Anna Calvi: élégante sauvagerie

Nicolas Alsteen
© Agenda Magazine
21/03/2014

De retour avec l’album One Breath, Anna Calvi épanche ses plus belles contradictions sur de nouvelles compositions : des chansons caressées par des cordes envoûtantes ou déchirées par une guitare électrique tranchante. Le cœur de la chanteuse anglaise balance. Toujours en cadence.

Adulée par Nick Cave, choyée par Brian Eno, Anna Calvi est tombée du ciel en 2011 avec un premier album frappé de son nom et de son empreinte : un doigté délicat guidé par une nature rebelle. Avec ses yeux de braise et sa voix de velours, la belle Anglaise a joué avec le feu sans jamais se brûler les ailes. En mélangeant rock et musique classique, pop baroque et bande-son néo-romantique, la chanteuse s’est inventé un univers à elle toute seule, un monde à part. Revenue dans l’actualité fin de l’année dernière avec un disque façonné par John Congleton, producteur attitré des filles dans le vent (Angel Olsen, St. Vincent), Anna Calvi prolonge l’expérience à travers onze pulsions épiques : des chansons pourvues de charmes touffus et d’un sex-appeal complètement fou. Album écartelé entre des émotions contradictoires, One Breath joue sur les contrastes et touche à l’intime avec une élégante sauvagerie. Ambiguë, fausse ingénue, l’artiste libère sa voix et sort les griffes : elle écorche sa guitare, érafle les sentiments et panse ses blessures à l’aide de bandages en satin. Anna Calvi laisse ici parler ses instincts. Extrêmes et divins.

Quand votre premier album est sorti en 2011, médias et public se sont montrés profondément enthousiastes. Cet accueil dithyrambique a-t-il pesé sur la mise en œuvre de One Breath ?
Anna Calvi : Quand j’ai enregistré mon premier disque, je n’avais absolument aucune idée de son potentiel. Y aurait-il quelques personnes pour l’écouter ? Des gens pourraient-ils l’apprécier ? Je me posais énormément de questions mais au final, je n’avais aucune réponse. Globalement, j’ai abordé les choses de la même façon au moment d’enregistrer mes nouvelles chansons. Pour moi, l’essentiel était d’évoluer sur le plan artistique, de m’épanouir en tant que chanteuse. Pour le reste, je n’ai rien calculé. Se faire des films, s’imaginer en train de vendre des millions de disques, c’est le meilleur moyen de perdre la face et de faire n’importe quoi. Je ne voulais pas entrer dans ce jeu-là.

On dit souvent qu’un deuxième album marque un tournant dans une carrière. Avez-vous abordé l’enregistrement de One Breath différemment ?
Calvi : Au niveau de l’écriture et de l’enregistrement, j’ai fonctionné selon un processus quasi identique. J’ai surtout approfondi la matière. Les textes explorent d’autres palettes d’émotions. Et puis, surtout, j’ai expérimenté sur le plan musical. Avec One Breath, j’ai laissé plus de place à la spontanéité. Tout s’est fait beaucoup plus rapidement. Cet album découle d’un rapport plus instinctif à la musique. Enregistrer un disque, ce n’est jamais quelque chose d’évident mais dans l’ensemble, ce deuxième essai est venu plus facilement. J’ai sans doute été rodée et mise en confiance par la mise en œuvre du premier album.

Pourquoi êtes-vous partie en France pour enregistrer ce nouvel album ?
Calvi : J’avais déjà eu l’occasion d’enregistrer là-bas, au Black Box. C’est un studio perdu dans la campagne, près d’Angers. L’endroit se situe à proximité de la vallée de la Loire, à l’écart de toute distraction. Le cadre est paisible, l’atmosphère détendue. Entre deux sessions, on peut se balader, prendre l’air, se mettre au vert. Le studio est équipé de matériel d’enregistrement vintage. C’est un lieu parfait pour travailler.

Votre nouvel album s’équilibre à l’intersection des contraires. L’optimisme côtoie le désespoir, le rock se frotte à la musique classique et les instants de tranquillité sont bien souvent déchirés par des décharges d’électricité. Cherchez-vous consciemment à mettre en musique ces paradoxes ?
Calvi : J’ai toujours essayé de placer cette ambiguïté au cœur de mes chansons. Pour moi, c’est assez naturel. Mon quotidien est, un peu comme celui de tout le monde, traversé de contradictions. J’oppose régulièrement la tension à la décontraction, l’amour à des moments conflictuels ou plus difficiles. Sur ce deuxième album, j’ai voulu aborder les choses de façon plus viscérale. Du coup, les chansons sont systématiquement sur la brèche, coincées entre des sentiments antinomiques. C’est comme dans la vraie vie : pour avancer, on doit trouver un équilibre entre des émotions extrêmes. Un moment de pur bonheur peut ainsi déraper et se transformer en tragédie. D’une seconde à l’autre, notre existence peut changer. Cette pensée ne me quitte jamais. Elle est toujours là, dans un coin de ma tête.
Deux chansons du nouvel album portent un prénom : Eliza et Tristan. Ce sont des connaissances ou des personnages imaginaires ?
Calvi : Ce sont des personnages fictifs. Cela dit, le personnage d’Eliza s’inspire d’une de mes connaissances. Cette chanson parle du fait de rencontrer une personne dont les traits de caractère viennent vous rappeler quelqu’un d’autre. Cela fait resurgir des émotions enfuies, parfois refoulées. Tristan découle davantage de l’envie de raconter une histoire. Le titre de ce morceau s’inspire librement de la légende de Tristan et Iseult. Je voulais raconter les aventures d’un héros masculin, seul, face à son destin. Il se pose des questions, livre des combats, cherche l’amour... Dans mon esprit, cette chanson est comme un film. J’aimais bien l’idée de retranscrire un scénario en musique.

Le thème de l’amour traverse One Breath. Il contient d’ailleurs un morceau intitulé Love of My Life. C’est une chanson intense, terriblement agressive, fort différente de tout ce que vous avez eu l’occasion d’enregistrer jusqu’ici. Dans quel état d’esprit étiez-vous quand vous avez composé ce titre ?
Calvi : Pour cette chanson, j’ai essayé de retranscrire un sentiment étrange : le désir. Parfois, on souhaite tellement être avec quelqu’un que ça en devient malsain. La convoitise devient maladive. Le désir se métamorphose alors en quelque chose d’affreux. J’ai écrit Love of My Life en pensant à ce comportement passionnel, tout à fait irrationnel. La chanson est frontale et brutale, déchirée par des cris et des assauts de distorsion. Je ne pouvais pas exprimer ça autrement : c’est la traduction la plus sincère d’un ressenti personnel.

(Photo © Roger Deckker)

ANNA CALVI • 24/3, 20.00, €20/23, Ancienne Belgique, boulevard Anspachlaan 110, Brussel/Bruxelles, 02-548.24.24, www.abconcerts.be

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