Le tramway des enfants : entre deux morts

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
20/02/2015
(© Christophe Urbain)

Le tramway des enfants piloté par Philippe Blasband et Pierre Sartenaer transporte de nuit, à travers la ville, des garçons et des filles en stand-by entre deux morts : la mort physique et la mort par l’oubli. Un sujet poignant mais pas forcément plombant.

L’un cumule les casquettes de romancier (De cendres et de fumées), de dramaturge et metteur en scène (Les Mangeuses de chocolat), de scénariste (Les Émotifs anonymes) et de réalisateur (Un honnête commerçant). L’autre est comédien, co-fondateur du collectif Transquinquennal et reprendra en mars aux Tanneurs It’s my Life and I do what I Want avec Guy Dermul. Philippe Blasband et Pierre Sartenaer se connaissent depuis l’adolescence - quand ils étaient tous deux élèves de l’écrivain Gaston Compère à l’Athénée Royal d’Ixelles - et ont saisi la chance de collaborer à nouveau que leur offrait Le Tramway des enfants, créé la semaine dernière dans le cadre de Mons 2015. Blasband a écrit, Sartenaer joue, ensemble ils ont signé la mise en scène. Et ensemble, ils se prêtent aux interviews.

Pourquoi ces enfants sont-ils réunis dans ce tramway ?
Pierre Sartenaer : Le tramway est une métaphore, une sorte de sas. Ces enfants resteront dans ce tram tant que quelqu’un se rappellera d’eux. Après, c’est comme une seconde mort, la mort par l’oubli. C’est aussi le négatif de la situation habituelle, des vivants qui pleurent les morts : ici, ce sont les morts qui se rappellent avec tristesse des vivants. Et ils n’ont pas envie de mourir une deuxième fois. Ils ont presque encore des réflexes de vivants qui ne veulent pas lâcher le morceau. Ils veulent rester vivants dans la mémoire.
Philippe Blasband : Je crois qu’on est tous hantés - et de plus en plus plus on vieillit - par des gens qu’on a connus, qui sont morts et dont on se souvient. On garde leur mémoire mais petit à petit, ils nous échappent, ils deviennent de plus en plus fantomatiques et au bout d’un moment, soit on les oublie complètement, soit ceux qui s’en souviennent meurent et ils sont oubliés. Je crois vraiment que l’être humain est entouré d’un réseau social et affectif et d’un second réseau fantomatique. La pièce est l’incarnation de ce réseau-là. Au fur et à mesure que les gens les oublient, les enfants du tramway s’oublient eux-mêmes et ils perdent petit à petit le langage.

Ces enfants sont accompagnés par un ange ?
Sartenaer : En effet, je suis un ange, une sorte de fonctionnaire de Dieu qui conduit le tram. En tant qu’immortel, l’ange a peu de compréhension par rapport aux hommes. Fondamentalement, il ne les comprend pas. Il n’est pas très aimable, il est toujours en train de leur faire des reproches. Les enfants ne veulent pas qu’on les oublie mais à un moment donné, l’ange les culpabilise en disant qu’il y a des gens qui souffrent à cause d’eux.
Blasband : C’est un ange très athée. Il n’est ni bon ni mauvais. Il n’est pas là pour aider les enfants ou pour les sauver : il est là pour les gérer. C’est vraiment une vision laïque de la mort, la mort n’est pas une punition. On meurt, c’est fini, mais les gens se souviennent de vous. Il y a aussi un rapport avec l’écriture : un écrivain espère en partie que son écriture lui survivra, mais à un certain moment, tout écrivain, même Homère, sera oublié. Vous avez beau faire ce que vous voulez, vous serez oublié.

Les quatre enfants du tramway ont entre 7 et 9 ans. Pourquoi cette tranche d’âge ?
Sartenaer : Ce sont des êtres qui ont vraiment été fauchés en pleine enfance, mais c’est aussi un âge où l’on se pose beaucoup de questions par rapport à la mort. Les premiers pourquoi existentiels apparaissent plus ou moins à ce moment-là.
Blasband : J’ai d’ailleurs souvent l’impression que toute la philosophie occidentale réunit des intuitions d’enfants que des adultes essaient de retrouver. L’image de la pièce m’est venue tout entière, d’un coup. Comme beaucoup de parents, le deuil des enfants, l’inquiétude par rapport aux enfants est quelque chose qui me travaille beaucoup. C’est une des angoisses les plus fortes.
Dans la note d’intention, vous écriviez que c’est un spectacle triste, mais drôle aussi...
Blasband : Oui, il y a des gags, les spectateurs rient. Les personnages n’ont pas d’apitoiement les uns envers les autres ou sur eux-mêmes. Ils sont simplement dans cette situation-là. La pièce est vraiment racontée au niveau des enfants. C’est leur regard à eux.
Sartenaer : Ils discutent de leurs morts, ils les comparent. Et puis il y a un humour de répétition : comme ils sont oubliés, ils oublient eux-mêmes et ils répètent certaines choses qui se sont déjà produites. Il y a alors une sorte d’ironie pour le spectateur, mais pas pour eux.

Vous avez choisi de confier les rôles des enfants à des comédiens dans la soixantaine et la septantaine. Pourquoi ?
Blasband : C’est une idée que j’ai piquée à Wojciech Ziemilski, un metteur en scène polonais qui avait fait une lecture d’une de mes pièces, Le village oublié au-delà des montagnes, en donnant les deux rôles les plus jeunes aux deux plus vieux comédiens. Ça donnait quelque chose d’assez étrange et intéressant. Tout comédien un peu aguerri sait plus ou moins bien jouer l’enfant, il faut juste faire attention de ne pas trop insister dessus mais par contre, il y a quelque chose d’involontaire qui sort de comédiens plus âgés. Ma grand-mère nous a quittés il y a deux ou trois ans et à la fin, même si elle avait toute sa tête, elle se fichait complètement de toute une série de codes sociaux et de politesses. Et je voyais alors très bien la petite fille qu’elle avait été.
Sartenaer : Il y a des points communs évidents entre les enfants et les personnes âgées. Une certaine vulnérabilité par exemple. Et puis, pour ces acteurs qui ont un tel bagage, je pense que c’est un plaisir de jouer des sentiments d’enfants, qui sont assez tranchés, bruts. Ces sentiments qui sont liés aux premières fois. Les enfants se prennent tout en pleine poire, tout est important. L’intensité est forte pour tout. L’essence même de l’acteur, c’est de transmettre des émotions et ici, ils peuvent s’y livrer franchement.

LE TRAMWAY DES ENFANTS • 26 > 28/2 & 3 > 7/3, 20.30 (4/3: 19.30), €6 > 20, Théâtre Varia, Skepterstraat 78 rue du Sceptre, Elsene/Ixelles, 02-640.82.58, www.varia.be

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