| 'La dernière génération' s'inspire des '120 Journées de Sodome', film italien réalisé par Pier Paolo Pasolini en 1975.

Review
Score: 3 op 5

Critique théâtre: la dernière provocation de Milo Rau

Gilles Bechet
21/12/2023

Théâtre des excès, La Dernière génération est un exorcisme des violences de notre monde et de l’exploitation des plus faibles. Trois étoiles sur cinq, décrochées de justesse grâce aux comédien.ne.s en situation de handicap mental du Stap Theater.

«C’est la réalité qui est une provocation, donc l’art peut l’être aussi », aime dire Milo Rau. L’auteur et metteur en scène suisse-allemand nous a habitué aux spectacles qui dérangent et qui explorent les limites du théâtre.

Après avoir traité l’affaire Dutroux, du point de vue des enfants, dans Five Easy Pieces, ou le meurtre de Ihsane Jarfi dans Histoire du théâtre I, ou encore avoir cherché à recruter des ex-jihadistes pour son spectacle sur L’Agneau mystique monté au NT Gent, il propose dans La Dernière génération une relecture de Salò ou les 120 journées de Sodome avec des comédiens et comédiennes en situation de handicap.

DESCENTE AUX ENFERS
Le film de Pasolini, lui-même inspiré d’un texte du Marquis de Sade, est une œuvre repoussoir, une descente aux enfers de la perversité humaine qui évoque les derniers jours du régime fasciste.

La Dernière Génération est pour Milo Rau celle des personnes atteintes de Trisomie 21, « éradiquée » par notre société libérale à « tendance fasciste » suite à la généralisation des tests prénataux non intrusifs. Comme il l’a fait avec les enfants dans Five Easy Pieces, le metteur en scène raconte le film de Pasolini vu par les yeux de ses comédiens trisomiques.

On ressent un malaise de voir ces comédiennes et comédiens assumer des situations, des propos ou une histoire qui ne sont pas les leurs (ou alors très indirectement)

Dans les scènes de reconstitution distanciée, on ne peut que voir un parallèle entre les jeunes gens innocents kidnappés par les fascistes pervers et les personnes atteintes de handicap exclues de notre société.

Leurs commentaires bruts et naïfs sur des scènes du film n’en est que plus percutant. Issus du Theater Stap, un atelier théâtral de Turnhout qui travaille depuis le milieu des années 80 avec des personnes porteuses de handicap, ils sont tous formidables et on sent leur plaisir sans filtre de jouer la comédie.

Il y a aussi un effet d’étrangeté qui se confond avec une humanité débordante, notamment dans la pudique reconstitution d’une scène de sexe entre deux jeunes gens du film. L’exposition pleine de tendresse de ces corps différents est une réponse à l’exaltation consumériste dans notre société des corps parfaits et stéréotypés.

On ressent néanmoins tout au long du spectacle un malaise de voir ces comédiennes et comédiens assumer des situations, des propos ou une histoire qui ne sont pas les leurs (ou alors très indirectement). Milo Rau dira que c’est le lot de tout comédien et que c’est un jeu avec les codes et les limites du théâtre. Il ne se prive d’ailleurs pas de rappeler par les artifices du décor que tout ce qu’on voit n’est pas la réalité mais une allégorie.

Et quand La Dernière génération nous ramène au réel d’aujourd’hui, c’est sans nuances comme dans le monologue de père meurtri où Koen de Sutter emprunte sa dramatisation aux discours des anti-avortement.

En mêlant les thèmes du fascisme et du handicap jusqu’à sa fin grand-guignol, Milo Rau joue à fond son rôle de provocateur laissant au spectateur le soin de recoller les débris de la bombe qu’il a lancé.

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