Tamikrest: la nouvelle vague du désert

Benjamin Tollet
© Agenda Magazine
24/10/2013
Tamikrest, meneur de la nouvelle génération de musiciens touareg, revient à Bruxelles pour présenter son troisième opus Chatma, un hommage au courage de la femme touareg. Un album mature et équilibré entre blues du désert et rock plus dur, avec une pincée de reggae et un grand amour pour les Dire Straits.

Les membres de Tamikrest avaient 20 ans lors de la formation du groupe en 2006. Leur adolescence dans la région de Kidal, au nord-est du Mali, a été marquée par la guerre civile. Beaucoup ont perdu des membres de leur famille et des amis lors des révoltes touareg des années 90, au cours desquelles les Touaregs revendiquaient une plus grande autonomie. Lorsque de nouvelles émeutes ont éclaté en 2006, Ousmane Ag Mossa et son camarade de classe Cheick Ag Tigly (bassiste) ont décidé de ne pas se joindre à la lutte armée mais d’utiliser la musique pour lutter pour les droits de leur peuple. La guitare devint leur arme, suivant l’exemple de Tinariwen, formation qui mélange depuis les années 80 la musique traditionnelle touareg et la musique occidentale.

Depuis la sortie son premier album Adagh en 2009, Tamikrest est considéré comme l’un des groupes phares de la nouvelle génération de musique touareg. Une nouvelle garde qui reste cependant fidèle à son grand frère : « Tinariwen a créé la musique moderne touareg, ce sont eux qui nous ont donné envie de faire de la musique », raconte Ousmane Ag Mossa, auteur, compositeur, chanteur et guitariste de Tamikrest. « Avant, on n’avait pas assez d’ambition, mais avec la montée de Tinariwen, on a vu que la musique pouvait jouer un rôle important pour la revendication des droits de notre peuple ».

En quoi êtes vous différents de Tinariwen ?
Ousmane Ag Mossa : C’est surtout à celui qui écoute de le dire (rires). Nous sommes un jeune groupe des années 2000, donc nous avons notre manière de jouer de la guitare et notre vision musicale, plus moderne, avec des pédales, un clavier, une batterie... Mais nos inspirations principales restent Tinariwen et la musique traditionnelle touareg, auxquels j’espère pouvoir ajouter quelque chose d’intéressant. On ne veut pas reproduire ce qui a déjà été fait.

Et les influences occidentales ?
Ag Mossa : Je suis un grand fan de Mark Knopfler des Dire Straits. J’adore ses solos de guitare, sa technique, les compositions mélodiques. J’écoute beaucoup de musique, ça va du rock à la pop, Pink Floyd, Jimi Hendrix...

Et Bob Marley, dont on sent l’influence sur le morceau Itous ?
Ag Mossa : Tout à fait. J’adore Bob Marley pour sa musique et son message. En plus, le reggae se marie bien avec la musique touareg, ce sont des musiques universelles.

Le renouvellement de la musique touareg est important pour vous ?
Ag Mossa : Ce n’est pas une question de vouloir réinventer la musique touareg, on essaie de faire la musique comme on la ressent. Il y a des morceaux comme Imanin bas zihoun avec une batterie qui tape fort et des morceaux acoustiques comme Adounia tabarat sur lequel guitares acoustiques et calebasse sont côte à côte avec une tabla (percussion indienne, NDLR). Je pense qu’on a réussi à composer un album équilibré, avec des sons plus lourds et d’autres avec plus d’espace, juste pour écouter.

Chatma veut dire « mes sœurs ». Un hommage à la femme touareg, qui souffre beaucoup ?
Ag Mossa : La femme touareg symbolise toutes les femmes du monde. La femme occupe une place importante dans notre société, c’est l’âme de notre peuple et notre symbole de la liberté. Ce sont des reines qui restent dignes malgré ce qu’elles subissent quotidiennement depuis 1960 (l’année de l’indépendance du Mali, NDLR). Vous savez, là où il y a des conflits, les femmes sont les premières victimes. En tant qu’artiste, je ne sais pas trop ce que je peux faire, donc je chante pour elles.

L’album est produit par Chris Eckman (Dirtmusic, The Walkabouts). Vous le connaissez depuis plusieurs années, non ?
Ag Mossa : On a joué avec Dirtmusic lors du Festival au Désert à Essakane (près de Tombouctou, NDLR) en 2008 et nous sommes devenus amis. Dirtmusic a enregistré son deuxième album BKO à Bamako avec notre collaboration et c’est là que notre premier album est né, produit par Chris. Depuis lors on a tourné et voyagé ensemble. Ce n’est donc pas un producteur qu’on a contacté juste pour qu’il fasse son job dans le studio, Chris est avant tout un ami qui connaît bien notre musique et qui nous aide dans notre développement musical.

Que signifie le nom de votre groupe ?
Ag Mossa : Tamikrest, au sens propre, c’est « le nœud », au sens figuré, c’est « l’union », une valeur importante qui est en train de se perdre. Ce groupe est l’union de six musiciens, on s’est rencontrés autour de la musique, c’est la musique qui nous a unis.

Vous dites souvent que le succès de votre musique n’est pas un but en soi.
Ag Mossa : Le succès n’est pas quelque chose que je recherche. Je ne suis pas là pour devenir une star. Je veux juste faire ma musique et passer un message pour servir le peuple touareg. C’est pourquoi je chante en tamacheq, la langue touareg. Je parle à mon peuple tout en m’adressant au monde. Si les gens écoutent notre langue, ils s’intéresseront peut-être à notre culture. C’est déjà un premier pas.

Au lieu des armes vous avez pris les guitares.
Ag Mossa : Je ferai tout pour que mon peuple vive dans un monde meilleur, mais pas la guerre. Mais vous savez, même pour ceux qui prennent les armes, ce n’est pas une plaisanterie. Personne ne peut garantir qu’il reviendra de la guerre vivant. Je n’ai jamais vu quelqu’un préférer la mort à la vie. Il ne faut pas croire que notre peuple est amateur de guerre ou de kalachnikovs, c’est la répression et la discrimination qui nous poussent à le faire...

Vous êtes originaires de Kidal au nord-est du Mali mais vous êtes partis en exil en Algérie. Vous y vivez toujours ?
Ag Mossa : Nous sommes nomades. La plupart du temps, nous vivons dans le désert au sud de l’Algérie ou à la frontière. Depuis 2011, les groupements terroristes ont pris le nord du Mali sans aucune opposition de l’État malien. Depuis lors, la situation empire. Il n’y a pas de travail pour les jeunes, les touristes occidentaux ont cessé de venir car c’est devenu trop dangereux. Les ONG ont gelé l’aide pour la construction d’écoles ou de barrages d’eau pour les nomades. Si l’État malien continue à ne montrer aucun intérêt pour ces problèmes, ça va mener à une catastrophe.

Tamikrest • 29/10, 19.30, €14/17, Botanique, Koningsstraat 236 rue Royale, Sint-Joost-ten-Node/Saint-Josse-ten-Noode, 02-218.37.32, www.botanique.be

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