Pitcho : de fils du bled à homme du monde

Benjamin Tollet
© Agenda Magazine
09/01/2013
(© Quentin Bruno)

Après un questionnement identitaire en profondeur sur Crise de Nègre, le rappeur et comédien belgo-congolais Pitcho se tourne résolument vers le futur sur #rdvaf, son deuxième opus qu’il présentera au PBA. «J’ai dû me découvrir avant de pouvoir me construire et affronter l’avenir».

Pitcho Womba Konga, né à Kinshasa en 1975, arrive en Belgique en 1981 avec son père, homme politique qui fuit le régime totalitaire de Mobutu. Bizarrement, Pitcho n’a aucun souvenir de l’Afrique. « J’avais 6 ans quand je suis arrivé ici. La photo sur la pochette de l’album est prise un peu avant de quitter le Congo », raconte-t-il depuis les nouveaux bureaux de sa boîte de production Skinfama, à Molenbeek. « Je me rappelle seulement de l’avion, de son intérieur, du grand écran et de mon arrivée en Belgique. Mais aucune image de Kinshasa ou de l’Afrique... Soit le choc a été tellement fort que j’ai zappé ça dans ma mémoire, soit je l’ai refoulé dans un coin de mon cerveau. À l’age de 18 ans, j’ai eu envie de retourner en Afrique, pour voir ma mère restée au Congo et pour connaître mon pays. Mais je n’étais pas prêt, ni mentalement ni financièrement. J’ai dû attendre mes 28 ans ».

En quête d’identité, tu t’es tourné vers le hip-hop. Tu y as trouvé ce que tu cherchais ?
Pitcho :
La culture hip-hop est à la base de mon premier questionnement : qui suis-je et qu’est-ce que j’ai envie d’être ? Arrivé en Belgique dans les années 80, grandissant à Schaerbeek dans la seule famille noire du quartier, fréquentant une école qui ne comptait que quatre enfants noirs, je me demandais pourquoi les autres me regardaient et me jugeaient comme ça. Dans le rap, les aînés étaient reconnus pour ce qu’ils savaient faire de bien : rapper. C’est ce qui m’a attiré dans le rap. Puis des groupes comme Public Enemy et KRS-One m’ont ouvert le chemin vers le questionnement de la négritude. Via Public Enemy, j’ai découvert des hommes forts comme Martin Luther King et Malcolm X, dont la biographie m’a mené vers Lumumba et le Congo. Le rap est donc à l’origine de mon envie de connaître mon histoire.

Après ces questions sur Crise de Nègre, ton nouvel album est tourné vers le futur...
Pitcho :
Crise de Nègre présentait un vrai questionnement par rapport à mes racines, sur qui j’étais, la colonisation, l’esclavage... À travers le théâtre et la musique, je suis tombé sur le livre Harlem Heritage qui est à la base de la renaissance de l’homme noir et du mouvement Black is beautiful. Tout ce parcours devait se terminer par un projet personnel, l’album Crise de Nègre. J’ai bien touché le fond, mais une fois la crise terminée, on peut se relever, commencer à aller ailleurs. J’ai débuté comme « fils du bled », comme enfant du pays, maintenant mon objectif est d’être un homme du monde. Le futur c’est ça : pour sauver l’Afrique, il faut que ce continent s’insère dans le monde. On dit souvent qu’il faut que l’Afrique reste l’Afrique, mais l’Afrique doit surtout avancer, se transformer en gardant son identité. Car le changement est quelque chose de constant. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.


Se transformer pour mieux survivre à la crise ?
Pitcho :
On est obligé d’avancer. Il y a deux manières de réagir par rapport à la crise : faire l’autruche ou l’affronter et aller de l’avant. Mes textes sont très critiques par rapport à la société car le futur dépend de ça. Plus on sera critique, plus on pourra avancer. Mais il ne faut pas entrer en confrontation avec le passé, les gens doivent réapprendre à collaborer. Regarder en avant tout en gardant l’œil sur ce qui se passe autour de nous.

Pourtant notre société est marquée par l’individualisme et la compétition à tous les niveaux...
Pitcho :
En effet, mais la nécessité va nous amener à revenir à la collaboration. C’est ce qu’on voit déjà en Espagne et en Italie. Les jeunes retournent vivre chez leurs parents, créent de nouvelles manières de collaborer. Une des erreurs de réflexion de l’homme est la réflexion de l’égalité. On ne sera jamais tous égaux. Je préfère le principe de la complémentarité. Une société qui permet à chacun de trouver son rôle et de construire ensemble. Mais on ne fait que se confronter aux autres, il faut toujours être le meilleur.

Pour revenir à l’album, c’est quoi #rdvaf  ?
Pitcho :
Rendez-vous avec le futur. C’est le genre d’abréviation qu’on utilise sur Twitter. Un clin d’œil aux jeunes qui sont à fond dans ce langage, et au futur qui est plus proche qu’on ne le croirait.

Le futur sera plus électronique ?
Pitcho :
À la base, le rap est une musique électronique car il utilise le sampling. Sur cet album, j’ai essayé de rapprocher le rap et la musique électronique. Il y a du son bien hip-hop qui bouge, mais à chaque fois, j’ai ajouté une goutte d’électro. J’ai travaillé avec l’ingénieur du son Alexandre Aretz, qui est plus orienté rock. Il a travaillé avec des groupes comme Suarez et The Match. Il m’a fait prendre conscience de mon envie de développer ma musique. Je ne voulais pas quelque chose de statique.

(© Quentin Bruno)

Sur Premier Jour, tu dis que le futur a commencé hier...
Pitcho :
Quand je suis retourné au Congo, j’ai été confronté au temps. Le temps d’attendre, quand rien ne se passe. Ma maman vit dans un bled, il n’y a rien pour se distraire, pas de cinéma, pas de bibliothèque, pas de télévision. On ne peut pas prendre de rendez-vous à une heure précise car il n’y a pas d’heure. C’est normal que les gens soient moins stressés là-bas. Nous, ici, on a l’heure mais pas le temps, on court derrière le temps, qui devient notre ennemi, car le temps c’est de l’argent. On devient radin en temps, on n’a pas de temps de voir sa famille ou ses amis car on doit travailler...

Tu as aussi une carrière au théâtre. Tu es plutôt MC ou comédien ?
Pitcho :
Je suis un homme de la scène qui aime les lettres. Le fait d’écrire m’a amené à rapper et à faire du théâtre. L’imaginaire qui me nourrit vient des lettres, du poids des mots. Quand j’étais jeune, je voulais être journaliste. La critique, la réflexion, la psychologie et la philosophie m’intéressaient. J’ai pourtant fait des études de mathématiques, et même là, je trouvais de la philosophie et de la poésie (rires).

PITCHO & BAND • 17/1, 20.00, €12/15, Paleis voor Schone Kunsten/Palais des 
Beaux-Arts, rue Ravensteinstraat 23, Brussel/Bruxelles, 02-507.82.00, info@bozar.be, www.bozar.be

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