Pour son nouveau spectacle La nuit des taupes, l'homme de théâtre et plasticien français Philippe Quesne crée sur scène un monde souterrain où évoluent des taupes géantes. En associant le fantastique et le banal, il mobilise notre pouvoir d'imagination pour ouvrir d'autres chemins dans notre propre quotidien.
© Martin Argyroglo
Le monde souterrain de Philippe Quesne
À la fin de Swamp Club, la précédente création de Philippe Quesne, une taupe géante emmenait les artistes d'un centre d'art menacé vers un refuge souterrain. L'artiste français a eu envie de suivre l'animal et de raconter ce qu'il a vu. Formé aux arts plastiques, Philippe Quesne aborde le théâtre par la scénographie. Il y développe des spectacles-mondes où tout converge. Le sens de l'observation, l'art du trait, l'attention aux mouvements, le graphisme dans l'espace et l'écoute musicale. Avec sa compagnie qu'il a baptisée Vivarium studio, il crée des fables d'aujourd'hui où le spectateur s'observe en regardant les personnages. La nuit des taupes s'accompagne d'un deuxième volet Welcome to caveland !, où dans une installation en forme de caverne précaire, différents artistes-invités viennent s'emparer de la thématique du souterrain, tant dans sa dimension musicale, plastique, que mythologique ou participative.
Vos spectacles sont souvent des fables ancrées dans le quotidien, est-ce toujours le cas avec La nuit des taupes ?
Philippe Quesne : Je pousse mon théâtre un peu plus loin en m'intéressant au quotidien d'animaux. Que serait un théâtre uniquement joué par des taupes ? C'est un peu l'enjeu de la pièce. C'est l'occasion pour le spectateur d'observer, le temps d'un spectacle, un micro-monde animal un peu fantastique, voire étrange. C'est la première fois que je mets en scène un quotidien de taupes. Avec une grande simplicité, on les voit évoluer, manger, dormir et agir. C'est dans la suite logique de mon aventure depuis douze ans, on a sous les yeux un tableau vivant, un écosystème, qu'on a le plaisir de partager.
Qu'est-ce que ça change pour vous de passer de personnages humains à des animaux ?
Quesne : Que l'on observe des plantes, des animaux ou des arbres, c'est en pensant à nous-mêmes. J'avais envie pour ce spectacle de faire disparaître le corps des acteurs, peut-être de créer un langage. Les taupes s'expriment en grognements et sont sous-titrées, parfois, pour mieux questionner la vie sur terre, la nôtre ! Par l'intermédiaire des taupes, on peut observer une tranche de vie, un peu différente, un peu décalée et c'est l'objet de cette fresque.
La plupart de vos spectacles mettent en scène une communauté contre le monde extérieur.
Quesne : Oui, c'est vrai. Et c'est même presque irréel. Je ne sais pas dans quel monde les humains arrivent à s'entendre, surtout pour le moment. J'ai souvent, de manière un peu artificielle, mis en scène des gens qui arrivent à s'entendre et à prendre le temps pour mener des projets ensemble. C'est un luxe aujourd'hui de prendre le temps ensemble. Avec les taupes, j'ai choisi l'animal sans doute le plus solitaire pour créer une communauté, c'est déjà un peu anormal de réunir sept taupes sur scène. Je vois le théâtre comme une expérience très utopique de partage d'un art avec une communauté de spectateurs assis dans les fauteuils. Observer une petite communauté où les gens arriveraient à partager un projet et à prendre le temps, ça crée de l'empathie et peut-être même de la mélancolie. Et cette fois, on est dans les sous-sols avec des taupes, mais c'est la même question. Comment vont-elles ensemble fabriquer, construire, chanter, jouer de la musique et croire ?
Vous avez monté des spectacles en Allemagne, au Japon, ce nomadisme a-t-il influencé vos productions ultérieures ?
Quesne : J'ai eu la chance de tourner avec mes pièces, de croiser des cultures différentes qui se sont emparées de mes spectacles. Ça a été riche et très inattendu et puis c'est entré dans l'écriture. Je ne pensais pas passer du temps au Japon où j'ai observé une société qui a la chance de cohabiter avec des animaux et des monstres. En Occident, depuis les sociétés grecques, on a perdu la capacité de vivre avec des monstres. En allant au Japon, il y a longtemps, j'avais pensé à la taupe. Je me suis dit quand les humains n'ont pas de solutions pour eux-mêmes, pourquoi ne pas consulter des animaux, des monstres. Ce sont d'autres possibilités. Peut-être que des solutions viennent en regardant une plante. Ce n'est sans doute pas les employés types qui prennent le temps pour ça, mais les artistes peuvent le faire.
On parle à votre propos de théâtre écosophique, qu'en est-il ?
Quesne : C'est peut-être juste parce que sur scène, il y a des corps, mais aussi des matériaux, des couleurs, des sons, des plantes et une gamme très large d'éléments qui participent complètement à mon écriture. Cela permet au spectateur de rêver et de se concentrer sur la vie d'une stalactite, d'un morceau de terre, d'un tunnel ou d'une échelle. Quand je regarde le ciel, la terre ou un arbre, je pense peut-être plus à mon destin qu'en regardant certains humains. Je suis resté assez romantique de ce côté-là. On ne peut pas uniquement trouver des chemins en regardant nos semblables. C'est impossible. Il faut croire à d'autres chemins. Je suis vraiment arrivé au théâtre par la passion de l'observation des insectes sociaux, les termites, les fourmis, les abeilles. Quand j'étais jeune, j'étais passionné notamment par la trilogie de Maeterlinck où il a si bien décrit ces sociétés d'insectes qui ont presque organisé des modèles sociaux. C'est pour ça aussi que la compagnie s'est appelée Vivarium studio. Il y a une relation évidente entre l'observation et le théâtre. On a sous les yeux une tranche de vie prélevée, reconstituée, artificielle. Là, je fais un spectacle avec des taupes. Peut-être que dans deux ans je vais enfin réussir à faire un spectacle avec des branches ou des arbres. Ça va être ma destinée, je pense. Le prochain challenge : La nuit des arbres.
La nuit des taupes, c'est concilier l'inquiétude et la débrouillardise ?
Quesne : Résistance, débrouillardise, inventivité sont des mots toujours mêlés chez les minorités qui doivent trouver une manière d'exister. On peut aussi parler de débrouillardise dans l'art quand on fait avec ce qu'on a. Ma scénographie paraît toujours spectaculaire, mais je travaille avec des matériaux extrêmement pauvres. Et cette fois, c'est pire que d'habitude. Ça pourrait paraître grandiose alors que c'est du carton, du plastique, des bouts de bois, de la terre et des roches artificielles en mousse. Je milite pour un art fragile. Je suis ravi si le spectacle donne envie aux spectateurs d'être sur scène à la place des taupes. J'ai besoin que les mondes que je déploie donnent envie d'y être. Ce ne sont pas des petites utopies qui conduisent à activer les personnages que je mets en scène sur les plateaux. Les projets sont parfois très ambitieux même quand on voit des forêts de sacs plastique, de machine à bulles et de fumée. C'est important de montrer des voies et d'autres mondes possibles. Surtout en ce moment. Je crois assez à la recherche, à la tentative et à l'inachevé. Le processus m'intéresse plus que le résultat. Résultat, c'est un mot qui va très bien à l'économie, au capitalisme et à d'autres choses beaucoup plus graves et inquiétantes. On est dans une société qui a besoin de contrôle et une société qui a besoin de contrôle a besoin de résultats. Dans l'art, je n'en ai pas besoin. Je peux mener des expériences, j'essaie d'être à peu près libre.
LA NUIT DES TAUPES
6 > 9/5, Kaaitheater, www.kunstenfestivaldesarts.be
WELCOME TO CAVELAND!
19 > 28/5, Les Brigittines, www.kunstenfestivaldesarts.be
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