Hors-champ : entre rêve et cauchemar

Nurten Aka
© Agenda Magazine
18/04/2013
Sur scène, cinq danseurs et un caméraman voyagent en (dans) Hors-champ, la nouvelle création de Michèle Noiret. Artiste associée du Théâtre National, la chorégraphe - artistiquement exigeante - se lance dans un défi de taille : la danse-cinéma.

Cinq danseurs et un caméraman voyagent en Hors-champ. La chorégraphe Michèle Noiret se lance dans le défi de la danse-cinéma. Noiret est, de loin, l’une des plus grandes chorégraphes de la Communauté française. Avec près de trente créations, Michèle Noiret, formée à Mudra - l’ancienne école de danse de Maurice Béjart à Bruxelles - impressionne par sa qualité et son exigence artistique. Minutes opportunes, Demain, Les Arpenteurs, Chambre Blanche, Territoires intimes: à chaque fois, ses nouvelles propositions inattendues la mettent au défi. Jamais endormie sur son art, Noiret s’est notamment frottée à l’image bien avant l’air du temps. Artiste associée au Théâtre National depuis 2006, elle y présente sa nouvelle création, Hors-champ, qui pousse encore un peu plus loin le dialogue qu’elle poursuit entre l’image-cinéma et la danse. Rencontre.

Votre nouvelle chorégraphie joue sur le hors-champ du cinéma. Comment cela se passe-t-il ?
Michèle Noiret : L’idée de base est de filmer les danseurs en direct sur le plateau et au même moment de les montrer en hors-champ, via les prises ciné. Celles-ci sont enregistrées en direct, et dévoilent différents points de vue sur des personnages et des situations, créant ainsi le trouble chez le spectateur. On ne sait plus si on est dans un film ou dans une pièce de théâtre : il y a une réelle imbrication des deux univers. La scène est un espace réel opposé à l’espace virtuel des prises ciné.

C’est de la danse-cinéma donc, mais la pièce repose-t-elle sur un scénario ?
Noiret : D’habitude, je viens avec une phrase chorégraphique à partager avec les danseurs. Ici, je suis venue avec un scénario construit dans la logique du rêve et du cauchemar. Hors-champ est un récit en labyrinthe où les personnages-danseurs ont chacun leur trajectoire particulière, chorégraphiée. Au départ, deux danseurs sont dans une chambre, sur un lit. Dans un salon, un autre. Un passé commun oppose les deux personnages. A partir de leurs retrouvailles troubles, une trame toute en tension se déroule, un chassé-croisé s’instaure. On entre dans la logique du cauchemar à travers des espaces que l’on traverse, comme dans Le Procès d’Orson Welles. On retrouve un personnage principal qui dort, des intrus ouvrent la porte et il ne comprend pas ce qui se passe, son cauchemar commence alors.
Pourquoi ne pas faire un film dès lors ?
Noiret : J’aime le cinéma mais Hors-champ est un spectacle de danse et non un film. Le cœur de mon travail et de mon envie est d’emmener le cinéma sur le plateau et d’emmener le plateau au cinéma, de faire avec les deux un seul objet. Donc il n’est pas question de danser, de s’arrêter, puis de passer un film, puis de re-danser, et de repasser un film ! Toute la difficulté est de mélanger, d’imbriquer ces deux dimensions le mieux possible.

Vous avez fait appel au cinéaste Patric Jean, connu pour Les enfants du Borinage, lettre à Henri Storck. Pourquoi ?
Noiret : J’avais envie de parler du monde actuel et d’être confrontée avec un réalisateur qui le filme. Je ne veux pas faire du social « réaliste » mais plutôt insérer une vision du monde dans mon univers onirique. Dans le cadre d’une expo, j’ai eu l’occasion de voir le film Traces de Patric, sans parole mais très chorégraphique. On a ciblé ici des images possibles du monde, mais qui vont être intégrées aux cauchemars des danseurs.

Et la danse ?
Noiret : La chorégraphie s’est construite en se nourrissant de ce que les danseurs ressentent dans une situation donnée. Puis on les filme et on retravaille pour que tout soit « raccordé  » entre la scène et l’écran, le réel et le virtuel. Une des difficultés est, par exemple, quand un danseur claque une porte dans le film virtuel et qu’il arrive sur scène. S’il n’est pas en harmonie avec son humeur dans le film, cela ne marche pas. Une fois qu’on a les images, tel mouvement doit être plutôt précipité, ou ralenti, rendu plus hésitant ou plus agressif, et c’est là qu’on fixe la chorégraphie.
Une scénographie avec un lit, ce n’est pas évident pour un danseur !
Noiret : Comment amène-t-on une gestuelle dans un salon ou une chambre sans tourner autour du divan, du lit, faire trois petites pirouettes et s’asseoir? Pour moi, c’est sans intérêt. En fait, je dois tisser des réseaux à partir de six éléments : la lumière, le son, la caméra (live), le film (sur écran), les danseurs sur scène et leurs « raccords » avec le film. C’est un travail d’orfèvrerie, avec la danse et le mouvement des corps.

Vous parlez de « réalité hallucinée » ?
Noiret : Mon fil conducteur récurrent est le trouble, le monde subconscient : comment passer de l’autre côté du miroir…ou de la garde-robe ? L’hallucination est donc l’un des premiers moteurs de cette création. Avec les personnages/danseurs, une fois qu’ils ne sont plus dans la maison mais dans le hors-champ, tout est possible. Entre monde réel et monde irréel, on entraîne le spectateur dans la perte des repères. Quant au cameraman, il est là, au milieu des danseurs, tour à tour intrus ou complices. Il est un autre fil conducteur qui raconte à sa manière quelque chose du hors-champ.

On retrouve deux de vos (excellents) complices artistiques, Xavier Lauwers à la lumière, et Todorov à la musique. Quelles sont leurs pistes sur « Hors-champ » ?
Noiret : Xavier possède une maîtrise complexe de la lumière et un travail raffiné. Ici, l’inquiétude est le raccord de lumière entre la scène du plateau et celle du film, puisqu’on passe constamment de l’un à l’autre, dans un dialogue d’images, de présences et de situations particulières. Il y a aussi des clairs-obscurs et d’autres lumières spécifiques à des intérieurs. Par exemple, l’utilisation ciblée de lumière jointe à un gros plan donne un sentiment d’intrusion, et permet d’emmener le spectateur vers un point précis. Pour la musique, Todorov compose sur des ambiances comme au cinéma avec des sons qui ne sont pas uniquement mélodiques ou rythmiques mais qui peuvent venir d’un univers mental. Par exemple, les chuchotements que l’on entend. Si on fait survoler ce son dans l’espace, cela raconte ce que l’on ne perçoit pas. Le son comme la lumière nous emmènent à leur manière dans le hors-champ et le cinéma.

Hors-Champ • 24/4 > 8/5, 20.15 (8/5: 19.30), €11/16/20, Théâtre National, boulevard E. Jacqmainlaan 111-115, Brussel/Bruxelles, 02-203.53.03, location@theatrenational.be, www.theatrenational.be

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