Les Justes : Camus à Ramallah

Gilles Bechet
© Agenda Magazine
01/12/2013
Après le choc d’un voyage à Ramallah, le comédien belge Mehdi Dehbi décide de monter Les Justes en arabe. Une confrontation des mots de Camus avec la réalité palestinienne pour encourager le spectateur à comprendre avant de juger.

Une bombe explose et la raison s’effondre. Dans les fracas de l’actualité brûlante, on oublie parfois que notre époque n’a pas inventé le terrorisme. En 1949, Albert Camus publiait Les Justes, une pièce racontant les parcours de cinq terroristes qui se réunissent à Moscou en 1905 pour planifier un attentat à la bombe contre le grand-duc Serge, oncle du tsar. Touché par ce texte qu’il a découvert à 16 ans, le comédien belge Mehdi Dehbi le monte avec un groupe de jeunes acteurs arabes. En confrontant Les Justes à la réalité palestinienne, Mehdi Dehbi plonge le spectateur dans la logique du désespoir pour ouvrir son regard sur une certaine vérité et surtout à une quête de plus d’humanité.

Pour votre première mise en scène, vous placez le spectateur au centre du dispositif.
Mehdi Dehbi : C’est ma première mise en espace. Je l’ai fait parce que c’est un texte qui me touche beaucoup et que je voulais monter dans cette configuration-là et avec ces gens-la. Dès le départ, j’ai eu envie de ne pas mettre de barrière entre les comédiens et les spectateurs. Je voulais rassembler plutôt que diviser et faire comprendre au spectateur que s’il avait dû prendre physiquement la place de l’acteur, il aurait pu rendre la même parole. Placer le spectateur parmi les acteurs, c’est le mettre en position de comprendre et pas de juger. On est tous ensemble. Il y en a juste cinq d’entre nous qui connaissent mieux leur texte.
Comment vos acteurs ont-ils réagi à ce texte ?
Dehbi : Ce texte résonne évidemment très fort pour eux. Une actrice, syrienne, est maintenant exilée de son pays. Un autre acteur est né dans un camp de réfugiés. Il avait le choix entre prendre les armes et faire du théâtre, il a choisi le théâtre. Une des difficultés était de plonger dans ce texte des gens qui sont au cœur d’un conflit. Parfois, c’est trop proche. Au départ, mon intention était de jouer le spectacle là-bas, mais je me suis vite rendu compte que ça revenait à leur raconter leur quotidien. Ce n’est pas le but. Avec ce spectacle, j’ai envie d’élever les consciences et de rassembler les gens grâce à la force et la magie du théâtre.

C’est aujourd’hui une provocation d’affirmer que l’on peut être « juste » et terroriste ?
Dehbi : Camus a choisi à dessein d’utiliser le terme terroriste. En Belgique ou en France, au mot « terroriste », les trois quarts des gens accolent le mot « arabe ». En Tunisie, il y a un type qui s’est fait sauter sur une plage sans tuer personne et la télé a fait une émission sans y aller, sans chercher à expliquer la réalité locale. C’est scandaleux, c’est vulgaire. Quand j’ai dit que j’allais monter Les Justes avec des acteurs arabes, j’ai entendu des choses incroyables et j’ai essuyé plusieurs refus.

La pièce n’encourage pas pour autant le terrorisme...
Dehbi : Chaque personnage présente un profil terroriste différent et parfois divergent. Certains sont prêts à tuer, d’autres ne veulent pas s’y résoudre. La pièce s’achève dans un grand désespoir pour conclure que la mort d’un homme n’est pas une issue. C’est une façon de rendre compte de la folie de nos actions. À partir de là, on peut se calmer un peu.

LES JUSTES • 3 > 7 & 10 > 14/12, 20.30, €5/7,50/10, Théâtre Les Tanneurs, Huidevettersstraat 75-77 rue des Tanneurs, Brussel/Bruxelles, 02-512.17.84, www.lestanneurs.be

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