direct, que je trouve en l’occurrence extrêmement important pour cette pièce. À l’écoute de la musique de Verdi, j’ai surtout été frappé par les morceaux choraux. Il est difficile d’utiliser un morceau d’opéra plus cliché et galvaudé que le chœur des esclaves « Va pensiero» de Nabucco, mais j’ai néanmoins pensé que nous devions le faire. Pendant la période de conception, quelqu’un me signala qu’en mai 2011 à Rome, Riccardo Muti, après de longs applaudissements, s’était lui aussi adressé au public pour expliquer que « Va pensiero» n’avait pas seulement une valeur émotionnelle, mais qu’il contenait en soi un avertissement implicite à ne pas laisser se dilapider la richesse culturelle de l’Italie. Il a ensuite demandé au public de se joindre au chœur lors du bis - ce qui est possible en Italie dans la mesure où tout le monde connaît les paroles du morceau. Fait particulier, le Premier Berlusconi se trouvait lui aussi dans la salle. Lorsque j’ai vu ce petit film sur YouTube, je savais que nous étions dans le bon.
L’idée d’ajouter également au spectacle de la musique de Wagner vint par la suite et s’explique par les thèmes que nous commencions à trouver. Dans nombre d’œuvres de Verdi et Wagner, on sent bien que le chœur représente le peuple, un peuple souvent en révolte d’ailleurs. Cela formait comme un écho aux mouvements de contestation que l’on pouvait alors voir dans les rues.

À Madrid, les Indignados étaient très durs et virulents.
Platel : C’est également la raison pour laquelle le public a réagi si fortement. Les références que l’on pouvait voir sur scène à ce qui se passait dans les rues étaient évidentes et c’est précisément ce qui irritait un public habitué à regarder l’opéra comme sa propre maison. Ça a été trash. On huait, quittait la salle, déchirait les programmes et les jetait vers le parterre ou on tournait le dos à la scène pendant les applaudissements. Vint ensuite la polémique dans les médias. Au début, je ne comprenais pas parce que moi-même je trouvais qu’il fallait être de marbre pour ne pas être touché émotionnellement par cette représentation.

Dans certains opéras cela fait partie des codes d’exprimer son mécontentement de façon sonore et tapageuse.
Platel : Certes, je ne trouvais pas cela très agréable mais je pouvais également comprendre leur point de vue et trouvais même cela intéressant que des gens réagissent aussi violemment. Peut-être qu’en Flandre, on est à cet égard un peu trop brave ou policé. Je ne suis sorti de salle par mécontentement qu’une seule fois, mais peut-être est-ce parfois bien plus honnête que de juste rester assis.

L’émotivité que provoque une foule qui chante peut aussi susciter une certaine méfiance.
Platel : La pièce traite justement en partie de cela. Naturellement, il y a danger si les émotions que la beauté écrasante de la musique peut susciter sont récupérées politiquement. Mais j’ai de plus en plus de mal à l’égard du cynisme critique et du dédain avec lesquels on regarde des gens qui essaient de réaliser ensemble quelque chose de beau. Je viens de rentrer de Kinshasa où des choses se passent et se créent dans des circonstances impossibles et invraisemblables, avec la conviction qu’elles peuvent amener quelque chose de positif. Quand on voit cela, on perd vite patience avec le négativisme.

Le nationalisme qui retentit à travers les airs de Verdi et de Wagner avait aussi un autre sens, une autre orientation que le nationalisme replié sur lui-même d’aujourd’hui.
Platel : Tant en Italie qu’en Allemagne, on a longtemps été sous le joug de villes-états et de divers petits royaumes et principautés. Les mouvements qui s’y opposaient étaient nobles et recherchaient une union plus large, à l’instar de ce que l’on recherche de nos jours au travers du ciment européen.

Le chœur et les danseurs représentent aussi une forme de tension entre masse et individus.
Platel : J’ai grandi pendant les années 70 et 80 où le fait de s’accomplir personnellement était presque sacré. L’individu prenait toujours plus d’importance et on a perdu en chemin beaucoup de formes de communautés. Ces dix dernières années, j’observe un renversement de tendance. Dans différents domaines, on veut à nouveau faire partie d’un ensemble plus grand. La tension entre la réalisation de l’individu et le sentiment de groupe est quelque chose qui revient dans mon travail.

Dans la chorégraphie, vos danseurs s’expriment à nouveau dans ce « langage corporel de l’inadapté », qui se caractérise par des mouvements inhabituels, qui ont l’air incontrôlés.
Platel : C’est un langage que j’explore depuis Vsprs en 2006 et qui peut révéler des choses sur ce type de sentiments pour lesquels on ne trouve pas de mots. La danse a toujours joué un rôle à cet égard. Jadis, on voyait dans la danse ces mouvements langoureux et alanguis que l’on trouve un peu ridicules de nos jours, mais qui, alors, étaient peut-être pertinents. D’une façon similaire, peut-être que les mouvements brutaux que certaines personnes qualifient même de spastiques - ce que je n’aime pas entendre -, sont symptomatiques de choses auxquelles nous sommes confrontés dans nos sociétés. Ce qui est bizarre, c’est que les gens ne retiennent que les mouvements violents, alors que l’on retrouve aussi dans C(h)œurs plein d’autres mouvements qui se réfèrent parfois de façon presque littérale au langage du ballet classique.

(Photo © Chris Vander Burght)

C(h)œurs • 31/8 & 3 > 7/9, 20.00, 1/9, 15.00, €12 > 80, De Munt/La Monnaie, Muntplein/place de La Monnaie, Brussel/Bruxelles, 070-23.39.39, www.demunt.be, www.lamonnaie.be

KLARAFESTIVAL • 30/8 > 13/9, festival pass: €99, Bozar, Flagey, De Munt/La Monnaie, KVS, Kapellekerk/Église de la Chapelle, Mr. Wong, www.klarafestival.be

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