Philippe Blasband adapte un roman inexistant

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
08/01/2014
Avec Le jeu des cigognes, l’écrivain-scénariste-réalisateur-metteur en scène bruxellois d’origine iranienne Philippe Blasband signe l’adaptation théâtrale d’un roman qui n’existe pas, retraçant quatre existences entremêlées, des années 30 à aujourd’hui. Avec comme décor les polders, là où « rien n’arrête le ciel ».

Ce qui est bien dans cette pièce-là », explique Philippe Blasband, « c’est qu’elle pourrait être jouée par des enfants, par quatre très jeunes comédiens ou par quatre très vieux comédiens ». En l’occurrence, il s’agit de Magali Pinglaut, Benoît Verhaert, Laurence Vielle et Didier de Neck, qui prend aussi en charge la mise en scène en binôme avec Jos Verbist, figure bien connue du théâtre flamand. Alors que cette belle équipe donne chair au verbe du Jeu des cigognes, on lève le voile avec son auteur.

Vous avez une formation de monteur au cinéma, vous travaillez beaucoup comme scénariste, qu’est-ce qui vous a mené au théâtre ?
Philippe Blasband : Dans le monde du cinéma, les choses sont compliquées, ça demande beaucoup d’argent, les projets prennent des années... À un certain moment, j’avais envie que les choses se concrétisent et j’ai voulu travailler avec des comédiens. J’ai commencé à écrire pour le théâtre entre autres sous l’impulsion d’un ami de lycée, le comédien Pierre Sartenaer, qui fondait à l’époque la compagnie Transquinquennal. Avec l’idée assez absurde que le théâtre était du cinéma vivant. Je me suis rendu compte que je me trompais fortement et que le théâtre est quelque chose de tout à fait différent. Ce qui peut fasciner quelqu’un qui a une pratique de cinéma, c’est qu’en théâtre, on peut tout faire exister dans l’imagination du spectateur. Au cinéma, si on veut un décor, il faut le construire, alors qu’au théâtre, on peut l’évoquer.

Quelles différences y a-t-il entre l’écriture d’un scénario et l’écriture d’une pièce ?
Blasband : Un scénario n’est pas du tout une œuvre littéraire, peut-être moins qu’un rapport de police ou qu’une décision de justice, potentiellement beaucoup moins qu’un article de journal. Un scénario, c’est d’abord une structure, une hypothèse a priori de la structure du film. Le scénario est un objet qui doit disparaître. Une fois que le film est tourné, le scénario n’a plus de valeur. C’est une étape. Mais il faut savoir écrire, même si ce n’est pas littéraire. Au cinéma, les dialogues sont une des choses les moins importantes alors qu’au théâtre, la parole occupe une place qui est beaucoup plus grande. On peut faire du théâtre muet ou avare en paroles, mais c’est vraiment aller contre sa nature même : des gens qui parlent sur une scène. Par certains aspects, le théâtre est parfois beaucoup plus proche d’un discours politique devant une assemblée. Ce n’est pas du cinéma vivant. J’aime alterner pièces et scénarios. En tant que scénariste, on est un des techniciens au service du réalisateur. C’est intéressant, ça vous fait sortir de vous-même. Au théâtre, en tant qu’auteur, vous avez un pouvoir énorme. Même s’il y a un metteur en scène, des comédiens, etc., l’auteur occupe quand même une place centrale.

Quel a été le point de départ de l’écriture du Jeu des cigognes ?
Blasband : Il y en a plusieurs. Je me suis dit que ce serait intéressant de faire une adaptation de roman mais sans écrire le roman : faire une pièce qui soit adaptée d’un roman qui n’existe pas, ou qui existait quelque part dans ma tête mais que je n’avais pas envie d’écrire. Le jeu des cigognes a une ampleur romanesque. Ça raconte l’histoire de quatre vies, de quatre octogénaires qui sont plus ou moins amis, des années 30 à aujourd’hui. C’est une pièce avec énormément de flash-back. Ce n’est que ça : des retours en arrière et des retours en avant. C’est une des raisons pour lesquelles je suis très content de ne pas devoir la mettre en scène moi-même (rires). Un autre point de départ, c’est simplement quelqu’un qui a aimé quelqu’un d’autre pendant des années et tout ce qu’il a pu faire, c’est toucher le bout de ses doigts. L’idée était aussi d’avoir une pièce qui se déroule en grande partie dans les polders. C’est différent d’une région à l’autre, mais les terres reconquises sur la mer sont toujours très étranges. Ne fût-ce que parce que le ciel prend une place énorme. Il n’y a rien qui arrête le ciel.

Ce jeu des cigognes, c’est quoi exactement ?
Blasband : Un des personnages a un problème qui est sans doute neurologique. Une des façons de guérir ce problème, c’est par un jeu. Ce qui est tout à fait classique. On fait jouer les enfants avec un handicap neurologique pour qu’ils arrivent à développer toutes sortes de capacités sociales, cognitives. Ce personnage-là apprend petit à petit à communiquer et à comprendre comment gérer le lien social grâce à ce jeu, qui est incompréhensible. Les comédiens ne comprennent absolument rien, et moi non plus d’ailleurs.

Et pourquoi les cigognes ?
Blasband : Comme beaucoup de gens avec des problèmes neurologiques, ce personnage a des fixettes. Elle aime bien les classifications et elle est fascinée par les cigognes. Dans la réalité, c’est une des stratégies d’évitement. Les enfants ont déjà une tendance à ça. Connaître tous les noms des Pokémon, par exemple... Quand vous n’arrivez pas à comprendre le monde, vous essayer de vous créer des petits mondes, que vous contrôlez. On fait tous ça. La relation entre les différents personnages se crée à partir de ce jeu. Ils deviennent amis, certains se marient, puis divorcent... Ça parle aussi de la guerre 40-45, de la décolonisation du Congo. C’est un peu, en filigrane, une histoire de la Belgique au XXe siècle. Mais ce n’est pas un catalogue de tous les événements historiques belges. C’est vrai que présenté comme ça, ça a l’air difficile à mettre en scène, mais on est ici au théâtre, alors il suffit de dire.

LE JEU DES CIGOGNES • 9/1 > 22/2, 20.30, €8/22/25, Théâtre Le Public, rue Braemtstraat 64-70, Sint-Joost-ten-Node/Saint-Josse-ten-Noode, 0800-944.44, www.theatrelepublic.be




LES QUATRE VIES DE PHILIPPE BLASBAND
Blasband cultive simultanément ses différents métiers, comme un potager, en alternant les positions.

(© Frédéric Fontaine)

Le romancier
Son premier roman, De cendres et de fumées, sorti chez Gallimard en 1990, a tout de suite fait mouche et obtenu le prix Victor Rossel. Il a été suivi notamment par Le livre des Rabinovitch, Johnny Bruxelles et plus récemment par Soit dit entre nous, écrire m’emmerde, un abécédaire ironico-autobiographique.

Le scénariste
Son ami Frédéric Fonteyne (Max et Bobo, Une liaison pornographique, La Femme de Gilles, Tango libre), Sam Garbarski (Le Tango des Rashevski, Irinia Palm, Quartier lointain, adaptation du manga culte de Jiro Taniguchi) et Jean-Pierre Améris (Les Émotifs anonymes), entre autres, ont fait appel à ses talents de scénariste.

Le réalisateur
Le premier de ses quatre longs métrages, Un honnête commerçant, mettait face à face Philippe Noiret, Benoît Verhaert et Yolande Moreau. La Couleur des mots a pour personnage principal une jeune femme dysphasique, un trouble du langage dont le fils aîné de Blasband est atteint.

L’homme de théâtre
Blasband écrit pour le théâtre (L’Invisible, Le Village oublié d’au-delà des montagnes), met en scène (Les Sept Jours de Simon Labrosse de Carole Fréchette) et fait parfois les deux (Les Mangeuses de chocolat, Pitch, Les Témoins).

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