Fabrice Murgia : solitudes d’un monde connecté

Catherine Makereel
© Agenda Magazine
03/10/2014
(© Jean-Louis Fernandez)

Créé dans le In du festival d’Avignon, Notre peur de n’être débarque au Théâtre National avec un instantané de nos solitudes contemporaines. Fabrice Murgia creuse, une fois encore, cette jeunesse « qui a besoin d’espérer », prise dans les rets des nouvelles technologies, et ce qu’elles charrient de puissance et d’aliénation.

Faites le test : demandez à quiconque suit de près le théâtre francophone un nom d’artiste belge qui compte sur la scène aujourd’hui et vous verrez que Fabrice Murgia arrive dans le top 3. À coup sûr ! Fulgurante ascension de ce Liégeois qui a pris tout le monde par surprise avec Le chagrin des Ogres en 2009. Pas encore 30 ans, et le jeune auteur et metteur en scène bousculait la scène belge avec un spectacle qui scrutait déjà la solitude d’une jeunesse paradoxalement hyper connectée. Depuis, l’ascension de Fabrice Murgia paraît irrésistible : de Ghost Road à Life Reset/Chronique d’une ville épuisée, ses spectacles l’ont mené sur les plus prestigieuses scènes européennes, jusqu’aux deux belles consécrations de cette année : d’abord lauréat du Lion d’argent à la Biennale de Venise, il était programmé cet été dans le In du festival d’Avignon avec sa dernière création, Notre peur de n’être, reprise aujourd’hui au Théâtre National.
L’artiste y poursuit quelques-unes de ses obsessions – la solitude dans un monde de plus en plus virtuel, les nouvelles technologies, leurs implications sur nos vies privées, les aliénations propres à notre époque – tout en creusant les lignes de sa dramaturgie : des spectacles hyper sensoriels, l’usage des technologies avancées du son et de l’image. Pour Notre peur de n’être, Fabrice Murgia cite deux références principales : les hikikomori d’abord, cette nouvelle génération de jeunes (ou moins jeunes) Japonais qui refusent tout contact avec la société et avec les humains. Solitude voulue, souhaitée, pour tous ceux qui ne supportent pas la pression sociale. Il s’inspire également de l’essai Petite Poucette de l’historien et philosophe Michel Serres et de ses réflexions sur les mutants technologiques de la nouvelle génération. Le résultat est une photographie vivante et troublante de notre monde moderne.

Notre peur de n’être : pourriez-vous expliquer ce titre, au delà du jeu de mot évident ?
Fabrice Murgia : On y croise des personnages qui vivent reclus à cause de la pression qu’exerce sur eux le monde extérieur. Comme c’était déjà le cas dans Ghost Road par exemple. Cette forme d’ermitage, de retrait du monde, m’intéresse. Pourquoi s’enfermer ainsi ? Je voulais aborder cette peur de ne pas être à la hauteur de ce qu’attendent de nous nos parents, la société. Cette peur d’être au monde, en quelque sorte. Alors, je me suis laissé aller à un jeu de mots alors que d’habitude je déteste ça (rires). Finalement, c’est aussi un clin d’œil au temps de gestation de ce projet qui a été plus long que les autres. Après avoir fait cinq spectacles en trois ans, j’ai mis deux ans à faire celui-ci. Tous mes spectacles ont traité à la fois de nouvelles façons de communiquer et de nouvelles façons d’être seul.

Est-ce que Notre peur de n’être signe la fin d’un cycle ?
Murgia : D’un coté, on y retrouve une nouvelle fois des gens seuls, qui sont dans un tel narcissisme qu’ils sont incapables d’aller vers l’autre, mais cette fois, je voulais vraiment aller vers une sorte de comédie, en tout cas traiter ces nouvelles solitudes avec une touche d’optimisme. Avant, mon regard était plutôt sombre. Aujourd’hui, la thématique est la même mais ma façon de l’observer est différente. Mon enfant a grandi et je me sens plus dans une forme de passation du monde.

Retrouve-t-on ici aussi votre patte dans la forme, qui est généralement très cinématographique ?
Murgia : Je sais qu’il y a maintenant une sorte de cliché sur mon travail avec les nouvelles technologies, mais la vidéo est chaque fois utilisée de manière très différente. La technique doit être en mouvement, jamais fixe. Elle est une sorte de poumon du personnage ou de l’intrigue. Cette fois, je voulais par exemple que les images flottent dans l’air de manière presque palpable. La vidéo, comme la lumière, est utilisée différemment. Dans certaines parties du spectacle, la vidéo crée un baromètre émotionnel ou permet de travailler sur le gros plan. Dans la deuxième partie, on amène un écran et là, la vidéo devient une caméra subjective, la vision d’un personnage qui n’a pas encore parlé mais qui a tout observé. L’image est là pour compléter le comédien, mais c’est lui qui maîtrise la caméra. Il n’y a pas, comme dans d’autres spectacles, la volonté de dématérialiser le réel.

C’est un spectacle moins atmosphérique et plus narratif que vos pièces précédentes ?
Murgia : En effet. Il y a des événements. C’est un théâtre de personnages. À un tournant du spectacle, ils ne sont plus dans leur bulle. Dans Life Reset par exemple, la technologie était à l’avant-plan et l’acteur était dépendant de la machine. C’était plus un travail de plasticien. Cette fois, c’est un vrai travail d’acteurs, qui ont une approche plus directe avec le public. Même si c’est vrai que, cette fois encore, au départ, ce sont des personnages très seuls qui commencent à ressembler à des machines. Ils ont chacun une sorte de malédiction que j’ai inventée. Il y en a un qui se crée un mort pour faire l’exercice du deuil. Il y a une jeune femme qui passe sa vie à s’enregistrer sur un dictaphone pour être sûre de se rappeler de moments qu’elle a vécus, un garçon qui, comme les hikikomori au Japon, se coupe délibérément du monde extérieur et ne sort de chez lui que par écran interposé, cloîtré dans son univers, etc.
Qu’a représenté pour vous le fait d’être programmé dans le In du festival d’Avignon ?
Murgia : À Avignon, l’attention que vous portent les professionnels et la presse française est énorme et ridicule. Il y a une pression très forte. Moi, j’ai préparé le spectacle loin d’Avignon et je ne suis arrivé qu’à la toute fin du festival. On est content d’être à Avignon parce que c’est un lieu chargé d’histoire et qu’il y a une vraie reconnaissance au niveau européen, mais la pire des choses est de se mettre la pression ou de se dire qu’on va faire un spectacle « pour » Avignon. Moi je n’ai pas écrit « pour » Avignon. Bref, ça ne m’a pas impressionné. Mais ça m’a donné beaucoup de confiance en moi d’y être programmé. C’est le quatrième de mes spectacles qu’Olivier Py (directeur du festival depuis 2013, NDLR) accompagne et je suis très heureux de cette fidélité.

Photos © Jean-Louis Fernandez

NOTRE PEUR DE N'ÊTRE • 7 > 11 & 14 > 16/10, 20.15 (wo/me/We: 19.30), €8/10/15/19, Théâtre National, boulevard E. Jacqmainlaan 111-115, Brussel/Bruxelles, www.theatrenational.be

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