Brigittines International Festival: la danse en paradoxe

Patrick Jordens
© Agenda Magazine
11/08/2015
(Tsunamism)

« Outrages et ravissements » : c’est sous cet étendard que le festival international de danse des Brigittines déploie sa 34e édition. Quatorze créations, dont douze premières belges figurent au menu. Pour AGENDA, le directeur artistique Patrick Bonté en pointe trois.


Contrairement à ce que le titre laisse penser, ce solo de la chorégraphe portugaise Elizabete Francisca n’a rien à voir avec les catastrophes qui ont frappé le Japon ou la Thaïlande ces dernières années. Tusnamism est un titre métaphorique. Francisca entre en scène comme une apparition surnaturelle, divine. Son corps nu est entièrement recouvert de maquillage bleu. En premier lieu, on peut être subjugué par une certaine beauté sensorielle, mais la danseuse se transforme vite en une chèvre bêlante, en quelqu’un qui engloutit de la saucisse, en joueuse de tuba... Elle nous prend sans cesse à contre-pied, passe continuellement de la séduction au trouble et entraîne ainsi le spectateur dans son délire. Le spectacle parle du côté animal et secret de l’homme, mais le langage corporel en soi n’est pas du tout animal. Au contraire, Francisca bouge la plupart du temps de manière très contrôlée et lente, ce qui fait que les transformations qu’elle effectue sont encore plus surprenantes. Ce qui m’a surtout plu dans cette création, c’est son audacieuse extravagance d’un côté, et de l’autre, la concentration marquée avec laquelle elle joue cet ironique double jeu avec sa propre apparence physique. On pourra d’ailleurs voir dans le festival pas mal de créations qui se basent sur un paradoxe semblable : des dimensions irrationnelles et déstructurées, complètement indisciplinées et en même temps d’autres remplies d’intelligence, qui semblent se contredire entre elles mais qui, pour les artistes, sont complémentaires. C’est cette ambivalence que j’ai recherchée pour la programmation en général et dont Tsunamism est un magnifique exemple ».

Elizabete Francisca: Tsunamism (Recital for two strings in M)
25 & 26/8, 20.30, Chapelle


(Under)

Le spectacle Under se compose de deux parties qui tournent de manières formellement très différentes autour d’une même thématique. Dans la première, on voit deux performeurs avec une cagoule sur la tête cachant leur visage et qui sont revêtus de costumes intemporels. Ils s’attirent mais gardent leurs distances dans une quête ininterrompue d’une sorte d’identité commune. Dans la seconde partie, les deux danseurs portent des vêtements contemporains, comme des ados d’aujourd’hui, et se prêtent à un jeu comparable d’attraction et de répulsion. Ce qui est fascinant, c’est que ce qui dans la partie 1 était déjà assez incompréhensible l’est encore plus dans la partie 2, malgré le langage formel plus reconnaissable et contemporain. Dans cette création, il ne s’agit pas exclusivement d’érotisme mais de la complexité des relations humaines : jusqu’où est-ce que je veux et est-ce que je peux me mettre à nu par rapport à l’autre ? est-ce que j’ose sortir de ma zone de confort ?, etc. Le spectacle montre de manière originale que malgré la musique, les costumes ou l’esthétique tout court, le mystère du vivre ensemble reste toujours intact. Ce qui m’a touché dans leur approche, c’est qu’on sent que la beauté entre les hommes amène souvent de l’incertitude et de la fragilité, mais que si nous osons prendre ces risques, nous arrivons beaucoup plus loin et pouvons ainsi parvenir à une sorte d’‘extase’. Pour le second volet du spectacle, les danseurs initiateurs du projet Nicola Mascia et Matan Zamir ont demandé à la chorégraphe israélienne Yasmeen Godder de proposer un autre langage corporel autour de la même thématique. Ils ont pour ainsi dire ‘jammé’ ensemble ».

Matanicola vs Yasmeen Godder: Under

19 & 20/8, 20.30, Chapelle
(Shake it out)

Shake it out est un spectacle beaucoup plus politique, et en même temps drôle, qui se penche sur l’identité européenne. Le chorégraphe Christian Ubl est un Autrichien qui vit et travaille en France et il se pose aussi des questions personnelles sur sa (double) nationalité. En même temps, c’est évidemment un commentaire sur le nationalisme grandissant en Europe. Ainsi, les danseurs commencent habillés en dirndls et lederhosen, ces costumes traditionnels autrichiens. Et on joue aussi souvent sur scène avec des drapeaux, qui sont dépliés et repliés de façon presque obsessionnelle. Mais il y a aussi beaucoup d’ironie qui se cache dans cette production, l’humour est crucial. Le langage corporel est souvent très énergique, rythmique, militaire même et est rempli de références au folklore et au sport. En tant que spectateur, on se surprend régulièrement à se dire qu’on aime ces mouvements spécifiques mais qui cachent en même temps un certain danger : la tentation du chauvinisme, celle de vouloir appartenir à un groupe, du patriotisme aveugle... Il y a certainement un côté subversif dans cette création, mais ça ne devient jamais ni sombre ni purement provocateur. Ce que je trouve très intéressant ici, c’est la notion d’ambiguïté et de nuance. D’un côté on sent – notamment à travers le langage corporel très vivant – un hommage à la joie, à la vie. À un certain moment, on entend d’ailleurs l’hymne européen, l’Ode à la joie de la Cinquième symphonie de Beethoven. D’un autre côté, Shake it out fait aussi entendre clairement une voix critique et nous confronte au plaisir presque (trop) primaire que l’on éprouve par exemple avec les danses folkloriques ».

Cube Association/Christian UBl: Shake it out
28 & 29/8, 20.30, Chapelle


BRIGITTINES INTERNATIONAL FESTIVAL
14 > 29/8, Les Brigittines, www.brigittines.be

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