Sidi Larbi Cherkaoui : danse à 4 temps

Patrick Jordens
© Agenda Magazine
17/09/2013
(© Koen Broos)

Le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui a tiré quatre duos de différentes productions, de 2008 à 2012, et les a réunis dans un spectacle à part entière. On pourrait appeler ça une sorte de « best of » où le pas de deux prend chaque fois une nouvelle forme. « Je voulais placer différentes couleurs du duo les unes à côté des autres », déclare-t-il.

Pas facile de coincer Sidi Larbi Cherkaoui pour une interview. Il semble être plus rapide que son ombre, avec un agenda rempli à ras bord qui l’emmène aux quatre coins du monde pour danser ou chorégraphier. Lorsque nous l’avons en ligne - et qu’il répond avec un enthousiasme sans borne à nos questions - il revient à peine d’un mois de résidence en Chine. C’est là qu’il met pour le moment la dernière main à sa toute nouvelle production, Genesis. À voir chez nous au début de l’année prochaine. Mais avant cela, il y aura donc 4D, un spectacle-compilation de pièces de ces quatre dernières années.

Peut-on dire que 4D répond à un besoin de faire le bilan ?
Sidi Larbi Cherkaoui : Non, ce n’est pas comme ça que 4D est né. Après le duo Faun, que j’ai réalisé en 2009 sur une commande du Sadler ‘s Wells, à Londres, j’ai senti le besoin de travailler plus souvent à ce « mini-niveau ». Seulement avec deux danseurs et avec assez d’espace pour poursuivre intensément le travail sur l’épurement des mouvements. Et quand je me penche rétrospectivement sur des spectacles de plus grande échelle comme Origine ou Babel, je remarque toujours la grande puissance de ce moment où il n’y a que deux personnes sur scène. Je ressens en plus une fascination pour la relation homme-femme. C’est sans doute lié à mon passé, à mon regard sur mes propres parents qui étaient régulièrement en conflit. Le duo est donc certainement un exutoire pour ce que je suis en tant qu’artiste.
(© Koen Broos)

Est-ce que, dans ce sens, les duos veulent mettre chaque fois à nu une autre facette de la relation homme-femme ?
Cherkaoui : Oui, on pourrait voir les choses comme ça. Pour chaque duo, j’ai pris un point de départ différent et de cette façon, on arrive automatiquement à un autre impact, mais aussi à un autre langage au niveau du mouvement. Si on prend le duo Sin, tiré du spectacle Babel, le point de départ était là le fait que l’un veut s’aventurer sur le territoire de l’autre, peut-être le menacer. Cela implique automatiquement de la tension et de l’agression. C’est aussi devenu un duo très physique et violent. Ce n’est peut-être pas un hasard parce que je l’ai créé avec le chorégraphe Damien Jalet et que nous étions, chacun en tant qu’artiste, à la recherche de notre propre voix à l’intérieur de cette chorégraphie commune.

À cet égard, Faun, sur le célèbre morceau de Claude Debussy Prélude à l’après-midi d’un faune, semble être le duo le plus harmonieux...
Cherkaoui : Le point de départ de celui-là, c’était « l’espoir ». Quand il y a une ouverture pour se découvrir, alors on arrive à quelque chose de mimétique. Les danseurs vont essayer les mêmes mouvements et découvrir en même temps leur propre sensualité. La première version du Faune de Vaslav Nijinski, créée il y a 100 ans, avait une forte connotation sexuelle et a alors causé pas mal de scandale. Avec mon Faun, je voulais plutôt travailler comme un conciliateur. Je veux dire : « sex doesn’t have to be dirty, because it isn’t » (« le sexe ne doit pas être sale, parce qu’il ne l’est pas », NDLR). J’ai essayé de montrer le pouvoir d’attraction du sensuel et du sexuel, une quête explicite de la fusion sans que ça ne doive être vulgaire ou agressif. Les gens ont parfois du mal à regarder l’intimité des autres. À notre époque, on envisage l’harmonie presque avec méfiance par définition. C’est lié au côté très compétitif de notre éducation : on ne nous apprend pas à être heureux pour les autres, on ne peut penser qu’à son propre bonheur. Et si on n’y parvient pas soi-même, on préférerait prendre celui de l’autre.
L’oeuvre de Debussy est interprété en live par l’orchestre de chambre de La Monnaie et les autres morceaux sont aussi joués en direct. Il s’agit en général de musique ou de chants du Japon, de Corée, d’Inde. Vous vouliez créer une sorte de tension entre le côté physique, parfois animal du visuel et le côté plutôt méditatif du son ?
Cherkaoui : Honnêtement, je n’ai jamais envisagé les choses comme ça, mais vous avez raison. En premier lieu, je voulais simplement travailler avec des musiciens dont je connais et admire le travail et avec qui j’aime collaborer. En fait, ça aurait pu aussi déboucher sur de la polyphonie flamande si je connaissais des musiciens de ce genre-là. Mais là encore, il y a l’aspect méditatif. Même la musique classique de Debussy porte cela en elle : elle présente une approche orientale parce qu’elle n’aboutit jamais à un vrai point final. J’ai mélangé la musique de Debussy avec les sons du compositeur contemporain Nitin Sawhney, afin de surprendre le public. Pour provoquer un dialogue aussi sur le plan musical et pour faire écouter autrement cette célèbre partition de Debussy.

Votre compagnie, Eastman, a été désignée au début de cette année comme ambassadrice culturelle d’Europe. Qu’est-ce que ça implique ?
Cherkaoui : Nous recevons plus de moyens grâce à l’Europe, ce qui est certainement un soulagement. Cela nous permet de travailler dans de meilleures conditions. Mais ce qui me semble plus important, c’est qu’ avec ce titre, on a surtout voulu mettre notre approche à l’honneur. Depuis le début de mon travail comme chorégraphe, j’ai recherché l’échange culturel, que ce soit avec des moines chinois de la province du Henan ou avec la danseuse de flamenco Maria Pagés, pour citer quelques exemples. Créer des lieux de rencontre, c’est dans ma nature. Prenez mon nom arabe : Cherkaoui. Ça veut dire « celui qui vient de l’Est », «Eastman ».

4D • 23 > 25/9, 20.15, €15/20/30, Théâtre National, boulevard E. Jacqmainlaan 111-115, Brussel/Bruxelles, 02-203.53.03, www.theatrenational.be, tickets: 02-229.12.11, www.demunt.be, www.lamonnaie.be

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