Interview

Alexandre Paulikevitch : 'Je saurai garder tous les yeux rivés sur moi'

Gilles Bechet
© BRUZZ
24/03/2022

Invité par le festival LEGS, le chorégraphe et danseur de baladi Alexandre Paulikevitch va transformer la Raffinerie en cabaret où, avec des artistes invité.e.s, il proposera des soirées ondulantes, bigarrées et festives.

QUI EST ALEXANDRE PAULIKEVITCH ?

1982 naissance à Beyrouth.

2000 découvre la danse baladi au Centre du Marais à Paris.

2006 de retour à Beyrouth, il commence par donner des cours de baladi.

2012 met en scène Tajawal qui sera présenté à l’IMA.

2014 crée Elgha, qui signifie « élimination », qui évoque les nombreuses injustices dont sont victimes les femmes, les homosexuels ou encore les réfugiés.

2020 crée A’alehom, qui signifie « Chargez-les » ou « À l’attaque », dans la crypte de l’église Saint-Joseph à Beyrouth.

Depuis qu’il est monté sur une scène, le chorégraphe et danseur libanais Alexandre Paulikevitch s’est fait l’infatigable défenseur du baladi. Une danse pratiquée dans les restaurants et tavernes du Caire et du monde arabe que le colonisateur avait baptisé danse orientale ou danse du ventre. Outre qu’il est un des rares hommes à la pratiquer, Alexandre Paulikevitch veut sortir cette danse issue d’une tradition millénaire, trop souvent considérée avec condescendance comme un « attrape-touristes » pour en faire une vraie expression contemporaine.

Enfant, dansiez-vous devant le miroir en rêvant d’être danseur ?
Alexandre Paulikevitch : Au Liban, on accepte que les enfants dansent jusqu’à un certain âge. Puis, le patriarcat peut être très brutal. Vers 4 ans, j’ai été brimé de façon très agressive lors d’une de mes… (rires et pause) performances. Du coup j’ai réprimé tout désir de danser jusqu’à tard dans mon adolescence.

Au fond de vous, il y avait cette envie qui ne vous a pas quitté ?
Paulikevitch : Elle était vraiment bien enfouie jusqu’à une rencontre qui m’a poussé à faire un choix déterminant. C’était la fin d’une histoire d’amour difficile, j’ai retourné une situation très difficile en lâchant tout pour la danse. J’étais venu à Paris pour faire des études de droit et après j’ai aussi fait l’école hôtelière. J’ai commencé à prendre des cours de danse, dite orientale, à l’École du Marais, une fois par semaine. C’était mon oxygène pour la semaine. Après deux ou trois ans, je me suis dit : la seule chose qui me fait plaisir et me donne le sourire, c’est la danse. Alors j’ai tout lâché pour le baladi.

J’ai tout lâché pour le baladi

Alexandre Paulikevitch

Ce qui devait être une difficulté supplémentaire, c’est que vous n’aviez pas de modèle ?
Paulikevitch :
Non. Il n’y avait aucun modèle, sauf si on veut ouvrir de nouveaux horizons pour une danse qui est essentiellement réservée aux cabarets, aux restaurants ou aux soirées privées. C’est une forme qui disparaît petit à petit dans le monde arabe. On ne veut plus la voir. On préfère voir les Russo-Ukrainiennes la danser. Ce sont elles les stars du Caire aujourd’hui et non plus les femmes égyptiennes ou les femmes arabes en général. On aime voir les femmes étrangères danser, mais les locales sont vues comme des putes.

Est-ce une forme très codifiée, ou est-elle assez souple et ouverte aux directions nouvelles ?
Paulikevitch : Cette forme repose sur la tradition orale. Ce n’est pas comme la danse indienne qui est complètement codifiée, chorégraphiée, annotée. C’est un travail qui reste à faire mais c’est une autre approche. La mémoire et l’histoire de cette danse sont portés par ses praticiens et praticiennes. Elle est extrêmement perméable et on voit actuellement la naissance d’un nouveau style, extrêmement influencé par la pratique de ces dames qui viennent de Russie ou d’Ukraine, avec 16 ans de ballet classique dans le dos. Elles ont une souplesse dans la colonne vertébrale que les femmes arabes n’ont pas. Ça devient aussi de plus en plus rapide. C’est en train d’aller vers le ballroom dancing avec des compétitions très sportives.

1792 Alexandre Paulikevitch

| Alexandre Paulikevitch, l'un des rares danseurs de baladi.

Quand vous avez commencé à la pratiquer, était-ce dès le début une évidence que c’était un acte politique ?
Paulikevitch : Pas du tout. J’ai commencé à la pratiquer professionnellement en France. C’était pour moi une évidence que c’était ce que je devais faire, mais c’était tout. C’est une fois que je suis arrivé au Liban que c’est devenu un acte politique. Parce que déjà, porter une robe, avoir des cheveux longs et mettre du maquillage, c’est tellement tabou que ça relève d’un acte politique dans le monde arabe. Il y a une radicalisation de la société. Bien que la situation soit extrêmement difficile, si moi, je ne le fais plus, je laisse la place à l’extrémisme qui va s’immiscer dans la brèche. Et je ne lâche pas. Ça relève d’un acte politique, mais aussi d’une résistance culturelle.

Votre pratique a été liée aux marches dans les rues de Beyrouth ?
Paulikevitch :
Ça c’était un spectacle qui s’appelait Tajawal, qui veut dire flâneries, déambulations. Au Liban, on n’a pas la même politique culturelle qu’en Europe. On n’a aucun fonds public pour la création. Pour mener une création artistique au Liban, il faut vraiment le vouloir parce qu’il n’y a rien qui vous soutient et personne ne viendra vous prêter main forte. J’ai dû vendre ma voiture pour produire mon spectacle. Du coup, je me suis mis à marcher dans les rues de la ville où j’ai été en proie à beaucoup d’agressions verbales et physiques. Très vite, ces déambulations ont commencé à faire partie de mon processus de création. J’ai listé toutes les insultes qu’on m’adressait et j’ai dansé dessus pendant les dix premières minutes de mon spectacle. J’ai rendu la gifle en quelque sorte. Le public qui entend « Regarde-moi cette tapette » quand je suis sur scène, va se voir et s’entendre. C’était une création spécifique autour de la violence, de ce que mon corps peut générer dans la ville et ce que la ville génère comme violence aussi.

Pour mener une création artistique au Liban, il faut vraiment le vouloir

Alexandre Paulikevitch

Un autre spectacle était une réponse à un tabassage que vous avez subi de la police ?
Paulikevitch :
Ah, pas seulement. Elle est née de souffrances, oui mais surtout d’espoirs. Il y a eu l’explosion de Beyrouth qui a soufflé ma maison. Je me suis retrouvé avec rien. Papa est mort. Une relation toxique monstrueuse m’a fait beaucoup de mal. Il y a eu une révolte avortée, le tabassage, le tribunal militaire. Il a fallu exorciser tout ça. Plus de maison. Toutes mes économies avaient disparu. Les banques nous ont volés. Je n’avais plus rien. Et j’ai fait A’alehom avec rien. En culotte. J’ai eu 100 euros de dépenses pour faire ce spectacle et je tourne partout avec. C’était mon challenge envers et contre tout. Un père jésuite m’a offert la crypte de son église pour danser. Vu qu’il m’a ouvert son église sans prendre d’argent, j’ai offert mon spectacle aussi. C’était en pleine pandémie en 2020, la planète était arrêtée et j’étais en train de performer. C’était une ode à la résistance.

Quelle est votre perception de Molenbeek où vous êtes arrivé il y a deux semaines ?
Paulikevitch :
(Longue hésitation) Je trouve que les Bruxellois sont très gentils, mais je suis surpris par ce quartier. L’extrémisme, je le subis chez moi. Je n’imaginais pas devoir le subir en Belgique ou à Bruxelles. Les mêmes regards qu’on me balance à Beyrouth, on me les balance ici. Je ne sais pas comment le dire, parce que j’ai peur d’être mal compris. Je ne comprends pas comment en Europe, on fuit des pays qui nous épuisent, qui ne nous donnent rien et on fait ici la même chose que ce qu’on nous impose là-bas. Alors qu’on pourrait se libérer, on retourne dans les mêmes carcans.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans la forme du cabaret ?
Paulikevitch : Je suis issu de cette mouvance. J’ai dansé dans les cabarets, j’ai dansé dans les restaurants à mes débuts. C’est une forme authentique qui est en train de disparaître. C’est de plus en plus rare, c’est pourquoi, je la revendique de plus en plus. Et ça, c’est politique. Après deux ans de pandémie et de confinement, on est tous épuisés et on a envie de quelque chose de léger, de beau, de divertissant et je l’assume. Vendre du rêve, c’est notre métier. Dans mon cabaret, il y aura à manger et à boire parce que c’est l’esprit cabaret. Les gens seront distraits mais pas trop. Je saurai garder tous les yeux rivés sur moi ! (rires)

CABARET WELBEEK La Raffinerie,
18 & 19/03, 25 & 26/03, 01 & 02/04, www.charleroi-danse.be

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