Les Aveugles: Maeterlinck revisité

Gilles Bechet
© Agenda Magazine
04/04/2013
(© Kurt Van der Elst)

En adaptant la pièce de Maeterlinck, le plasticien Patrick Corillon et le compositeur Daan Janssens ont créé une œuvre qui défriche de nouveaux territoires pour se rapprocher de l’univers de l’écrivain gantois.

« C’est le premier opéra de Daan », explique le metteur en scène Patrick Corillon. « C’est quelqu’un d’extrêmement jeune qui a un univers musical en lui, alors que moi je travaille de manière cartésienne en fonction d’un contexte. La première chose que j’ai dite à Daan, c’est “Je te suis”. J’aime énormément la musique contemporaine et je ne voulais pas venir avec mon monde. Il était clair qu’on ne pouvait pas garder tout le texte des Aveugles, sinon on aurait eu un spectacle de 3h 1/2, ce qui était pratiquement impossible. On a opté pour une forme courte en ne gardant que l’essence du texte. On a travaillé le texte ensemble. Moi avec mon monde plastico-littéraire et lui avec son monde musical. Et ça s’est vraiment très très bien entrecroisé. Pendant un an, on a pratiquement travaillé uniquement à partir du texte. C’étaient des moments absolument magiques, comme si on avait fumé beaucoup d’herbe avant ! On a fait confiance à ce qu’on voyait, ce qu’on sentait, ce qui n’est pas ma façon de travailler. L’idée, c’était vraiment de laisser libre cours à des intuitions, à des personnages, à rentrer dans une forme d’inconscient. C’était donc une expérience unique. »
(© Kurt Van der Elst)

Les Aveugles est votre premier opéra, cela représentait-il un défi supplémentaire ?
Daan Janssens : Je n’avais jamais écrit une pièce qui dépassait les douze minutes, alors qu’ici on arrive à 55 minutes sans pause. Quand on chante, il faut avoir une raison de le faire. On ne peut pas chanter ce qui est dit au théâtre. Quand on chante, tout devient plus lent. On a réduit le texte et on a laissé de côté toutes les références trop inscrites dans l’époque, notamment les éléments religieux. Quant on m’a proposé de participer à ce projet, j’ai lu quelques pièces courtes de Maeterlinck. J’ai beaucoup aimé Les Aveugles. Ça correspond très bien à ce que j’écris dans ma musique. L’atmosphère est créée par les mots et par le silence entre les mots. Patrick a changé ma vision de Maeterlinck et des Aveugles. Au départ, j’en avais une vision plus dramatique. Patrick m’a dit de ne pas trop me concentrer sur la parole des personnages. L’important c’est qu’ils attendent et essaient de tuer le temps. Patrick n’a pas mis un opéra en scène, il a créé une installation qui englobe tout. Parfois, on ne voit même pas les chanteurs. Et c’est tout à fait cohérent avec le texte. La musique participe à cette installation.

En plus de la mise en scène, vous interprétez aussi le texte. Est-ce la continuation de votre travail de performance ?
Patrick Corillon : Certainement. Au départ, j’ai cru pouvoir travailler en improvisation avec les chanteurs. Mais ils devaient intégrer les contraintes de la partition, qui est extrêmement complexe. C’est une forme de dentelle qui demande une hyper-conscience à tout moment si bien qu’ils m’ont amené à les considérer comme des objets. Et je le vois d’une façon positive, pas du tout méprisante. C’est avant tout une façon de placer les corps sur scène et dans l’espace. Ce qui m’a amené presque malgré moi à être encore plus proche de Maeterlinck pour qui un acteur est une marionnette. C’étaient des objets avec une âme. Je leur disais comment se déplacer et positionner la jambe. Pour eux, plus les indications étaient précises, plus ils pouvaient être dans le chant. Ils étaient des voix.

(© Kurt Van der Elst)

C’est un spectacle qui traduit votre vision du monde, mais est-ce pour autant un spectacle à message ?
Corillon : Qu’est-ce que ça veut dire aujourd’hui d’être au monde ? Quel rapport entretenons-nous avec la nature et avec nos images mentales ? J’y ai mis toutes ces bonnes intentions, mais elles restent à leur place. Mon moteur, c’est que je crois profondément que l’art peut changer le monde, mais je ne veux pas pour autant que cela construise le lien avec le public parce que je crois que ce qui fait qu’une œuvre d’art est une œuvre d’art, c’est qu’elle n’est l’illustration de rien du tout, que chacun peut y aller avec son monde.

Quelles intentions avez-vous mises dans votre musique ?
Janssens : J’ai voulu créer une dramaturgie. Au début, le texte passe d’un chanteur à un autre uniquement pour des raisons musicales et c’est seulement vers la fin qu’apparaissent des personnages avec une voix qui leur est propre. Mais, plus qu’une histoire, j’ai voulu créer une atmosphère. Dans Les Aveugles, j’aime beaucoup les silences. Les personnages attendent et deviennent de plus en plus inquiets. Dans la musique, il y a 10 minutes où il ne se passe rien et le public devient comme les aveugles sur le plateau. Ça demande donc un certain effort d’écoute au spectateur. Les Aveugles est un projet spécifique qui commence comme du théâtre chanté pour finir comme un opéra. On ne peut pas y chanter comme dans du Verdi. C’est un texte qui demande de nouveaux codes, de nouvelles idées. C’est ça que j’aime dans le travail de Patrick : il fait des choses qu’on n’avait encore jamais vues.

Les Aveugles • 12 & 13/4, 20.00, €30/40, De Munt/La Monnaie, Muntplein/place de La Monnaie, Brussel/Bruxelles, 070-23.39.39, www.demunt.be, www.lamonnaie.be

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