Interview

Ma mère rit, un texte intime de Chantal Akerman aux Tanneurs

Gilles Bechet
© BRUZZ
13/09/2016

Chantal Akerman ne tournait pas seulement des films, elle écrivait aussi des textes. Comme celui sur les quatre mois passés avec sa mère malade. Natacha Régnier prête sa voix à ce récit qui nous rapproche de la cinéaste.

La comédienne belge Natacha Régnier, qui a tourné dans Demain on déménage, a décidé, avec la complicité du metteur en scène David Strosberg de porter à la scène de larges fragments du dernier récit autobiographique de Chantal Akerman.

Deux ans avant sa disparition, la cinéaste racontait dans un récit autobiographique les quatre mois passés avec sa mère qui attendait une opération. Elle y capte les leçons de vie d'une femme en sursis. Qui a survécu et qui survivra encore. Elle s'attarde avec tendresse sur ces instants où sa mère rit, comme pour repousser la faucheuse. Elle se laisse glisser dans ses pensées, revient sur des moments de sa vie, parfois proches, parfois lointains. Elle tisse son écriture entre observation du quotidien, souvenirs d'enfance, incompréhensions et emballements de la vie amoureuse ou matins à New York. Même si elle y parle peu de cinéma, ces écrits éclairent et prolongent une œuvre où les liens entre l'artiste et sa mère occupent une place primordiale. Son regard est tantôt léger, tantôt détaché et parfois aussi, elle semble complètement perdue avec une touchante sincérité.

Le rire est un moment paradoxal, c'est une détente mais aussi un état où on se dévoile.
Il y a sûrement de ça, mais c'est aussi une sorte de dignité. Avec l'histoire de sa mère qui a traversé l'horreur des camps, il y a l'envie de savourer la vie parce qu'on sait trop qu'elle peut être épouvantable. Quand on se relève de quelque chose comme ça, chaque instant est d'autant plus précieux. L'envie et le besoin de rire, c'est comme respirer.

Dans son écriture, on passe de la légèreté à une certaine détresse, voire désespérance.
Oui forcément, ce sont les symptômes de la maniaco-dépression dont elle souffrait. Mais il y a aussi une force incroyable, une vitalité à créer des choses, à affirmer un univers singulier qui va très très vite et va très loin. Son traitement de la temporalité ramène à quelque chose d'intime. On n'a pas besoin d'être maniaco-dépressive pour avoir des moments de questionnements sur la vie, et s'interroger sur ce qui se passe autour de soi. Tout le monde peut avoir des moments de fatigue et d'autres plus énergiques. Cette maladie le marque sans doute plus fort, mais en même temps, il y a tellement de pudeur et de tendresse que malgré tout, c'est universel. On peut par moments sentir la maladie, mais ce n'est jamais pesant, car son approche et son écriture sont très tendres.

Elle attache beaucoup d'importance au parler vrai et à la notion de vérité qui chez un créateur apparaissent souvent de manière oblique.
J'ai toujours aimé raconter des choses vraies de manière déguisée. J'adore maintenir une forme de pudeur et en même temps laisser apparaître des éclats d'impudeur absolue. Quand votre métier consiste à jouer, à être filmée, à chanter, on transmet forcément des choses très profondes sans nécessairement faire le tri entre la part de construction d'un personnage, ce qui vient du récit de l'autre et ce qu'on apporte d'intime soi-même. Dans une expérience comme celle-ci, il y a beaucoup de moi qui passe, même inconsciemment, et en même temps, je suis totalement au service de l'univers d'un auteur, ici Chantal Akerman, c'est quelque chose qui me stimule énormément.

La vie d'un artiste éclaire-t-elle nécessairement son œuvre ?
Chez Chantal, le rapport intime qu'elle a avec sa mère éclaire bien des choses. On peut le voir dans son dernier film No Home Movie que je trouve très beau. Maniaco-dépressive, elle avait une grande fragilité. Et visiblement, à un moment, elle n'a plus eu la force de continuer. Dans son écriture, elle revenait sur la trajectoire de sa mère et l'impact de la Shoah, elle creusait les liens qui se tissaient avec sa propre vie et ses états de haut et bas. En parlant, même fugacement, de ses moments de création et de ses moments de non-création, elle évoque énormément de choses.

Vous avez tourné Demain on déménage avec elle. Aviez-vous envie de partager sa personne au-delà de son œuvre ?
Oui, mais d'abord je voulais partager son écriture que je trouve très belle. C'est quelqu'un que j'aimais énormément, et avoir ses mots dans ma bouche est une manière de me rapprocher d'elle d'une autre façon, de continuer à la faire vivre et de transmettre sa pensée.

En tant que comédienne adoptez-vous une approche particulière pour une lecture ?
Le travail de comédienne est assez large, les lectures, le théâtre, la chanson, le cinéma, ou la télé sont des endroits d'exploration qui partent de la même fonction : essayer de transmettre des émotions des mots, de transmettre un univers et essayer de donner ce qu'on trouve le plus juste en allant chercher dans ce qu'on est. Et ce qui est vraiment intéressant, c'est aussi d'avoir le regard d'un metteur en scène ou d'un réalisateur pour transcender ces deux visions et élargir les choses.

Une lecture demande une autre attention de la part du public, cela change quelque chose pour la comédienne ?
J'ai l'impression que le public fait ce dont il a envie. Il a forcément envie de se divertir, d'être ému, de rêver, d'être transporté quelque part. Je pense que la lecture est sans doute plus près du conteur. J'ai assisté plusieurs fois à des lectures et c'est évidemment une forme plus intimiste mais personnellement j'ai du mal à scinder toutes les formes différentes d'expression.

Dans le cinéma de Chantal Akerman, qu'est-ce qui vous parle le plus ?
Sa forme audacieuse. Elle n'a absolument pas peur des hors-champ, de raconter les choses dans une temporalité qui oblige un peu à arrêter le cours du temps et à ne pas être dans la précipitation.

Et quel est le film qui vous touche le plus ?
Je reste encore sous l'influence de son tout dernier No Home Movie qui m'a vraiment bouleversée et j'y pense très souvent.

Ma mère rit, 17 & 18/9, Théâtre Les Tanneurs

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