La Ville : regard oblique sur le quotidien

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
17/04/2015
Quand est-ce réel ou pas ? Quand ment-on et quand dit-on la vérité ? Dans La Ville, Martin Crimp brouille ludiquement les pistes.

Le Rideau s’est toujours donné comme mission de défendre les écritures contemporaines, qu’elles soient belges ou étrangères. En mettant en scène La Ville, créée pour la première fois en Belgique, Michael Delaunoy nous emmène de l’autre côté de la Manche, à la découverte de l’écriture novatrice et pleine de mystère de Martin Crimp.

Qu’est-ce qui vous plaît chez Crimp ?
Michael Delaunoy : C’est un auteur qui parle de choses finalement assez banales – les rapports de pouvoir, que ce soit dans le monde de l’entreprise ou dans l’univers intime de la famille, la violence des grands conflits... – mais toujours avec un regard oblique et en renvoyant le quotidien à son étrangeté. Ça peut parfois évoquer ce que fait Lynch au cinéma. Au cœur de La Ville, il y a un couple, Chris et Clair, et à chacun est attachée une thématique. Pour Chris, c’est la perte du travail : qu’est-ce que c’est qu’un homme, visiblement cadre dans une multinationale, qui se retrouve tout à coup chez lui alors qu’il a toujours été extrêmement actif ? Clair est traductrice et avec elle Crimp pose cette question : est-ce qu’un traducteur, qui au fond est au service de la parole d’un autre, n’a pas le désir à un moment donné de créer lui-même ? Ces deux thématiques sont entrecroisées de manière très subtile. Il y a aussi un personnage d’infirmière et une enfant. Est-ce l’enfant du couple ? On ne le sait pas vraiment. Il y a constamment un jeu de brouillage. Soit les choses ne sont pas dites, soit les choses sont dites mais le contraire est dit à la scène suivante. Dans La Ville, Crimp travaille aussi sur une notion de suspense. La pièce a un petit côté hitchcockien et l’auteur nous conduit constamment sur de fausses pistes. Il y a une dimension très ludique dans le traitement mais aussi quelque chose de très inquiétant.
Vous avez choisi de faire jouer le personnage d’enfant vraiment par un enfant et non par un acteur adulte. Pourquoi ?
Delaunoy : Une présence d’enfant sur scène, c’est très particulier. Ça peut même être piégeant : il y a le risque qu’on ne regarde plus que l’enfant ou que l’on soit toujours en train de se dire « oh, comme il joue bien », ou « oh, comme il joue mal ». Il faut réussir à inscrire l’enfant dans la fiction. Mais je trouvais que la fragilité qu’amène un enfant à l’intérieur de cette pièce, où les rapports sont assez durs, était très importante. Nous avons travaillé avec deux jeunes filles, de 11 et 12 ans, qui jouent en alternance.

Le sujet a l’air assez grave, mais la pièce est-elle drôle parfois ?
Delaunoy : Personnellement, elle me fait beaucoup rire, notamment dans la façon dont les dialogues sont menés. Crimp travaille beaucoup sur le principe du dialogue de sourds. C’est très rythmique, avec parfois des chevauchements de répliques. On sent que Crimp a la science du dialogue comique. Dans La Ville, il a essayé d’alterner des répliques courtes, typiques du théâtre anglo-saxon, et de longues tirades dans une tradition plus française. Pour les acteurs, il y a des passages difficiles, avec des répétitions... C’est très précis et très musical. Il y a une dimension de virtuosité, mais qui ne doit pas se sentir. Il faut de la technique pour jouer ça, mais aussi beaucoup d’humanité. C’est un théâtre qui repose en grande partie sur les acteurs, sur leur complicité.

LA VILLE
21/4 > 9/5, Le Rideau, www.rideaudebruxelles.be

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