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| « Les DJ ne sont pas traités comme des artistes. Cela nous condamne au syndrome de l’imposteur », dit Soumaya Phéline Abouda qui a fait de la déconstruction de la vie nocturne un combat.

La nightlife selon Soumaya Phéline Abouda: ‘Le DJ doit pouvoir sortir de sa tour d’ivoire’

Tom Zonderman
© BRUZZ
10/01/2024

En tant que DJ et membre de collectifs repensant la vie nocturne tels que High Needs Low, Club Détour et Psst Mlle, Soumaya Phéline
Abouda réécrit la vie nocturne bruxelloise depuis près de deux décennies. Aux Halles, elle a carte blanche pour concrétiser sa vision.

« Moi et mes collègues d’Excellence (légendaire vidéoclub d’art et d’essai à l’ombre de la Bourse, NDLR), on s’est baptisés PETULAS parce qu’on aimait bien Petula Clark », s’amuse Soumaya Phéline Abouda à propos de ses premières années en tant que DJ nourries par des études d’art. « Dans les fêtes et les festivals, on passait des bandes originales de films indépendants. Et puis, j’ai trouvé ça assez chouette de faire découvrir de la musique aux gens et de les faire danser. »

La musique que Soumaya Phéline Abouda joue aujourd’hui est encore imprégnée de ces bandes sonores. Dans ses sets au Kiosk Radio, la Bruxelloise jongle avec des morceaux d’audio vérité, des dialogues et des documentaires. Ce n’est pas la seule chose qui la distingue de la légion de platinistes qui font la richesse et la diversité des soirées de la capitale.

Inspirée par la vie nocturne en Angleterre et en Allemagne, elle défend depuis des années la déconstruction de l’univers du dancefloor. « Quand j’ai commencé à sortir, je n’étais pas très satisfaite de ce qu’on nous proposait, même pas en termes de musique, mais de scénographie, d’ambiance, les lights – c’était toujours très épileptique. C’était un truc très club : bar, bière, dancefloor, lumière. Le DJ tout en haut dans sa tour d’ivoire. Assez jeune, j’ai commencé à questionner tous ces codes. »

Soumaya Phéline Abouda a canalisé ses énergies au sein du collectif High Needs Low, qu’elle a fondé avec quelques personnes partageant les mêmes idées et avec lequel elle a organisé des soirées à la Gare du Congrès, en brouillant les frontières entre la vie nocturne et l’art. « Comme les lows ont besoin des highs, il fallait trouver une espèce de neutralité dans la musique. On dit ‘God is a DJ’, mais ce n’est pas le cas. Il a besoin de son public, comme le politicien a besoin de ses citoyens. Un DJ ressent toutes les émotions du public et vice versa. »

JUSTICE POUR SOUROUR
Avec ses safe spaces et ses concepts de soirées alternatives tels que High Needs Low et son autre collectif, Club Détour, elle a été une pionnière, même si Soumaya Phéline Abouda ne veut pas se définir comme telle. « Personne n’est un pionnier, pas même Madonna. Tout le monde apprend des autres. Il suffit de regarder avec les bons yeux. »

Aujourd’hui, elle scrute la vie nocturne avec Psst Mlle, une plateforme féministe intersectionnelle qui promeut les artistes sous-représentées dans le milieu culturel et encourage des normes différentes de représentation, d’inclusion et de diversité dans l’industrie de l’événementiel.

Psst Mlle débarquera bientôt aux Halles, où Soumaya Phéline Abouda dispose depuis le début de l’année d’une plateforme pour présenter sa vision de la vie nocturne et de la musique, en tant qu’artiste associée. Avec Another Way to Play, elle met sur pied en janvier un événement de trois jours bien remplis autour du turntablism, avec des ateliers, des performances, des discussions et des soirées. « Les DJ ne sont pas traités comme des artistes. Certainement pas les DJ locaux. Ils sont mal payés ou en bas de l’affiche. Cela nous condamne au syndrome de l’imposteur. Je veux montrer que le turntablism est une pratique. On développe, on évolue. Comme un artiste. »

En février, Soumaya Phéline Abouda organise Justice pour Toustes, un événement au bénéfice de familles dont les membres ont été victimes de violences policières. Début 2023, elle perdait elle-même sa sœur Sourour, décédée dans une cellule de police dans des circonstances inexpliquées. « J’ai le privilège d’appartenir à une institution, c’est pourquoi je veux faire entendre ma voix. »

SOUND SYSTEM EXPLOSÉ
Soumaya Phéline Abouda a toujours été combative. Jeune fille, elle ne s’intéresse pas au monde machiste de la vie nocturne qu’elle fréquente. Les choses sont encore plus difficiles en raison de ses origines arabes. « Il n’était apparemment pas normal qu’une fille du quartier aime la musique électronique. Aujourd’hui encore, c’est toujours assez spécial. Il m’arrive de me retrouver sur des affiches avec d’autres DJ juste parce qu’on a les mêmes racines, alors que la musique qu’on joue est complètement différente. C’est du pur tokénisme. »

Les restrictions dans la vie nocturne sont un autre cheval de bataille pour Soumaya Phéline Abouda, qui a elle-même subi un traumatisme auditif provoqué par un sound system. « Je porte un appareil auditif, mais j’ai caché ça pendant plusieurs années. Parce que j’avais honte. Mais aujourd’hui, je veux en parler. Nous devons nous assurer que les gens qui vont en soirées ne deviennent pas tous sourds. La vie nocturne doit rester un plaisir, mais il faut aussi oser remettre les choses en question. »

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