Sam Touzani : la métamorphose

Estelle Spoto
© Agenda Magazine
17/10/2015
(© Danny Willems)

Transformé ! En travaillant avec Isabella Soupart pour C’est ici que le jour se lève où il partage la scène avec une danseuse, Sam Touzani a subi une métamorphose positive en bien des points. « Avec Isabella, j’ai même appris à marcher ! »

L’un est comédien, metteur en scène, auteur et homme de télé. L’autre est à la fois actrice, danseuse, chorégraphe et réalisatrice. Lui, c’est une pile électrique, une source inépuisable d’énergie qui propulse ses phrases en rafales. Elle, c’est le calme et la douceur, un discours posé. Sam Touzani et Isabella Soupart sont comme le yin et le yang : opposés mais complémentaires. Ils font fusionner leurs univers artistiques pour C’est ici que le jour se lève, un spectacle qui parle d’amour et des blessures de la trahison.

Le point de départ de ce projet, c’est un texte que vous avez co-écrit avec Rolland Westreich. Qu’est-ce qui a motivé son écriture ?
Sam Touzani : On vient d’écrire un roman ensemble Rolland et moi, Roman pour un film à venir. Dans notre façon de travailler en commun, il y en a toujours un qui est à la plume pendant que l’autre travaille les personnages et la dramaturgie. L’un écrit et les deux conçoivent l’histoire. Dans le roman, c’était lui qui était à la plume, pour ce spectacle, c’était moi. J’avais envie de travailler sur des questions importantes, mais je n’étais alors pas bien du tout, je vivais une terrible rupture, la fin d’un amour que j’avais vécu dans ma chair, que j’avais idéalisé. J’étais en plein dans le pathos, la souffrance. C’est Rolland qui m’a poussé à écrire sur cette rupture, en disant que tout le reste viendrait de lui-même. Et il avait raison. Les mots sont sortis par vagues, ils m’ont envahi. Je me suis noyé dans les mots, dans une espèce de très longue complainte. Parce que c’est un magnifique statut que celui de victime. Se plaindre, ça fait du bien, alors on va pleurer chez tout le monde. Quand je relis la toute première version du texte, c’est tout simplement insupportable, mais je devais passer par là, il fallait que ça sorte. C’est ici que le jour se lève est l’histoire d’une rupture entre un homme et une femme, entre Karim, d’origine marocaine, et Klara, qui est flamande, avec tous les enjeux de cette rupture et notamment la question de l’identité : qui est Klara ? qui est Karim ? comment faisons-nous pour vivre un amour lorsque nous sommes issus d’horizons culturels totalement différents ? qu’est-ce qui fait que ça resurgit ? quand est-ce qu’on prend son autonomie ? est-ce que cette femme est pour la création, pour la procréation ? C’est devenu une histoire beaucoup plus universelle. En tout cas, c’est plus facile pour moi d’en parler après le travail mené avec Isabella. Isabella nous a fait comprendre ce que nous avions écrit Rolland et moi parce qu’elle est allée à l’essentiel.

Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Touzani : Je connais Isabella depuis douze ans, mais on n’avait jamais travaillé ensemble. On s’est retrouvés sur plusieurs projets mais qui n’étaient ni les siens ni les miens. Nous avons joué tous les deux dans le film Vertige de la page blanche de Raoul Ruiz et c’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à m’intéresser à son travail. C’est vraiment une rencontre humaine et artistique. Isabella est une des rares à se situer à la lisère entre le texte, le mouvement et le son. Elle a un véritable univers. Ces dix dernières années, j’ai fait essentiellement des seuls en scène et chez Isabella, je suis venu chercher quelque chose dont je n’avais pas l’habitude, une autre manière de travailler. Sa matière première, c’est l’être humain, elle compose d’abord avec la matière humaine, qu’elle arrive à transposer en une espèce de grande partition générale. Moi qui suis plein d’énergie et plutôt solaire, Isa me ramène à de la sobriété, à de l’authenticité. Elle me rapproche de mon centre de gravité, de quelque chose de plus juste, me semble-t-il. Elle m’apaise énormément. Isabella m’ancre, elle me donne des racines et des ailes. Parce qu’elle me permet d’être davantage moi-même, avec des parties de ma personnalité, ou de ma voix, ou de mon jeu que je ne soupçonnais pas, parce qu’elle est ultra sensible. Et en plus, elle ne viole jamais psychologiquement l’autre, elle arrive toujours avec beaucoup de douceur. Mais en même temps, elle est intransigeante, elle est radicale dans ses choix. Elle peut faire des compromis mais elle ne fait aucune compromission. (photo © Saskia Vanderstichele)

Quelle a été votre réaction quand Sam vous a proposé de le mettre en scène dans ce texte ?
Isabella Soupart : J’ai trouvé le texte magnifique, mais je me suis demandé comment j’allais entrer là-dedans avec mon propre univers. J’avais peur parce que tout était déjà construit, tout était résolu, dit, expliqué. Alors que moi j’aime bien les espaces de silence dans les écritures, parce que c’est là que je peux entrer. Ça a été pour moi un grand questionnement. Mais Sam est tellement convaincant, il fait les choses avec tellement de cœur que je me suis laissé gagner par son enthousiasme.

C’est vous qui lui avez proposé de partager la scène avec une danseuse ?
Soupart : La présence d’une seconde interprète femme est venue très vite. Sam a fait des one man shows pendant des années et il voulait passer à autre chose, il souhaitait aborder le travail de l’acteur sous un autre angle. Je me suis dit que la meilleure façon, c’était de le confronter à un autre acteur sur scène, ce qu’il avait déjà fait avec des hommes, mais l’idée ici était de mettre une femme et un homme en présence. J’ai choisi de travailler avec Eléonore Valère-Lachky, une danseuse formidable qui a déjà collaboré notamment avec Jan Lauwers et Wim Vandekeybus. Il fallait que je trouve quelqu’un à la mesure de Sam dans le sens où Sam – ça se voit directement – a une personnalité très extravertie, très
volubile, il remplit la salle à lui tout seul. Donc il fallait quelqu’un qui puisse tenir, qui ne disparaisse pas sous le plancher. Eléonore a cette personnalité, cette force et en même temps une grande gentillesse et une grande humilité. Petit à petit, j’ai essayé de voir comment ces deux corps, ces deux personnes résonnaient ensemble. On a d’abord composé le travail du corps, la gestuelle. Le texte est venu après. Je ne pouvais pas aborder le texte tel quel. Au fur et à mesure, en les regardant bouger, j’ai extrait des fragments du texte, tout en suivant sa ligne et en respectant absolument tous les mots. J’ai mis de côté tout ce qui me semblait plus littéraire, plus lyrique, pour que l’on se concentre vraiment sur la relation entre Karim et Klara et sur ce qu’elle sous-tend comme sous-texte.
Touzani : Le texte de départ comptait 7.500 mots, aujourd’hui on est à 3.500. Mais ça ne me pose aucun problème, je ne suis pas spécialement attaché aux mots, je veux surtout que les choses aient du sens et fonctionnent. C’est vrai que ce qu’Isabella fait résonner par le jeu, ça ne sert à rien de le répéter 36.000 fois dans les mots. Isabella travaille par strates, par couches et c’est ça qui est intéressant. Le corps dit quelque chose, le texte dit autre chose, la musique encore une troisième chose... et elle met tout en rapport tout le temps. Rien n’est laissé au hasard. Elle travaille la voix, la tessiture, l’accent tonique, la manière dont le texte se projette, à quel moment, la manière de marcher... toujours dans une corporalité. Je peux dire qu’Isabella m’a appris à marcher. Jusque-là, je ne savais pas ce que c’était de véritablement marcher sur un plateau. Elle passe son temps à remplir une espèce de soubassement, de terreau qui va servir de base pour créer un nouveau langage corporel. (photo © Danny Willems)

Sur quels points en particulier avez-vous travaillé avec Sam ?
Soupart : Sam a un corps très planté, très construit. Il a fallu que je trouve la source où puiser pour qu’il devienne un peu plus malléable dans son corps. Sam, souvent, est plutôt hyper tendu. Il fallait d’abord trouver le bon niveau de tension. Je lui ai demandé de se souvenir de ce qu’il pratiquait comme sport quand il était enfant. Il a fait beaucoup d’arts martiaux, du karaté, du taï-chi, de l’aïkido. On est revenu à ça, à des choses très lointaines mais qui étaient sûrement encore inscrites dans son corps. L’idée était d’utiliser cette qualité de mouvement des arts martiaux, assez lente, ample, maîtrisée, avec un état très calme, intériorisé. Et ça a complètement changé sa corporalité. Les gens qui nous ont vus travailler disent que c’est hallucinant comme transformation. Sam est beaucoup plus posé. Même son regard est différent. Je suis actrice au cinéma et dans beaucoup de films, le regard est très important. Mais souvent, au théâtre, le regard des acteurs est vide, figé. Je pense que même au théâtre, même si on est loin des spectateurs, beaucoup de choses passent par les yeux. C’est intéressant de travailler avec des gens comme Sam qui ont déjà toute une expérience, un style qui leur appartient, qu’ils se sont construit, et de voir ce qui peut se passer si on les emmène ailleurs. Et Sam a cette générosité. Je pouvais lui demander de changer de direction et il était d’accord. Beaucoup d’acteurs qui ont déjà un grand parcours n’acceptent pas toujours parce que c’est fragilisant. C’est formidable que Sam se soit lancé là-dedans. Si les gens en général pouvaient accepter ce questionnement sur eux-mêmes, cette possibilité de s’ouvrir, de se transformer ou de percevoir les choses différemment...
Touzani : J’accepte de lâcher prise parce je suis totalement en confiance avec Isa. La seule angoisse que j’ai, c’est de ne pas être à la hauteur de ce qu’elle exige de moi. C’est tellement fort et tellement loin de moi dans la méthode, dans le processus. Isabella est comme une espèce d’accélérateur à la compréhension du monde, de mon monde, de moi. C’est un magnifique cadeau qu’elle me fait, sur le plan artistique et humain.

C’EST ICI QUE LE JOUR SE LÈVE
22/10 > 31/12, Théâtre Le Public, www.theatrelepublic.be

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