Les fantômes de la Route 66

Nurten Aka
© Agenda Magazine
21/09/2012
(© Saskia Vanderstichele)

Le dernier Murgia est arrivé. Ce jeune artiste « radical » propose un art total où se côtoient musique, cinéma, arts plastiques et théâtre. Son dernier trip : Ghost Road, une trilogie sur les villes fantômes. Tome I : l’Amérique.

Artiste en résidence au Théâtre National, Fabrice Murgia (Cie Artara) - jeune auteur (29 ans) de spectacles ultra-contemporains - s’est lancé dans une aventure au long cours : interroger la société à travers le thème des villes fantômes, désertées par le monde. Avant le tome II qui le mènera au Chili et le tome III à Fukushima, il présente son premier opus, créé avec les Gantois de LOD, spécialisés dans le théâtre musical. Ghost Road est ainsi signé avec le compositeur Dominique Pauwels. Plus belge que ça tu meurs : les images du spectacle, tournées en Amérique, sont concoctées par Benoît Dervaux, cadreur des frères Dardenne et auteur de documentaires. Enfin, last but not least : l’immense comédienne flamande Viviane De Muynck incarne, en français, le récit central d’une femme qui perd la mémoire. Une mémoire chantée par la soprano Jacqueline Van Quaille, plus de 70 ans et 45 ans de métier ! Après leur été américain, sillonnant la Route 66 (Arizona, Californie, Texas...), les voilà enfermés en salle de répétition. Rencontre avec Fabrice Murgia (à gauche sur la photo) et Dominique Pauwels (à droite).

Vous avez débarqué à l’improviste chez des Américains retirés du monde ?
Fabrice Murgia :
On est partis avec une équipe de tournage, Viviane De Muynck et Dominique Pauwels. Deux voitures et huit personnes. Je savais que des communautés d’individus s’étaient repliées dans le désert. Cela m’intéressait de trouver des individus en rupture avec le système, vivant en communion avec la nature dans des endroits arides, quasi invivables. On est partis dans ces villes fantômes où il n’y a rien à la ronde sur 250 kilomètres, avec de 10 à 80 habitants, un bar, un drugstore et une station-service rouillée… L’option du voyage était que Viviane De Muynck rencontre ces personnes qui vivent dans ces déserts. Le réalisateur de documentaires Benoît Dervaux avait l’expérience d’aborder les gens et de s’effacer derrière la caméra. Au final, cela ressemble au voyage d’une personne qui marche dans le désert et qui tombe sur ces individus. Ensemble, ils échangent un constat de vie.
Que vous disent ces gens ?
Murgia :
Ils n’aiment pas parler de leur vie d’avant. Nous avons rencontré des hippies mais aussi d’anciens prisonniers qui n’arrivent plus à s’intégrer dans la société, ou encore une dame qui avait eu honte d’avoir divorcé dans l’Amérique profonde. Nous avons aussi rencontré Marta Becket, une danseuse new-yorkaise qui s’est retirée dans la Vallée de la Mort, en Californie, où elle a construit un « opera house » avec des spectacles sans public ! Dans Ghost Road, quatre ou cinq personnes tracent les lignes dramaturgiques du spectacle.
Vous parlez de « désolation, d’aliénation et de vestiges rouillés » et en même temps de spectacle « serein »…
Murgia :
On lutte contre une espèce de désarroi de quelque chose qui n’est plus, mais en même temps, on parle de cette volonté de chercher la lumière, de continuer à exister. La sérénité vient de là. Ghost Road raconte des personnes qui vieillissent et se disent : «Je n’ai aucune possibilité de changer le monde tel qu’il est parce que ce n’est plus le mien. Le mien est mort. Je suis étranger et je n’ai pas d’autre choix que de participer. Mais comment ? »
Quel écart avec vos précédents spectacles, branchés Internet et jeune génération !
Murgia:
La pièce s’est construite avec Viviane. J‘ai mélangé mes préoccupations à ses envies de parole. Et je me dis : « Un jour, moi aussi, je ne reconnaîtrai plus ce monde ». La ville fantôme est un pont sur ces enjeux. Sur scène, la musique est essentielle et amène une autre théâtralité. Bien de l’époque, l’actrice se filme en direct, avec une caméra qui fait « voyeur ».
Quel sera l’univers scénographique ?
Murgia :
On a travaillé dans la couleur de l’ombre et des traces, avec des jeux de lumière sur des tiges métalliques ou encore des vidéos projetées sur des fumées. C’est un espace mental, avec des fantômes sur scène. La fin sera très lumineuse… Je n’en dis pas plus.

(© Saskia Vanderstichele)

Dominique Pauwels, vous avez imaginé Ghost Road avec des arias contemporaines. Pourquoi ?
Dominique Pauwels :
J’ai travaillé sur l’idée de l’empreinte et l’ombre qui sont les restes du passé. J‘ai métaphorisé ce thème dans un personnage qui est en train de perdre la mémoire. Une mémoire incarnée par la soprano Jacqueline Van Quaille, qui porte les traces de sa longue carrière. J’ai composé, avec les arias de l’Histoire, les étapes d’une personne qui prend conscience de la perte de sa mémoire : le pourquoi, la détresse, le déni, l’acceptation, la solitude, l’adieu… Autant de nœuds comme points de départ à la composition musicale. Je suis donc parti des célèbres arias de Puccini, Verdi, Donizetti qui imprègnent notre conscience collective, je les ai retravaillées et j’ai composé une nouvelle musique contemporaine, sans fioriture. Mais on reconnaîtra les arias, comme par exemple Lucia di Lammermoor de Donizetti ou Vissi d’arte de Puccini.
Une musique déconstruite sur des arias ?
Pauwels :
Elles sont musicalement mises dans un autre contexte. C‘était le grand défi. On est dans l’impression d’une musique contemporaine plus atonale avec des arias classiques, de grandes émotions.
Vous avez aussi créé une composition à partir de… vent !
Pauwels :
Dans le silence de ces villes fantômes, le vent est constant. Il sera omniprésent, s’accumulant dans une tension ascendante. J’ai imaginé une installation sonore qui projette le son dans une défragmentation, comme une implosion de la mémoire.

Ghost Road • 25/9 > 6/10, 20.15 (wo/me/We: 19.30), €11/16/20, Théâtre National, 
boulevard E. Jacqmainlaan 111, Brussel/Bruxelles, 02-203.53.03, www.theatrenational.be

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