Les chants de bataille de Fatou

Benjamin Tollet
© Agenda Magazine
02/09/2012
Fatoumata Diawara n’est pas seulement l’étoile montante de la musique malienne, la comédienne/chanteuse se montre engagée pour l’avenir de l’Afrique sur son premier opus Fatou. Pas de provocations à la Fela Kuti : chez Fatou, tout se fait avec tendresse et sourire. « Il est temps que la femme africaine se lève ».

Fatoumata Diawara vit à Paris depuis 13 ans. La jeune Malienne y a surtout fait carrière comme comédienne, entre autres dans la comédie musicale Kirikou et Karaba. C’est pourquoi elle a attendu ses 29 printemps pour sortir son premier album, Fatou, en septembre 2011 chez World Circuit. « En France, il y avait beaucoup de gens qui l’attendaient car ça faisait trois ans que je tournais avec mon spectacle », raconte-t-elle. « Je me cherchais, je ne savais pas exactement quel chemin je voulais suivre artistiquement. Prendre son temps n’est pas forcément une mauvaise chose ».

C’est devenu un album acoustique, assez calme…
Fatoumata Diawara :
Oui, très intimiste parce que la plupart des morceaux n’ont été enregistrés qu’une seule fois. J’étais partie à Londres pour réaliser la démo et Nick (Gold, de World Circuit, le producteur d’Ali Farka Touré, d’Oumou Sangaré et du Buena Vista Social Club, entre autres, NDLR) n’a pas voulu faire de deuxième prise. On avait enregistré la nuit, avec beaucoup de silence, moi seule avec mon âme. C’est un album très personnel car chaque morceau parle d’une expérience de ma vie, de mon enfance jusqu’à maintenant.
C’est fort différent de ce qu’on vous a vu faire avec la grande chanteuse malienne Oumou Sangaré, pour qui vous avez chanté dans les chœurs.
Diawara :
Hyper différent. En France, on me dit souvent que j’ai la même voix qu’Oumou et à travers la guitare, on me compare à Rokia Traoré. Je n’aime pas trop ça car je sais que j’ai quelque chose de différent à apporter, mais je comprends car ce sont les uniques chanteuses maliennes que vous avez comme repère ici. C’est Oumou qui m’a dit que je devais chanter. Dee Dee Bridgewater aussi (Diawara a chanté sur son album Red Earth, NDLR) m’a poussée à commencer ma carrière solo.



Dans le clip de Bissa, on vous voit en fille traditionnelle du Mali et en jeune femme à Paris. Vous êtes plutôt parisienne ou malienne ?
Diawara :
Je suis un enfant du monde (rires). J’ai une vie nomade. J’ai toujours voyagé, pendant mon enfance en Côte d’Ivoire, pendant dix ans au Mali. Maintenant que je réside en France, je suis plus souvent dans les avions et dans les bus des tournées qu’à Paris. Je suis une nomade et j’essaie de le montrer musicalement.
Pour composer, vous vous nourrissez plutôt du Mali ou de la France ?
Diawara :
Des deux. À la maison, je n’écoute pas du tout de musique du Mali. Vivre à Paris m’a fait découvrir beaucoup de jazz, de nu soul, de reggae, de funk… Quand je compose, j’ai les deux mondes en tête : le côté roots de la musique malienne et la musique que j’écoute chez moi.
Vous vous montrez engagée dans vos textes, comme sur Sowa, qui parle de séparation.
Diawara :
Sowa parle de la séparation familiale que j’ai vécue : le moment où j’ai quitté mes parents pour partir au Mali, quand j’avais 9 ans. Je ne garde pas beaucoup de souvenirs de cette séparation, sauf le regard de ma mère quand je l’ai quittée. Il y a une phrase-clé dans Sowa : « Regardez dans les yeux des gens que vous aimez avant de les laisser partir », que ce soit ton enfant ou ton mari qui part en guerre.
Est-ce commun en Afrique de laisser ses enfants à quelqu’un de la famille ?
Diawara :
C’est une tradition, mais c’est un thème qui n’est pas beaucoup abordé. C’est pourquoi je reçois beaucoup de commentaires de Maliens qui montrent qu’ils apprécient et ça me touche énormément. On me compare à Oumou ou Rokia, mais je n’écris pas comme elles. Je vais droit au but. Je n’utilise pas de métaphores et je ne fais pas de poésie. J’aime dire l’essentiel tout de suite.
Moussu
parle de la conscientisation des femmes. De votre rêve d’avoir un jour une…
Diawara :
…une femme président au Mali ! (rires) Oh, qu’est-ce que je rêve ! Mais j’ai confiance car il y a beaucoup de femmes qui essaient de changer les choses. Chaque personne a sa façon de développer la femme. Moi je vois grand.
Qu’est-ce que ça changerait pour la politique malienne ?
Diawara :
Le manque de femmes au pouvoir crée un vide en Afrique, mais aussi en Inde et en Asie. Comme je suis une voyageuse, j’aime généraliser. J’ai vu d’autres cultures et quand je dis « la femme », je m’adresse à toutes les femmes que j’ai croisées sur mon chemin. On les dirige vers l’éducation alors qu’elles pourraient être musiciennes, politiciennes… Pas à 10% mais à fond, à 100%, comme les hommes. Elles peuvent dire non à l’excision, c’est leur droit parce que c’est elles qui le vivent. Mais il y a la peur, c’est pourquoi je ressens le besoin de dire : « allez-y, on y va, n’ayez pas peur ! »

Boloko
parle de l’excision…
Diawara :
C’était le morceau le plus difficile à composer. C’est rare qu’une femme s’exprime par rapport à l’excision. J’ai eu peur que les gens ne me comprennent pas, mais c’est nécessaire, je suis obligée d’exprimer mon opinion. Quand je vivais au Mali, l’excision était une chose normale pour moi. Je ne me suis jamais dit que j’étais victime d’une pratique traditionnelle. C’est en voyageant que j’ai compris que l’excision ne sert à rien. J’essaie de transmettre cela à ma société, de manière douce pour ne pas agresser.
Une autre de vos chansons parle des immigrés clandestins. Ils sont souvent considérés comme une menace pour l’Europe et pourtant, pour vous, ce sont des guerriers !
Diawara :
Je suis partie à l’âge de 19 ans pour me libérer de ma tradition et de ma famille, pour prendre mon destin en main. J’avais un contrat de travail de dix ans et on s’occupait de mes papiers, de mon voyage et de mon logement. Mais j’ai souffert en partant, j’ai ressenti beaucoup de solitude. Imaginez-vous ce que ça doit être pour ceux qui partent vers l’inconnu sans contrat, sans papiers et sans savoir où ils vont être hébergés. Ces gens qu’on appelle clandestins - qui est un mot très péjoratif pour moi - ce sont vraiment des guerriers. Des hommes forts qui se lancent dans l’inconnu… Clandestin est un chant de bataille.

Fatoumata Diawara • 5/9, 20.00, €12/14, Paleis voor Schone Kunsten/Palais des Beaux-Arts, rue Ravensteinstraat 23, Brussel/Bruxelles, 02-507.82.00, info@bozar.be, www.bozar.be

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