Décortiquer le lien humain

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
02/04/2012
Avec Thanks to my Eyes, le compositeur italo-suisse Oscar Bianchi et l’auteur et metteur en scène français Joël Pommerat s’offrent tous deux un plongeon dans l’inconnu: l’opéra. Pour ce projet, Pommerat a adapté l’une de ses pièces en se pliant aux lois de la musique. Un premier pas dans le monde de l’art lyrique, qui ne restera pas sans suite.

Artiste associé au Théâtre National, Joël Pommerat y présente cette saison trois de ses spectacles. Après sa version de Cendrillon et avant Ma chambre froide (voir encadré), il livre la création belge de son premier opéra, dont le livret, basé sur sa pièce Grâce à mes yeux, a été mis en musique par Oscar Bianchi.
Au carrefour de l’adolescence et de l’âge adulte, Aymar (le baryton allemand Hagen Matzeit) est incapable d’accéder aux désirs de son père (la basse écossaise Brian Bannatyne-Scott) : reprendre le flambeau en tant que « plus grand artiste comique de son temps ». Deux jeunes femmes mystérieuses, la mère « au bord de la mort » et un messager complètent ce huis clos où Pommerat poursuit sa fascinante exploration du lien humain.

Pourquoi avoir choisi de baser cet opéra sur votre pièce Grâce à mes yeux?
Joël Pommerat: Je n’avais pas envie de partir d’un opéra du répertoire. Ce qui m’intéressait dans ce projet, c’était le fait que ce soit une création. C’est assez magnifique pour un auteur de pouvoir prolonger son travail de cette manière. J’ai proposé à Oscar Bianchi trois pièces que j’aurais eu plaisir à travailler dans le sens d’un opéra. Il a choisi Grâce à mes yeux. Je pense qu’il y avait là des thèmes qui le touchaient : cette relation d’un père à son fils et une relation amoureuse un peu compliquée, contrainte par cette autorité du père. Et puis dans la forme, cette pièce se prêtait davantage à la musique parce qu’elle se situe dans une économie de mots et de moyens. Il y a peu de personnages, l’action est assez simple. Je pense que cela a aussi orienté son choix.
Dans un opéra, la musique impose son rythme, sa loi. Avez-vous trouvé le travail d’écriture et de mise en scène plus contraignant qu’au théâtre?
Pommerat: Je n’ai pas considéré les choses dans le sens d’une contrainte. Bien sûr, cela impliquait un remaniement du texte. Il fallait resserrer Grâce à mes yeux pour laisser de la place à la musique et pour respecter sa temporalité, qui n’épouse pas le rythme du langage parlé. À l’opéra, le metteur en scène perd la maîtrise du temps et c’est vrai que c’était quelque chose de très nouveau pour moi. Et ce n’était pas simple parce que le temps et le rythme sont des éléments très importants dans ma façon d’aborder l’écriture et la mise en scène. Là, je me suis retrouvé « déplacé », mais c’est aussi agréable de se mettre un peu à l’écart de ce que l’on fait d’habitude. Quant à la direction d’acteurs, je n’ai pas ressenti de grande différence avec le théâtre. Une fois intégré le fait que le texte est chanté et non parlé, le metteur en scène dit exactement les mêmes choses au chanteur qu’au comédien. C’est le même métier, la même approche. En tout cas, pour moi, ça l’a été.
Comme dans votre pièce Cet enfant, Thanks to my Eyes présente une relation parent-enfant qui n’est guère évidente...
Pommerat: Je ne dirais pas que le point important est ici le problème de la relation père-fils. Il s’agit avant tout d’une relation entre deux individus, d’un lien humain. Ce qui m’intéresse au théâtre, c’est de décortiquer ce lien, la relation. Et le lien entre deux individus qui ne se connaissent pas peut être aussi compliqué, chargé, problématique, poétique et passionnant que le lien qui unit un père et un fils ou un frère et une sœur.
Grâce à mes yeux a été inspiré entre autres par un souvenir d’enfance...
Pommerat: Lors d’une promenade en montagne avec un groupe d’enfants, nous sommes allés demander de l’eau dans une ferme d’alpage. C’était une maison très rustique, plus que modeste, une maison de conte de fées. Une très vieille femme, presque une créature de légende, nous a donné de l’eau. J’ai alors eu la sensation d’entrer dans un autre espace temporel. Je crois que c’est ce souvenir très marquant qui m’a donné envie de raconter une histoire qui se passerait dans un lieu comme celui-là, coupé du monde.
Pousserez-vous plus loin cette expérience de l’opéra?
Pommerat: Je prépare un nouveau projet avec La Monnaie. Avec une autre de mes pièces, Au monde, et le compositeur belge Philippe Boesmans. La création verra le jour en 2014.

Thanks to my Eyes
3, 5, 6, 10 & 11/4 • 20.15 (avant-première: 1/4, 15.00), €15 > 75
Théâtre National boulevard E. Jacqmainlaan 111, Brussel/Bruxelles,
02-203.53.03, www.theatrenational.be, www.demunt.be, www.lamonnaie.be

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